Jacques Laporte dit Saint-Georges, l’un des premiers Montréalistes
« À peine osait-on paraître à sa porte pour y aller chercher de quoi vivre », écrit Dollier de Casson dans son « Histoire de Montréal ». Cette phrase illustre bien à quel point le péril iroquois menaçait Ville-Marie. Or, au nombre des pionniers qui persévéraient dans ce poste si éloigné de Québec figurait Jacques Laporte du Saint-Georges.
Mais un tel péril ne suffisait pas à affadir l’attrait que la faune exerçait sur les « Montréalistes ». En 1664, donc, deux partis de chasseurs qui ont quitté le fort pour faire le coup de feu se retrouvent sur des îles situées quelque peu en aval. L’expédition a été si fructueuse qu’ils envoient en avant d’eau vers l’habitation un canot « chargé de viande ». Mais voilà, les avironneurs ne peuvent remonter le courant Sainte-Marie : il faut absolument longer la rive. C’est là que des Iroquois attendent l’embarcation : ils tuent ou blessent trois ou quatre hommes et l’un des assaillants, voulant s’emparer du canot, est jeté « roide mort » d’un coup de fusil car M. Debelêtre (Picoté de Belestre), Saint-Georges et autres Français » sont accourus pour assister leurs amis.
Ce « Saint-Georges » était sans doute Jacques Laporte, originaire de Nocé, au Perche. Nous ne savons pas quand il a traversé l’Atlantique. En tout cas, il ne faisait pas partie de la recrue de 1653, qui devait sauver Ville-Marie, et il n’aurait eu que 14 ans en 1641, lors du départ des pionniers qui firent voile sous l’autorité de Paul de Chomedey, qui avait reçu de la Société Notre-Dame de Montréal le mandat de construire un fort dans l’Île de Montréal.
Jacques Laporte avait été baptisé à Nocé le 5 mars 1627m fils d’un hôtelier et boulanger également renommé Jacques et de Marie Hamelin, qui s’étaient mariés le 7 juin précédent. Dans l’église de Nocé, d’ailleurs, une inscription rappelle sa mémoire; ce fut la première plaque apposée (le 10 mars 1963) dans les églises du Perche sous l’égide de l’Association Perche – Canada.
Depuis Mortagne-au-Perche, l’autoroute D 938, rectiligne, conduit, franc sud, jusqu’à Bellême (17 kilomètres). Elle y croise la D 955. Empruntons-la sur la gauche, direction Nogent-le-Rotrou. À 9,50 kilomètres de Bellême se présente la D9 qui, direction nord, franchit Nocé. On peut aussi atteindre cette commune directement depuis Bellême par la D 203.
Nocé vaut davantage qu’un regard distrait. Son église date de la fin de Moyen Âge. Son abside est romane. Sa tour, de plan carré, est cantonnée de puissants contreforts d’angle. Sur la façade de cette tour et sur les contreforts, des niches à décor flamboyant abritent des statues. Et à 2 kilomètres, sur la D9, on peut admirer le manoir Courboyer, l’un des plus beaux du Perche; deux étages avec fenêtres à meneaux, de part et d’autre d’une tour octogonale.
En 1655, Jacques Laporte a sûrement décidé de se fixer à demeure à Ville-Marie. Le 31 août de cette année-là, en effet, le sieur de Maisonneuve lui concède un lot d’un demi-arpent dans l’enclos de la ville, soit un terrain suffisant pour y construire une maison agrémentée d’un jardin. Et le 23 août 1657, par devant Jean de Saint-Père, il signe un contrat de mariage avec Nicole Duchesne, fille de François et de Marie Rolet. Le sulpicien Gabriel Souart bénira l’union le 3 septembre en présence de plusieurs témoins, dont le sieur de Maisonneuve, Jeanne Mance, Lambert Closse et Charles Le Moyne.
Le couple Laporte/Duchesne eut 11 enfants, dont sept fils. Cinq de ceux-ci se marièrent à leur tour : Jacques, qui était dit Labonté, en 1687 avec Madeleine Paviot (7 enfants); Paul en 1688 avec Marie Lussier (4 enfants), puis en 1695 avec Marguerite Matou (13 enfants); Georges en 1689 avec Marie-Madeleine Guérin (2 enfants); Louis en 1695 avec Marie-Madeleine Massault (8 enfants), et Pierre en 1703 avec Marie-Anne Han (11 enfants). Deux seulement des quatre filles fondèrent des foyers : Catherine en 1675 avec Philibert Couillaud et Suzanne en 1695 avec Pierre Ménard.
Jacques Laporte était sans doute boulanger comme son père. Aux recensements de 1666 et 1667, il habite Montréal et ne semble pas s’y livrer à la culture car on ne rapporte pas qu’il possède des arpents en valeur. Lors de celui de 1681, c’est à Boucherville qu’il exerce son métier. C’est là d’ailleurs que, l’année suivante, naîtra Jeanne, la dernière enfant de la famille. L’ancêtre décédera à Contrecœur en 1702.
D’autres porteurs de ce patronyme vinrent en Nouvelle-France, mais ils contribuèrent fort peu à le répandre. Le plus prestigieux fut sans doute Louis de Laporte, sieur de Louvigny, arrivé en 1683. L’année suivante, il épousait Marie Nolan, fille de Pierre et de Catherine Houart. Sa carrière militaire fut si intense on lui confia tant de missions et d’expéditions qu’on peut se demander comment sa femme put lui présenter dix enfants. On le trouve tout d’abord à la baie d’Hudson, puis à Michillimakinac et au fort Frontenac où il occupera le poste de commandant, ensuite chez les Renards, au sud des Grands Lacs, qu’il doit neutraliser. En 1720, le voilà responsable de tous les postes de l’Ouest, qu’il devra visiter à tous les deux ans. De passage en France, on lui donne le commandement des Trois-Rivières, mais il n’occupera pas ce poste : il périt lors du naufrage du « Chameau », au large de l’île du Cap-Breton, en 1725. Son épouse et quatre enfants lui survécurent, les six autres étant décédés en bas âge. Un fils, François, devait embrasser la carrière militaire, ais peut-être est-il repassé en France, car on ne retrace pas son mariage dans nos registres. Deux de ses trois sœurs fondèrent des foyers : Marie-Anne en 1718 avec Jacques Testard et Marie-Louise en 1727 avec Didace Mouet.
Un autre Laporte dit Saint-Georges, prénommé Pierre, originaire du Périgord, se fixa dans l’île Jésus et y épousa, en 1707, Madeleine Fournier, fille de Guillaume et de Françoise Hébert. Le couple eut cinq enfants dont deux fils Joseph-Cécile et Pierre qui épousèrent respectivement Angélique Nadon (1735) et Suzanne Labelle (1740).
Mentionnes enfin Étienne Laporte, originaire d’Agen, et Michel Laporte dit Labonté, de Rocherfort, qui épousèrent respectivement Suzanne-Élisabeth Charbonneau à Charlesbourg en 1716 et Marie-Catherine Girard à Québec en 1727. Aucun de ces couples n’a de nos jours de descendants portant le patronyme.
Jacques Laporte demeure donc la figure de proue des familles de ce nom en Amérique.
Voir aussi :
- Chroniques de la Nouvelle-France en 1695
- Enlèvement de Pierre Laporte
- Origine du nom de famille Cyr au Québec