Politique étrangère du Canada

La politique étrangère du Canada

Par Pierre-Paul Langis

Le Canada, comme tous les autres pays du monde, a commis bien des erreurs, ces dernières années, dans la direction de sa politique étrangère. Tous les Canadiens, sans aucun doute, s’entendent pour souhaiter que notre gouvernement évite à l’avenir ces erreurs et prenne pour cela les mesures nécessaires… Il va sans dire que l’on s’entend beaucoup moins lorsqu’il s’agit de préciser ces fautes et de choisir les remèdes…

Depuis cinquante ans, le Canada a prêché l’abstentionnisme et pratiqué l’interventionnisme.

Au début de la confédération, Sir John MacDonald, peut-être notre plus grand homme d’État malgré ses défauts et son manque de scrupules, avait pratiqué l’abstentionnisme sans le prêcher. On oublie trop la ferme attitude qu’il adopta en 1884 quand Londres voulut entraîner le Canada dans des aventures africaines. Il avait fait répondre par Sir Charles Tupper alors notre Haut-Commissaire à Londres, que le canal de Suez ne nous intéressait pas… Il a coulé beaucoup d’eau dans le canal de Suez depuis cette époque, et le Canada s’est découvert soudain un intérêt très vif, même s’il ne fut pas spontané pour les affaires coloniales, impériales et même internationales.

Il y eut, entre autres, deux causes à ce renversement de notre politique étrangère, si pompeux que ce mot puisse paraître appliqué à un État qui n’était encore, à cette époque, qu’à demi-souverain. La première fut la disparition du danger américain.

Dès le début, la politique canadienne fut conditionnée par l’attitude des États-Unis à notre endroit : ceux-ci sont d’abord hostiles et durant cette période, c’est l’Angleterre qui vient au secours du Canada contre l’oncle Sam ; ensuite indifférents et alors le Canada se défend tout seul : cette période est marquée par le départ des troupes britanniques du Canada en 1870 et le Traité de Washington, en 1871. Enfin, les Américains deviennent nos amis, et aujourd’hui, nos alliés ; et alors c’est le Canada dont la sécurité est maintenant assurée qui se porte au secours de la Grande-Bretagne menacée, en 1914 et en 1939. La grande raison pour laquelle le Canada se bat en Europe, en Afrique, en Asie et en Océanie, c’est donc parce qu’il est en sûreté en Amérique.

Tant qu’ils n’ont pas possédé cette sécurité, c’est-à-dire durant tout le XIX« siècle, les Canadiens sont restés à la maison.

Une autre cause fut les conférences impériales et le renouveau impérialiste dont elles ont été l’instrument. Ces conférences, dans l’esprit de leurs promoteurs, devaient ramasser l’Empire en train de se désagréger, devaient resserrer les liens entre les diverses colonies et prétendaient même les fondre en une vaste fédération centralisée à Londres. Elles ont notoirement échoué sur ce point et ce fut heureux pour l’Empire qui n’y aurait pas survécu. Les conférences furent, au contraire, un moyen d’émancipation pacifique pour les Dominions et c’est d’elles que sortit le Statut de Westminster.

De cet heureux échec, l’Empire émergea métamorphosé en Commonwealth, association d’une nature insaisissable, vague, indéfinissable et non écrite, qui unit les Dominions non par les liens serrés et fragiles d’une fédération mais par les liens lâches mais solides d’une sorte d’union libre qui attache, les membres plus étroitement qu’un contrat en bonne et due forme. On l’a déjà observé, rien n’est plus difficile à rompre que ces liens élastiques qui rattachent les Dominions les uns aux autres et surtout à la Grande-Bretagne.

Les hommes d’État anglais d’aujourd’hui ont compris l’erreur des fédéralistes ; ils se félicitent de leur insuccès et tirent un merveilleux parti de la situation qu’ils ont créée. C’est un jeu pour eux de circonvenir de jeunes États grisés par le vin nouveau de leur souveraineté ; ils manœuvrent savamment dans le sens du bien commun de l’Empire, des Dominions qui se seraient rebiffés si on eut essayé de leur donner des ordres.

De sorte que si aujourd’hui le Canada intervient à grands frais dans les affaires d’une foule d’États, sur les cinq continents, c’est sans doute parce qu’il le veut – pensez donc ! – mais c’est surtout parce qu’il fait partie du Commonwealth, de cette assemblée de parents au sein de laquelle il perd à toutes fins pratiques et dans les cas graves la faculté de vouloir ou de ne pas vouloir.

Voilà, croyons-nous, les deux erreurs primordiales de notre politique étrangère : d’abord d’avoir négligé les deux biens les plus précieux que peut posséder un État et que nous offrait la nature, je veux dire la sécurité et la paix ; ensuite d’avoir entraîné le pays dans une alliance non pas, sans doute, contre nature, mais à tout le moins artificielle, n’ayant aucun rapport avec la géographie et nos intérêts économiques, une alliance qui n’est pas autre chose que le vieux Pacte colonial, fondement de l’ancienne politique mercantile en vertu de laquelle toute l’activité des colonies est orientée dans le sens des intérêts métropolitains.

Cela est si vrai, si évident, que, laissés à eux-mêmes, nos hommes d’État suivaient naturellement cette politique, de là les manifestations de foi abstentionniste, autonomiste ou même isolationniste que l’on trouve dans les discours de Laurier, Borden, King et même à ses heures, M. Bennett…

Mais vienne une crise ou une guerre, et l’émotion, scientifiquement cuisinée, reprend le dessus sur la raison…

Et c’est une autre faute de nos gouvernements que d’avoir fait, dans les circonstances les plus graves, une politique sentimentale qui chaque fois a menacé de faire voler en éclats une construction politique aussi fragile que le Canada. Et non seulement on n’a rien fait dans cette voie, mais encore on a tout fait pour étouffer chez nous toute fierté nationale en cachant sous le boisseau, comme si on en avait peur ou honte, la maigre flamme de notre indépendance naissante, en dissimulant au fond des tiroirs le Statut de Westminster, comme si c’était l’acte de naissance d’un bâtard, sans parler du drapeau, de l’hymne national et que sais-je encore !…

Mais la faute la plus lourde que commit notre pays, non seulement envers lui-même mais envers le monde, fut son attitude à l’égard de la S.D.N. Après avoir bataillé et lutté et payé un prix extravagant pour faire reconnaître notre personnalité internationale et obtenir un siège à la S., nous n’eûmes rien de plus pressé que d’essayer de l’émasculer, lui enlever tout efficacité, en tâchant de faire supprimer l’article X. La conduite du Canada s’explique assez en l’occurrence : la S.D.N. était fondée sur la limitation de la souveraineté des États. La réaction canadienne fut naturellement celle d’un pays qui vient de parvenir avec beaucoup de mal à la souveraineté et qui n’y veut pas renoncer déjà. M. Borden, avant même que le pacte soit rédigé essaya, mais en vain, de faire écarter ce que Grant Dexter appelle les articles punitifs.

Le Parlement canadien, au moment de la ratification du Traité de Versailles critiqua vivement ces clauses, dans le même esprit que les États-Unis fatigués de la guerre, du gâchis européen, et bien résolus à ne plus s’y laisser prendre. À rencontre de nos voisins le Canada se résigna pourtant à ratifier le traité. Ses interventions ultérieures montrent bien que ce n’était pas sans arrière-pensée : en effet, dès la première assemblée de la S.D.N. en 1920 et jusqu’à la fin, le Canada fait tout ce qu’il peut pour rendre inoffensif, l’organisme de Genève, inoffensif c’est-à-dire inopérant. Jusqu’à la fin, il fera tout en son pouvoir pour se soustraire à ses obligations internationales, militaires ou économiques. Il n’aura de repos que le jour où il aura réussi à faire voter une résolution interprétative de ce fameux article X en vertu de laquelle les obligations des membres de la S.D.N. sont sujettes à l’approbation, à l’appréciation de leur parlement. Cela se passait en 1923 : dès cette année l’on pouvait dire que le Canada avait ruiné la première institution sérieuse destinée à assurer la paix du monde.

Tout cela n’est pas dit pour le vain plaisir de critiquer mais pour souligner le rôle peu brillant qu’a joué le Canada jusqu’ici dans les affaires internationales et pour en tirer des leçons, des conclusions qui devraient servir à éclairer notre lanterne à l’avenir. Nous avons sans doute la consolation de pouvoir nous dire que nous ne sommes pas seuls mais cela ne saurait nous exonérer de notre part de responsabilité…

Si le Canada a apporté une si importante contribution au désordre international et compromis si gravement par la même occasion son ordre interne, son unité nationale, cela est dû aux causes indiquées plus haut.

Pour sortir de cette ornière, le Canada doit repenser, reconsidérer sa politique étrangère. Celle-ci depuis plusieurs années, peut se résumer dans la formule suivante : refus de s’engager d’avance à intervenir ou à ne pas intervenir dans les affaires impériales ou internationales. Voilà la forme la plus désuète et la plus dangereuse d’isolationnisme. Elle semble laisser au pays la liberté de décider chaque cas selon son mérite et les nécessités de l’heure mais rien n’est plus faux : elle nous laisse au contraire démunis devant chaque éventualité, réduits à improviser pour chacune, une solution souvent boiteuse parce que conçue dans l’énervement, l’excitation ou la peur du moment. Je crois donc que nous devrions revenir à la formule de John MacDonald lorsqu’il disait : « L’aide que les colonies pourraient donner à la G.-B. devrait faire l’objet d’un traité bien défini et réglé sur une bonne permanente. » En plus de permettre au peuple canadien de savoir à quoi s’en tenir sur ce sujet, cela permettrait au gouvernement de réaliser l’unité, une certaine unanimité sur une formule moyenne et lui éviterait ces volteface si préjudiciables au pays et dont l’immoralité est une autre contribution à la crise de la civilisation moderne.

Une autre réforme qui me paraît s’imposer est de changer le Commonwealth pour l’Union panaméricaine. Tant que nous ferons partie du Commonwealth, nous ne serons pas absolument libres. Le meilleur exemple en est justement que c’est à cause de cela que nous ne pouvons entrer dans l’Union. Celle-ci constituerait pour nous une association bien plus naturelle, plus profitable et moins dangereuse.

Il est aussi impérieux de diversifier nos relations politiques de nos relations économiques. Le Commonwealth forme une sorte de cartel ethnique : rien n’est plus malsain et moins conforme à l’esprit de collaboration et à la démocratie internationale sur lesquels nous essayons d’établir la paix future. Vers cette paix, le régionalisme, dont l’Union est un magnifique exemple, est peut-être un moyen plus efficace que les tentatives laborieuses et prématurées d’universalisme esdéen ou franciscain.

Ce sera sûrement le devoir du Canada de collaborer non seulement avec l’Union mais aussi avec la société des Nations, et de le faire plus loyalement qu’il ne l’a fait avec la première.

D’autre part, les résultats, pas très heureux, de nos premières armes dans le domaine international doivent nous enseigner la modestie. Les Canadiens sont flattés que leur pays joue un rôle dans le monde, mais ils ne doivent pas perdre le sens des réalités. Jusqu’ici, ils ont payé un prix exorbitant, en hommes et en argent, pour satisfaire cette vanité de jouer un rôle d’ailleurs obscur et peu salutaire.

Sans doute, nous avons peu de leçons à recevoir des autres nations, mais nous en avons encore moins à leur donner… Le Canada ne doit pas essayer de chanter plus haut que son registre. Ce n’est pas à lui qu’appartient l’initiative et il devrait, à l’avenir, s’abstenir des excès de zèle et des dévouements disproportionnés à ses forces et à ses moyens aussi bien pour le droit, comme il fait en ce moment que contre le droit, comme il a fait à Genève après la 1ère grande guerre.

Publié en mai 1945.

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« Le Canada est délimité au nord par l’or, à l’ouest par l’orient, à l’est par l’histoire et au sud par des amis. » (Frances Shelley Wees, écrivaine canadiennes née en 1902 et décédée en 1982). Photo : © GrandQuebec.com.

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