Les négociants et les marchands au Canada au XVIIIe siècle
Dans la capitale de la Nouvelle-France, d’après le portrait qu’en a fait l’historienne Kathryn Young, la bourgeoisie commerciale formait une communauté unie par de nombreuses alliances familiales. Parmi les marchands résidant au Québec entre 1717 et 1745, on en comptait pourtant presque autant nés en métropole qu’au Canada. Certains marchands français, appelés forains ou pacotilleurs, ne restaient que quelques mois ou hivernaient sur place. D’autres, en revanche, qui servaient d’agents à la Couronne ou de facteurs pour une ou plusieurs sociétés privées établies en France, demeuraient dans la colonie en général plusieurs décennies, à l’instar de François Havy et de Jean Lefebvre, deux jeunes marchands normands et protestants qui s’établirent à Québec en 1732 comme employés de Robert Dugard et Cie de Rouen et qui y vécurent durant un quart de siècle. Ils étaient salariés par leur société, alors que la plupart des facteurs étaient rétribués par un pourcentage sur les importations et sur les exportations.
Tous les facteurs travaillaient également pour leur propre compte. Ils étaient à l’occasion secondés par leurs épouses et parentes qui jouaient un rôle significatif dans le commerce de la colonie. Ces agents de firmes métropolitaines représentaient presque 38% des marchands de Québec entre 1717 et 1745, contre 16 % d’officiers-marchands et 46% de marchands nés dans la colonie. Si les négociants français gardaient des liens étroits avec la métropole où ils espéraient revenir, leur long séjour dans la colonie, les mariages que la plupart d’entre eux contractèrent avec des Canadiennes, leur participation à la vie publique et leurs investissements dans des entreprises coloniales suscitaient une certaine identification avec les Canadiens. En 1747, Havy et Lefebre parlaient ainsi ironiquement de « ces petits Messieurs les forains » ; en 1763, le premier, alors retourné en France, écrivait encore à un Canadien : « J’ai toujours aimé votre pays et ses habitants. »
François ou Canadiens, les négociants de Québec spécialisés dans l’import-export se distinguaient du reste de la société par leur influence et leur richesse, probablement bien plus considérable que celle des nobles. C’était particulièrement vrai dans la première moitié du XVIIIe siècle des créoles qui étaient des fils (ou des filles) de marchands et qui avaient hérité de leurs parents. Cette situation contrastait avec celle du royaume où les plus grosses fortunes se rencontraient dans la haute aristocratie.
C’est dans ce groupe de négociants qu’étaient notamment recrutés les membres du Conseil supérieur de Québec. Ils cherchaient à se rapprocher de la noblesse, en obtenant des charges d’officiers de milice en ville et en achetant ou en se faisant concéder des seigneuries. Leurs vastes demeures en pierre, situées souvent à proximité de la place Royale, témoignaient de leur prospérité, ainsi que de leur attachement à la métropole : elles reflétaient la mode parisienne et le même « goût de l’intime » alors en plein essor en France au XVIIIe siècle. En même temps, elles comprenaient des éléments proprement coloniaux, tels que les toits fortement pentus, les poêles en fer, des peaux de caribou, etc.
Ces négociants vendaient leurs marchandises importées de métropole à des marchands eu détail canadiens, localisés à Québec ou à Montréal, à l’instar de Pierre Guy, le correspondant de Havy et Lefebvre. Les caboteurs sur le fleuve et les marchandes de fourrures de Montréal se situaient au même niveau que ces marchands au détail.
Vers le milieu du XVIIIe siècle, comme les nobles, les marchands de la deuxième ville du Canada retardaient leur âge en mariage (trente et un ans pour les hommes et vingt-cinq ans pour les femmes). Mais selon le portrait qu’en a dressé Louis Dechêne, s’ils vivaient dans des maisons de pierre confortables et bien chauffées en hiver, ils avaient un mode de vie dépourvu d’ostentation tant en matière d’ameublement que d’habillement. Contrairement aux nobles, ils n’investissaient guère leur argent dans la terre. Ils menaient une vie paisible mais active et participaient aux affaires publiques en devenant marguilliers et en faisant d’importants dons à la paroisse.
(Gilles Havard et Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française, Éditions Flammarion, 2003.)
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