Persécutions après l’insurrection des Patriotes
La nuit suivant la bataille d’Odelltown (la nuit de 9 au 10 novembre 1938), quelques Patriotes dont le nombre et les noms demeurent inconnus, se rendent à la prison de Napierville et y mettent le feu. L’histoire est confuse. Il semblerait que les Patriotes y auraient exécuté deux prisonniers: Charles Pouliot et François Chouinard, mais on ne sait pas grand chose sur cet épisode. On sait toutefois que les curés Amiot et Loop Odell se dirigèrent immédiatement vers la prison et délivrèrent d’autres prisonniers qui s’y trouvaient.
L’armée de Colborne envahit alors Odelltown. Le désespoir règne dans les rangs des Patriotes. Abandonnés par leurs chefs, certains décident de se tourner contre les commandants qui n’ont pas encore quitté les lieux. Le 10 novembre, huit d’entre eux se saisissent de Théodore Béchard et le livrent aux autorités britanniques.
Il semblerait que des patrouilles de Volontaires et de miliciens firent des recherches dans les paroisses avoisinantes afin de capturer les Patriotes cachés.
Le dimanche 11 novembre, à la porte des églises, des Volontaires attendent la fin de la messe et saisissent ceux qui ont été aperçus au camp de Napierville. Ce jour-là, un grand nombre de prisonniers sont arrêtés.
On les dirige vers Montréal où la foule les reçoit avec des vociférations méprisantes.
Les Volontaires connaissent les propriétés des insurgés et au cours des jours suivants, ils détruisent les maisons de dizaines de patriotes.
Le Docteur Davignon, résidant à Rouse’s Point, constate dans une lettre: «Les Loyalistes portent l’incendie partout. Dans l’espace d’un mille au-dessus du village de L’Acadie, toutes les maisons ont été brûlées.»
Le Montréal Courrier du 12 novembre 1938 écrit: «l’on vit des nuages de fumée dans la direction de Châteauguay». Durant toute la journée de 11 novembre et dans la nuit, on apercevait «une lueur considérable dans la direction de Saint-Jean, qu’on suppose être l’incendie de Saint-Athanase».
Par ailleurs, dans la paroisse de Saint-Athanase, les Volontaires ont profité de l’absence des Patriotes qui s’étaient rendus au camp de Napierville. Toujours selon le docteur Davignon : «À Saint-Athanase, le 7 novembre, Mongeau et ses deux commis sont faits prisonniers, ses bâtiments brûlés et son magasin pillé. François Macé, sa maison brisée et pillée. Deux femmes liées et violées par des montagnards de Glengarry.» Le 8 novembre, l’église de Saint-Athanase est investie malgré des promesses faites au curé: «Des Volontaires sont entrés dans l’église, en ont enlevé tout ce qu’ils y ont trouvé de précieux, ont renversé les hosties sur le plancher, et les ont percées à coups de baïonnettes».
Au cours de la nuit du 10 au 11 novembre, l’église de Saint-Édouard est pillée. Le curé en fait la narration à son évêque :
«La présente est pour informer votre Grandeur des profanations qui ont été commises dans mon Église pendant la nuit du dimanche 11 du présent que les troupes ont séjourné dans cette paroifse jusqu ‘au lendemain matin à 11 heures. On a forcé la porte de la sacristie, on a pénétré jusque dans l’église, on a brisé le devant d’autel, défoncé la porte du tabernacle, répandu les Saintes hosties sur le marche-pied, et même jusqu ‘à 15 pieds de l’autel. Il paroit qu’on cherchoit les vases Sacrés que j’avois heureusement sauvés. Il nous a été enlevé de la Sacristie une chape toute neuve avec mes deux meilleures étoiles pour la valeur de 20 Louis: il est vrai que quelques jours après on m’a rapporté une de mes étoiles.
Nous avons eu dans la paroisse un homme de tué; c’étoit un pauvre journalier qui avoit été arrêté le soir dans le chemin sans soupçon, et il a été tué en voulant s’échapper des mains de ceux qui l’avoient pris. Il y a eu trois maisons de brûlés (sic) et un grand pillage chez les pauvres habitans. S’il n’y a pas eu plus de mal de fait ici, je crois que nous le devons à Mr. Languedoc qui a intercédé généreusement auprès du Général pour la conservation des maisons. Aussi ce qui étoit en faveur des gens, c’est que quand les troupes sont arrivées ici, il y avoit plus de deux jours que les rebelles étoient dispersés et rentrés dans leurs foyers. Je regrette beaucoup ma chape; il y avoit si longtemps que je ne m’en étois pas mis sur le dos. Le bon Dieu me la rendra peut-être; il faut que je vive d’espérance.»
Le Montréal Herald décrit en ces termes la mort du rebelle mentionné plus haut par le curé Moll :
Lundi, 12 novembre, près de Saint-Rémi, l’avant-garde de Sir James McDonnell tomba sur 3 rebelles à cheval qui prirent aussitôt la fuite. Ils furent poursuivis, et l’un d’eux fut blessé dans le côté d’un coup de sabre par le sergent Major Sharp, de la cavalerie volontaire de Montréal, et fait prisonnier. Quelque temps après, il chercha à s’enfuir; mais en voulant sauter une clôture, il reçut un coup de pistolet d’un caporal des Hussards et expira deux heures après. Son nom était Zéphirin Grenier, marchand, rue Saint-Paul, Montréal.
La situation n’est pas plus calme dans d’autres paroisses. Par exemple, en 1837, Sainte-Rose-de-Lima, sur l’île Jésus (sur le territoire de la Ville actuelle de Laval) sert de théâtre aux activités entourant le mouvement des Patriotes. En mai, les esprits s’échauffent : un comité de surveillance est mis sur pied par Louis-Joseph Papineau et Louis-Hyppolite Lafontaine, de concert avec les autres têtes dirigeantes. Se tiennent alors des réunions à l’auberge d’Augustin Tassé, sise aujourd’hui encore sur le chemin des Patriotes. Le 4 octobre, André Ouimet, frère de l’illustre Gédéon Ouimet, fonde Les Fils de la liberté, dont il devient le président. André-Benjamin Papineau, notaire de Saint-Martin, en sera l’un des membres les plus actifs. Mais, pour le nouveau président, les affaires tournent court : il est emprisonné le 16 novembre.
En décembre 1837, Sainte-Rose-de-Lima est au centre des conflits : d’un côté, les Anglais et les Volontaires qui cantonnent à Saint-Martin et, de l’autre, les Patriotes installés à Saint-Eustache.
Devant l’imminence du soulèvement, le curé de Sainte-Rose-de-Lima, Magloire Turcotte, tente Vainement de se poser en médiateur entre les groupes belligérants. Le 14 décembre, lors de l’assaut final à Saint-Eustache, il distribue jour et nuit l’extrême-onction sur le parvis de l’église. Arrêté puis remis en liberté, il s’enfuit aux États-Unis, pour revenir à l’automne 1838 déjouer les plans des Patriotes encore actifs.
Comme Sainte-Rose-de-Lima, la paroisse voisine de Saint-Martin subit les contrecoups de la rébellion des Patriotes. En effet, c’est là qu’en décembre 1837 cantonne une troupe anglaise de quelques milliers d’hommes, sous le commandement de Colborne. Le village, dont la population ne dépasse pas 500 habitants, est alors envahi. Après la bataille de Saint-Eustache, on loge temporairement les prisonniers dans l’école des garçons, qui servira aussi d’auberge pour la police rurale du major William King McCord, deux ans plus tard.
Engagé dans ce mouvement insurrectionnel, le notaire André-Benjamin Papineau (1809-1890), futur maire de Saint-Martin (élu en 1855), parcourt les paroisses aux côtés de son cousin Louis-Joseph. Plaidant pour la résistance, il harangue les foules sur les parvis d’église. Il se livrera à la police après la défaite de Saint-Eustache.