Organisation commerciale en France et en Nouvelle-France
Un faible attrait pour l’extérieur
Elle ne voit pas non plus se constituer une organisation commerciale comme la Hanse germanique qui règne du XIIIe siècle sur la Baltique, ni prospérer les compagnies commerciales spécialisées dans le commerce lointain, comme celles des Hollandais et des Anglais; ainsi la Compagnie Française des Indes Orientales, créée par Colbert en 1664, et bénéficiant du monopole de navigation, de la concession de terres (comme Madagascar), de la protection par la marine royale et d’autres avantages, n’a jamais connu l’essor de ses concurrentes étrangères; elle rencontre de sérieuses difficultés durant les années 1680, et disparaît en 1719.
La France n’a pas non plus de place financière comparable à Amsterdam (dont la banque est créée en 1609) ou Londres (qui crée la sienne en 1694) : ce n’est qu’en 1800 que Napoléon, constatant l’absence d’établissement bancaire en France, fonde la Banque de France. Jusque-là seule Lyon, proche de l’Italie, de l’Allemagne et de la Suisse, aura joué le rôle de place financière internationale, en raison surtout de la présence de marchands et de banquiers étrangers.
Il existe pourtant des marchands français qui ne se limitent pas au commerce intérieur. La prospérité des grands ports tels que Rouen, Le Havre, Nantes, Bordeaux, La Rochelle, en témoigne. Ils se spécialiseront dans le commerce du vin avec l’Angleterre, et s’intégreront au commerce triangulaire avec l’Afrique pourvoyeuse d’esclaves à destination de l’Amérique et des Antilles consommatrices de cette main-d’œuvre et exportatrices de sucre et de denrées tropicales.
Mais avant la fin du XVIIIe siècle on ne peut considérer que cette classe ait joué un rôle actif majeur dans les transformations économiques de la France ou contribué à dynamiser la société française. Elle n’est constituée, par l’essentiel, que de simples intermédiaires ne créant ni liaisons commerciales nouvelles, ni sources originales de profit (mis à part ceux réalisés dans le commerce des esclaves). Elle ne favorise donc pas le développement de nouveaux rapports de production, ni la fabrication de nouveaux produits, comme le font les importateurs anglais de coton, suscitant une nouvelle activité, de nouvelles techniques de production qui sont à l’origine du capitalisme industriel.
La révolution des prix
Le début de la période qui mènera à la révolution est marqué par la « révolution des prix » qui se produit dès la fin du XVe siècle. Nous avons vu qu’au XIVe siècle déjà l’évolution divergente des prix des céréales et de ceux des autres produits, avait provoqué des bouleversements dans le monde de la production, et dans les conditions concrètes d’existence des divers groupes sociaux.
Ces phénomènes se reproduisent dans le dernier quart du XVe siècle, et s’amplifient au XVIe siècle avec le choc considérable constitué par l’afflux massif d’or et d’argent provenant des colonies ibériques d’outre-Atlantique, choc qui provoque une forte hausse des prix qui ne cesse qu’au début du XVIIe siècle.
La grande inflation du XVIe siècle
Ainsi, l’indice du coût de la vie, établi à partir d’un budget alimentaire caractéristique du XVe siècle, et pour une base 100 en 1464, atteint 129 en 1499, 171 en 1519, 219 en 1533, 342 en 1547. Mai la hausse des prix touche inégalement les différents produits : ainsi le prix du mouton et du vin est multiplié par 1,4 entre 1510 et 1540, celui du charbon, par 1,6; des œufs par 1,8; de la toile par 1,85; de l’huile par 1,9; des tuiles par 2; du blé par 2,2; du bois par 2,4; de même, pour un indice 100 en 1540, on obtient en 1580 l’indice 182 pour le bois; 235 pour la toile; 248 pour le vin; 249 pour les œufs 262 pour le mouton; 284 pour le blé; alors que les prix de certains produits industriels comme le charbon, les tuiles, le plâtre sont multipliés par près de 3.
L’augmentation de la masse monétaire (qui double en France de 1550 à 1600) ne rend compte que partiellement de cette inflation, puisque ses débuts lui sont antérieurs. De plus, si elle était seule en cause, les prix n’auraient pas autant augmenté, et cette hausse aurait dû être la même pour tous les produits.
En réalité, l’origine de l’inflation du XVIe siècle réside dans l’épuisement des facteurs de la croissance de la seconde moitié du XVe siècle : la remise en culture des bonnes terres abandonnées est terminée, ce qui provoque un plafonnement de la production globale et une baisse de la productivité quand on cherche à produire davantage. Ce phénomène est aggravé par le déclin de l’élevage, le morcellement des exploitations, les ventes de terre à la bourgeoisie des villes, les restrictions que l’aristocratie foncière apporte aux anciens droits d’usage sur les surfaces non cultivées et qui limitent les ressources de la petite paysannerie parcellaire.
Mais d’autres éléments vont concourir à la hausse des prix agricoles : l’augmentation du loyer de la terre redevenant rare. Relativement à une population croissante, la pénétration du capital marchand dans la commercialisation des produits alimentaires, l’alourdissement des coûts de transports, provoqués par l’essor de la demande urbaine souvent lointaine, la spéculation sur les cours des denrées (des gros producteurs préférant stocker en attendant la hausse ou vendre à l’étranger.
Ce phénomène est signalé à cette époque par Jean Bodin, dans sa « Réponse au paradoxe du Sieur de Malestroit », dans laquelle il explique la hausse des prix principalement par l’afflux de métal en provenance d’Amérique, mais aussi par le comportement inflationniste et spéculatif de ses contemporains.
Si les prix des denrées alimentaires augmentent, cela va entraîner la hausse (bien que beaucoup plu faible) des salaires industriels et, de proche en proche, celle de tous les produits. Elle va être de plus accentuée par le développement des échanges internationaux qui offrent sur le marché des produits nouveaux et chers, et qui captent la demande des milieux favorisés; dans ces conditions l’artisanat traditionnel cherchera à se spécialiser dans les produits de luxe, d’autant plus que la hausse des prix agricoles réduit le pouvoir d’achat des classes moyennes en autres produits; cela diminuera ainsi l’offre des biens de consommation courante et en augmentera le prix.
Dans ce contexte, l’augmentation de la circulation monétaire ne peut que conduire à une inflation galopante face à un appareil productif peu dynamique.
Que la guerre survienne, provoquée en grande partie par ces difficultés économiques, et la crise s’amplifie : la production agricole diminue, le poids de la fiscalité augmente, l’effort productif porte sur l’armement, la pénurie s’installe et les prix montent : on a là le tableau des périodes tragiques de la seconde moitié du XVIe siècle, de la Fronde des Princes, et des aventures étrangères de Louis XIV.
Les fluctuations de prix aux XVIIe et XVIIIe siècles
Si les prix cessent d’augmenter fortement et régulièrement aux VIIe et XVIIIe siècles, l’afflux de métal se ralentissant après 1600, ils n’en connaissent pas moins des oscillations parfois très amples, fonction de la conjoncture politique, militaire et climatique.
C’est ainsi que durant le règne de Louis XIV le dynamisme des grandes exploitations est d’abord freiné par la baisse des prix agricoles (1650-1675 environ). Les mauvaises récoltes des années 1677-79, 1781 et surtout 1684 provoquent ensuite une flambée des prix alimentaires. Puis, à nouveau les récoltes de 1691-93 sont déplorables. Entre 1688 et 1694 les prix sont multipliés par cinq ou six, parfois plus. Or, ces hausses de prix reflètent l’insuffisance de nourriture et ne bénéficient pas aux petits paysans incapables de nourrir leurs familles, alors que les salaires ne suivent pas les hausses de prix. La situation devient même catastrophique après le Grand Hyver de 1709-1710.
Pourtant tout le monde ne perd pas à ce jeu, car les gros exploitants s’en sortent mieux que les petits, les propriétaires du sol en tirent toujours une rente, et les spéculateurs comme les grands négociants peuvent vendre les denrées là où les prix sont les plus élevés. D’une façon plus générale, les distorsions de prix relatifs creusent les écarts de revenu entre les différentes catégories sociales, et les différents producteurs.
En revanche, les « bons prix » du milieu du XVIIIe siècle semblent correspondre à une « inflation rampante » de croissance, reflétant la dynamique de l’économie, sans effets pervers significatifs.
Ce ne sera pas le cas des flambées de prix agricoles consécutives aux mauvaises récoltes de 1788 – 1789, réduisant le pouvoir d’achat des artisans et salariés, et étendant ainsi la crise à l’ensemble de l’économie.
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