
Le naufrage du « St. Olaf » en novembre 1900
L’expédition de La Presse consacre deux jours aix Sept-Îles, à éclaircir ce terrible sinistre qui a fait vingt-cinq victimes.
Perquisitions faits sur les lieux par l’équipage de notre navire
Reconstitution du naufrage par les épaves retrouvées et les renseignements obtenus des populations du littoral
(Dépêche particulière de notre représentant à bord.)
Nous avons couché, la nuit dernière, sur le théâtre même du triste naufrage du « St. Olaf », à quelques cinquante pieds des débris épars de ce qui autrefois était un coquet steamer faisant le service entre Québec et Natashquan. Nous sommes près du tombeau même des pauvres malheureux qui ont été engloutis par la mer au mois de novembre dernier. C’est vous dire que nous avons veillé les morts et dans les circonstances peu ordinaires.
La nuit était noire et à minuit, du pont du navire le regard se rivait malgré nous à cette plage silencieuse, mystérieuse, aux abords menaçants par ses falaises inaccessibles, blanches de linceul de neige qui recouvre depuis quatre mais les restes mortels de vingt cinq de nous compatriotes, de nos parents, de nos amis. Il me semblait à travers les débris voir ces pauvres morts tendre leurs longs bras déchirés pour saluer ces visiteurs tardifs, la plupart de vieilles connaissances, tous frères de la mer et suppliant: « C’était notre tour hier, gare à vous demain ».
Vers 1 heure lundi après-midi, nos traversions les glaces compactes de la Baie des Sept Îles qui, comme vous le savez, est assez vaste pour contenir toute la flotte des bâtiments de guerre de la Grande-Bretagne et venions mouiller dans la grande anse qui se trouve au sud-est de la Grande Boule et qui a acquis une si triste célébrité dans la presse du pays pour avoir été le témoin du plus terrible naufrage que les annales du fleuve et du golfe St-Laurent aient eu. À enregistrer depuis un quart de siècle.
En effet, toutes les population de la Côte-Nord parlent encore, les larmes dans la voix, de cette catastrophe, arrivée le novembre 1900, et qui a jeté dans le deuil plus de vingt-cinq de nos braves familles des alentours de Québec, sans parler de la perte qui a été ressentie à Montréal par la mort si inopinée du capitaine Lemaistre, qui était universellement aimé.
Vous avez, lors du naufrage, publié dans « La Presse » force détails sur ce désastre épouvantable, dont, par un de ces secrets de la Providence qu’il ne nous est pas permis de juger, par un des témoins ne racontera jamais les éprouvantes péripéties. Tous ces détails ont été racontés dans votre journal, pour ainsi dire, un peu au hasard, d’après les informations recueillies de braves gens qui étaient encore sous le coup de la plus pénible émotion : j’ai cru pour cela devoir vous faire un rapport circonstancié sur le naufrage du « St. Olaf », omettant, autant que possible, les principaux détails, que vous avez déjà publiés, et me confinant aux faits qui peuvent ouvrir les yeux à nos gouvernants et être une leçon sérieuse pour l’avenir à la navigation. Je rétablirais ainsi la vérité sur une infinité de choses qui ont eu cours dans certains journaux, qui ont été même jusqu’à accuser de piraterie l’hospitalière population qui vient de nous recevoir à bras ouverts.
À quelques cinquante pieds de l’endroit dans lequel je vous écris ces lignes sont les épaves du steamer « St. Olaf ». J’ai passé l’après-midi à visiter ces tristes vestiges qu’emprisonnent encore des glaces massives. La chaudière du steamer, qui doit bien peser 25 tonnes, sort de l’eau et est presque toute recouverte de glaces. Elle est exactement au 66ième degré, 16 minutes de longitude, par 50 degrés, 8 minutes de latitude. C’est là que doivent être les principaux débris du navire naufragé, au fond de l’eau, sur la batture que signalent les cartes de l’amiral Bayfield.
À une profondeur d’environ dix pieds, on voit les parois toutes tordues de la coque du navire. En gagnant vers terre, émergeant au dessus des glaces à environ 180 pieds du plein, on perçoit une partie de la proue du navire. Toutes ces grosses pièces de fer sont bossuées et tordues. Naturellement ces tristes débris sont aux trois quarts recouverts de glaces épaisses et il faut s’armer du pic et de la pelle pour en bien établir l’identité.
Sur le rivage, au pied de la côte de la Grande Boule, qui s’élève à une hauteur de 900 pieds, on voit la chambre déserte du capitaine presque intacte et que les neiges n’ont pu ensevelir. C’est dans cette pièce du « St. Olaf » que se tenait le capitaine Lemaistre, que fut trouvé le chronomètre du bord marquant exactement 12.20. La grève de l’anse se compose de grosses roches rondes qui viennent se perdre au pied de la falaise, qui est très à pic et dont les sapins rabougris trouvent leur subsistance dans les fissures de cet énorme rocher. Aucune habitation, aucune âme qui vive sur cette île qui peut avoir deux milles dans sa plus grande longueur sur un mille de largeur.
Nous avons passé l’après-midi à fouiller sous les quatre à cinq pieds de neige pour trouver les cadavres des malheureux naufragés. À chaque coup de pelle, nous découvrions qui, un baril vide, qui, un banc, une couchette, des oreillers, des bouées de sauvetage, etc.
Entre deux grosses roches, j’ai trouvé un lambeau de chair humaine mesurant un peu plus d’un pied de long. Ce morceau de chair gelée semble être le cuir chevelu d’un corps humain. Mes faibles connaissances en anatomie faisaient naître à cet égard des doutes dans mon esprit, mais les vieux loups de mer que nous avons à bord firent disparaître mon incertitude en m’expliquant ses furies de la mer, qui, de même qu’elles réduisent en aiguillettes des pièces de bois d’orme et de chêne, d’un pied d’épaisseur, savent déchiqueter encore mieux un corps humain en mille morceaux.
Les ténèbres nous prirent juste au moment dans lequel je venais de faire cette lugubre découverte, que j’ai enveloppée religieusement dans un linge pour le confier au premier médecin de la côte que nous rencontrerons. Si le temps le permet nous continuerons demain nos recherches.
Ces pauvres victimes n’ont pas dû souffrir beaucoup avant d’être appelées devant leur Créateur. Une montagne d’eau poussée par le fort vent d’est qu’il faisait a dû les balayer sur la côte ou leur briser la tête sur les rochers de la falaise. Ils dorment leur dernier sommeil ensevelis sous d’épaisses neiges en attendant que les chauds soleils du printemps viennent rendre leur dépouille mortelle aux parents désolés.
Aidé de l’expérience des capitaines Bégin et Lacombe qui ont passé près de cinquante ans de leur vie à secourir les naufragés et après la visite minutieuse que j’ai faite des lieux sinistres, ainsi que les circonstances dans lesquelles ce déplorable accident est arrivé, il m’est facile de retracer aussi fidèlement que possible ce navrant tableau. Le « St. Olaf » est parti de Sheldrake à 1.30, le temps était au beau, le steamer était dû aux Sept Îles vers les 6 heures. Un gros vent d’est qui s’était élevé en route retarda sa course sur la Pointe St. Charles. De dernier endroit le capitaine Lemaistre crut devoir chercher un havre de refuge sur la route des Sept Îles. À quelques vingt milles de la Pointe St. Charles il aurait pu s’aligner sur le phare de l’Île du Carrousel; malheureusement, la neige épaisse qui était poussée par un vent d’est de 60 milles à l’heure l’empêchait complètement de voir la lumière.
Ici je me permets d’ouvrir une parenthèse pour me faire l’écho de nos navigateurs de la côte nord et pour appuyer sur l’utilité qu’il y aurait d’installer sur l’île du Carrousel qui est le point d’alignement de tous les steamers et voiliers qui font la côte nord, l’une des sirènes d’alarme qui rendent de si grands services dans les temps de brouillards ou de neige. On s’accorde à dire que s’il y avait eu un de ces sifflets d’alarme l’infortuné capitaine du « St. Olaf » eût pu diriger la marche de son navire à l’abri de la Grande de Boule, en passant par le côté ouest dans le magnifique port de refuge qu’offre la Baie des Sept Îles. Combien de morts auraient été épargnées par ce vent d’est impétueux contre lequel la machine devait être presque impuissante, sans compter que l’aiguille de la boussole a peut-être été affolée par la présence des mines de fer de Moisie.

N’est il pas probable que le « St. Olaf » a donné contre les récifs qui bordent l’île escarpée sur lesquelles nous couchons ce soir? Cela ne peut faire de doute pour personne. Du moment que le steamer eut touché fond avec le vent qu’il faisait, ça ne fut que l’affaire d’un instant pour le mettre en pièces: corps et biens étaient jetés à la côte.
Votre représentant a eu de longues entrevues au sujet du naufrage du « St. Olaf » avec nombre de personnes de la côte sud. J’ai résumé dans les lignes suivantes les opinions émises par MM. Simon P. Ross, représentant de la compagnie de la Baie d’Hudson : P. E. Vignault, maître de poste des Sept Îles : François Gallien, réparateur de la ligne télégraphique; D.J. Smith,; Alfred Vallée; Joseph Gamache; Clovis Vignault, tous des gens consciencieux qui ont fait tout ce qui était humainement possible de faire pour porter secours aux malheureux naufrages.
« C’est le 22 novembre dernier, voyant que le « St. Olaf » était douze heures en retard, que la côte commença à s’inquiéter sur le sort du navire. Dans la soirée du 21, il avait fait une tempête de neige terrible qui avait duré 5 heures. On croyait généralement que le capitaine avait été prendre le large pour éviter tout danger et qu’il serait bientôt signalé à Anticosti. On ne pouvait se faire à l’idée d’un naufrage. Le 23 novembre, n’ayant aucune nouvelle du steamer qui avait fait le poste de Sheldrake vers une heure, mercredi après-midi, on décida d’organiser une expédition pour chercher auteur des îles si le « St. Olaf » n’aurait pas touché quelque part.
« Il faut vous dire que ce n’était pas mince besogne, à cette saison de l’année surtout, d’entreprendre de visiter ces îles qui sont autant de récifs immenses et distances de la terre de sept à neuf milles. On organisa dans une partie d’explorations qui se mit en route au petit jour le samedi matin, emportant des provisions pour une semaine, ainsi que des tentes. Île aux Basques, le Carrousel, la Petite Boule furent successivement visitées…
Note de la rédaction : À cet endroit le plus intéressant de la dépêche, la compagnie de télégraphe nous informe qu’il vient de se produire une interruption dans sa ligne télégraphique sur la côte Nord du golfe St. Laurent. Si l’accident est réparé à temps, nous donnerons la suite de la dépêche en notre dernière page du numéro de ce jour. Autrement, il nous faudra la renvoyer à demain…
(Texte publié le 27 mars 1901).

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