La pêche à la morue

Histoire de la pêche à la morue au Canada

Monteur de l’exploration européenne de l’Amérique du Nord au XVIe siècle, la morue reste après 1763 le seul motif officiel, pour la France, de fréquenter encore les rivages qui furent ceux du Canada, sa colonie pendant plus de deux siècles. Hautement symbolique, cette réalité a marque durablement l’histoire des territoires nord-atlantiques.

Le morue est toutefois plus qu’un symbole. Sa fonction intrinsèque est vitale, c’est l’alimentation des peuples de l’ouest de L’Europe qui ont complètement adopté ce poisson riche en protéines. La morue est ainsi devenue une marchandise qui fait vivre une importante population de pêcheurs, d’armateurs, de négociants et d’intermédiaires multiples. Cette activité commerciale génère des retombées directes et indirectes dans les caisses de l’État. La France, pour sa part, y trouve aussi une parfaite école de formation de marins sur l’Atlantique. Ces hommes deviennent particulièrement précieux quand, au XVIIIe siècle, un conflit plus que séculaire entraîne la France et l’Angleterre dans une suite de guerres maritimes. La pêche à la morue devient alors le facteur sine qua non de la présence militaire française sur les mers et, par le fait même, la pierre d’achoppement des négociations franco-anglaises en vue du traité de paix de 1763.

La morue, une manne venant de la mer

Ce sont les pêcheurs de morue, explorateurs anonymes, qui ont tracé les voies maritimes en Atlantique Nord, donnant accès aux hauts-fonds où le poisson est si abondant qu’il peut être pêché avec un panier lesté de pierres. C’est ainsi que la rumeur se répand après le voyage de Giovanni Caboto, armé par les négociants de Bristol en 1497. L’Explorateur, envoyé pour trouver une route occidentale vers la Chine, a orienté involontairement ses congénères des États de l’Atlantique Nord vers cette manne venue de la mer. Pendant des siècles, les Britanniques s’approprient cette découverte. De plus, au nom du droit du premier occupant du littoral des la Terre Neuve, ils revendiquent la propriété de l’archipel des « terres neuves » ainsi que le contrôle de ses eaux territoriales. Au cours des négociations en vue du traité d’Utrecht de 1713 et du traité de Paris de 1763, les Britanniques s’appuient fortement sur leur antériorité à Terre-Neuve pour justifier le retrait complet des pêcheurs français des zones de pêche.

(Par une dépêche que Raimondo di Soncino fait parvenir de Londres au duc de Milan, le 18 décembre 1497, il rapporte la découverte des hauts-fonds poissonneux de Terre-Neuve par Cabot. Cité dans Henry Harrisse, « Découverte et évolution cartographique de Terre-Neuve et des pays circonvoisins, 1497-1501-1769. » Essaies de géographie historique et documentaire, Paris, H. Wilter, 1900, p. 22-23. Voir aussi Jean-François Brière, « L’État et le commerce de la morue de Terre-Neuve en France au XVIIIe siècle », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 36, #3, 1982 p. 323-338 ; R. Cole Harris, dir., Atlas historique du Canada I : des origines à 1800, Presses de l’Université de Montréal, 1987; Michel Mollat, dir., « Histoire des pêches maritimes en France », Paris, Bibliothèque historique, Privat, 1987).

À partir des voyages de Caboto avec les marins anglais, la rumeur se répand, dans toute l’Europe, de l’existence des abondantes ressources poissonnières dans les eaux environnant Terre-Neuve. Les marins anglais ont toutefois été largement concurrencés, dès le XVIe siècle, par les Hollandais, les Espagnols, les Portugais et surtout les Français, notamment les Bretons et les Normands, navigateurs habitués aux courants et aux vents saisonniers de l’Atlantique Nord. Les Basques français et espagnols, qui poursuivaient les baleines dans ces mêmes eaux, pratiquaient également la pêche à la morue. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la présence des Espagnols et des Portugais à Terre-Neuve diminue considérablement ; ces marins sont plutôt occupés à leurs colonies d’Amérique du Sud. Les Anglais et des Français se partagent principalement, avec les Hollandais, cette fabuleuse réserve de poisson. Leurs relations avec les habitants, les Béothuks, les Micmacs et les Inuits, sont généralement marquées par une incompréhension réciproque ; les autochtones acceptent mal ces envahisseurs qui laissent sur leur littoral, durant l’hiver, des effets et des outillages divers, mais n’admettent pas que ces mêmes effets soient empruntés et utilisés par les résidents habituels. Les agressions, de part et d’autre, deviennent chose courante.

Jusque vers 1600, l’île de Terre-Neuve est abordée par des pêcheurs européens qui ne s’y fixent pas. Ils n’ont besoin que d’échafauds pour le séchage de la morue sur le littoral pendant quatre à cinq mois par an. Sauf pour certains morutiers qui jettent l’ancre sur les hauts-fonds, appelés « bancs », où ils pêchent et dépècent la morue à partir du bateau. Le poisson ainsi recueilli, sans passer par l’opération de séchage, prend alors le nom de morue verte, qu’on s’empresse d’acheminer en Europe afin de lui conserver toute sa fraîcheur. Cette pratique de la pêche errante apparaît postérieurement à celle de la pêche sédentaire, soit à la fin du XVIe siècle, une fois que les circuits de navigation, l’emplacement des bancs et les saisons favorables à la pêche sont bien maîtrisés. La pêche sur les bancs permettait à certains avitailleurs d’effectuer deux voyages de pêche par un, mais elle était particulièrement éprouvante pour les équipages, ainsi forcés de subir l’inconfort du navire sans pouvoir s’offrir le repos d’un séjour à terre.

De tous les pays qui pratiquent la pêche et le séchage du poisson sur les côtes de Terre-Neuve, c’est l’Angleterre qui s’y intéresse avec le plus de constance. Les intérêts anglais se concentrent surtout au sud, le long du littoral oriental. La Newfoundland Company, créée en 1610, reçoit une charte lui permettant de coloniser cette partie du littoral. Quelques petits établissements voient le jour à Cupids (Cuper’s Cove), Harbour Grace, Ferryland ainsi que dans plusieurs autres baies de la péninsule d’Avalon.

Jusqu’à 300 morutiers anglais équipés d’environ 3 000 hommes se retrouvent chaque années sur cette côte et entrent fréquemment en conflit avec les représentants de la Newfoundland Company. Vers 1686, 2 000 colons résidents sont répartis dans trente-cinq baies ou havres de la côte est et les conflits d’intérêts persistent. L’unification de Terre-Neuve est réalisée avec le traité d’Utrecht en 1713 sous la couronne d’Angleterre. Un fort mouvement d’émigration anglaise et irlandaise porte la population à 7 300 personnes à la veille de la guerre de Sept Ans, regroupées surtout entre Trepassy et Bonavista.

Au milieu du XVIIIe siècle, Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent connaissent un trafic maritime intense. C’est l’itinéraire obligé du commerce triangulaire et même quadrangulaire, pour les vaisseaux allant de Québec à Louisbourg, aux colonies anglaises, aux Antilles et en Europe. En 1748, 1 200 navires et embarcations de toutes provenances avaient tiré 483 000 quintaux de poisson des eaux du golfe du Saint-Laurent. Cette région environnant Terre-Neuve reste à jamais un centre stratégique, fort de sa position géographique, mais exposé à toutes les convoitises.

(Par Raymonde Litalien, extraits. Recueil des textes sous la direction de Sophie Imbeault, Denis Vaugeois et Laurent Veyssière. 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique. Septentrion, 2013.)

Histoire de la pêche à la morue. Photo de Megan Jorgensen.

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