Poisson d’avril
Commence le mois d’avril et le premier jour de ce mois va ramener son fatal cortège de farces plus ou moins spirituelles et d’attrapes que tout le monde goûte, sauf celui qui en est la victime.
Le 1er avril, un grand nombre de gens, selon une coutume antique autant que solennelle, tâcheront de se mystifier et de rompre un peu la monotonie de cette vie.
L’origine de cette coutume se perd dans la nuit des temps et les historiens s’accordent peu sur sa source. Il est certain que le poisson fut un symbole dès les premières années de l’ère chrétienne. Comment ce qui fut d’abord un symbole devint l’objet de farces et de plaisanteries, voilé justement ce que personne n’a su encore expliquer.
Les anthologistes nous disent que la coutume du poisson d’avril remonte au XVIième siècle alors que le roi de France changea par un édit la date du commencement de l’année qui était alors au premier avril. La date des étrennes changea en même temps, et ceux qui préféraient encore le 1er avril au premier janvier se virent l’objet des facéties des esprits « ultramodernes » d’alors que leur envoyaient des cadeaux dérisoires ou leur tendaient des pièges inoffensifs.
C’est aussi en avril que se termine le passage zodiacal des poissons.
Ces explications sont sans doute satisfaisantes, mais il appert que ces messieurs les anthologistes ne se sont pas donné la peine de consulter tous les vieux parchemins, autrement ils auraient appris que l’origine du poisson d’avril remonte au Paradis terrestre, ce qui n’est pas d’hier.
Donc, les naïfs et les crédules devront se tenir sur leurs gardes, un 1er avril, s’ils ne veulent pas risquer d’aller chercher la corde à virer le vent, la clef du Champs de mars, une vrille à percer des trous carrés ou autres fantaisies rajeunies constamment.
Auparavant, sur les navires anglais, le mousse était envoyé chercher la clef de la quille du bateau et il le faisait avec courage jusqu’au moment où il tombait sur un officiel de mauvaise humeur qui lui collait une punition pour lui éclairer l’intellect.
Au Québec, au XIXe siècle, il était d’usage dans beaucoup de familles d’offrir aux amis des petits poissons en sucreries ou en chocolat. D’autres, d’un naturel cruellement farceur, se contentaient d’envoyer un vrai poisson dont l’odeur suffisait pour déceler l’antique origine. Quand un naïf se laissait prendre, les spectateurs et surtout les auteurs de la farce, riaient comme des bossus, quitte à devenir eux-mêmes victimes d’une autre plaisanterie mieux agencée que la leur.
Les chiromanciens disent que les femmes qui sont nées le 1er avril ont le mutisme des poissons quand il s’agit de garder un secret et que leur esprit a toute la grâce et la vitesse d’évolution de ces petits poissons rouges ou d’or que l’on conserve chez soi dans des aquariums. Si la chose n’est pas toujours d’une rigoureuse exactitude, on avuera que comme compliment, ça n’est pas mal trouvé.
En attendant, gare au 1er avril.
Au XIXe siècle, au Québec, les jeunes filles à marier répétaient toujours ces deux vers de Jacquelin qui parlant des sentiments tendres, dit:
Serment de tendresse éternelle,
Est bien un vrai poisson d’avril.
