
La Nouvelle-France (le Canada) au XVIe et XVIIe siècles : Les nations en présence
Entre le XVIe et le XVIIe siècle, il se produisit d’importants déplacements de populations dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Les Iroquois, agriculteurs mi-sédentaires, qui à l’époque de Jacques Cartier occupaient plusieurs villages dans la basse vallée, dont celui d’Hochelaga dans l’île de Montréal, avaient disparu lorsque les Français vinrent y fonder un établissement.
Rien n’est encore tranché quant à longueur de leur séjour le long du fleuve, les circonstances de leur retraite et leurs relations antérieures avec les peuple algonquiens. La correspondance exacte entre les groupes linguistique et les modes de vie est d’ailleurs démentie par les habitudes quasi nomadiques de certains groupes iroquois et la pratique d’une agriculture marginale par un grand nombre de tribus algonquiniennes.
Des adaptations rapides à l’environnement et aux voisinages ont certainement atténué les clivages entre ces cultures (D. Jenness, Indians of Canada, National Museum Bulletin, #65, Ottawa, 1955, 3e édition ; L. H. Morgan, League of the Ho-de-No-Sau-Nee, Iroquois, New York, 1904 ; A. C. Parker, « Origins of the Iroquois », American Anthropologist, XVIII (1916) ; George T. Hunt, The Wars of in the Iroquois. A study in Intertribal Relations, Unviersity of Wisconsin Press, 1960 ; N. Fenton, « Problems Arising From the Historic Northeastern Positions of the Iroquois », Essays in Historical Anthropology of North American, Smithsonian Miscellaneous Collections, # 100, Washington, 1940 ; W.A. Ritchie, Prehistoric Settlement Patterns in Northeastern North America, Viking Fund Publications in Athropology, #23 (1954) ; B.G. Trigger « Settlement as an Aspect of Iroquoian Adaptation at the tIme of Contacts. American Athropologist, 65, février 1963). , Les Français s’installent dans un pays à peu près inoccupé mais leur présence, comme celle des Hollandais sur l’Hudson, intensifie le commerce et, partant, les rivalités anciennes entre les tribus iroquoises concentrées de part et d’autre du lac Ontario (Léo-Paul Desrosiers, Iroquoisie, vol. 1, Montréal, 1947; B.G. Trigger, The French Presence in Huronia, the Structure of Franco-Huron Relations in the First Half of the Seventeenth Century, CHR, juin 1968, pp. 107-141; idem, The Mohawk-Mohican War, 1624-28 : The Establishment of a Pettern, CHR, septembre 1971, pp. 276-286). La confédération des Cinq Nations anéantit la Huronie dans la décennie qui suit la fondation de Montréal. Victoire sans lendemain, car à la concurrence huronne pour les marchés septentrionaux vient se substituer celle des Outaouais et autres Algonquiens, qui deviennent les principaux fournisseurs des Français. Pour que les fourrures continuent de descendre à Québec et non à la Nouvelle-Amsterdam, ces derniers s’efforcent de consolider leurs alliances et de soumettre les Iroquois. C’est une politique tortueuse, commerciale expansionniste et agressive, militairement pusillanime et défensive (Voir les ouvrages de W.J. Eccles, en particulier Frontenac, the Courtier Governor, Toronto, 1959).
À partir de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, ces rivalités se fondent dans les conflits franco-anglais et les Amérindiens apparaissent surtout comme des mercenaires à la solde des occupants (Georges T. Hunt).
Sur les territoires actuels du Québec et de l’Ontario, dans un secteur de 800 km de rayon dont Montréal serait le centre, la population indigène peut atteindre 80 000 (ce sont évidemment des chiffres approximatifs avancés il y a déjà longtemps, mais, contrairement aux travaux en cours sur la démographie de l’Amérique latine, les études plus récentes n’ont pas tendance à les renforcer). Les frontières de l’Iroquoisie commencent à quelque 250 km et, avec environ 50 000 habitants au total et nombre de villages qui en comptent mille et plus, c’est le seul noyau de densité relativement forte.
Il n’y a guère plus de 4 000 Algonquins éparpillés au nord du fleuve ; quelques bandes éparses de Mohicans qui, des frontières imprécises de la Nouvelle-Angleterre, s’aventurent près des habitations françaises : ce sont les voisins immédiats. À l’ouest, depuis la rivière Outaouais jusqu’aux concentrations du lac Michigan, les Ojibwas qu’on estime à 20 000, forment un groupe plus compact, mais ils sont rarement plus que des hôtes de passage dans la colonie.
Les Cris du nord n’y descendent qu’occasionnellement. Les Montagnais ne s’aventurent pas vers l’ouest et les Micmacs et Abénakis fréquentent peu la plaine de Montréal avant le XVIIIe siècle. Entre ces populations diffuses autour de l’immense bassin hydraulique et les Français qui viennent occuper le bas pays, des rapprochements se font en dépit des distances.L’apostolat, le commerce et la guerre suscitent très tôt entre les deux races des contacts que la répartition du peuplement n’imposait pas de prime abord.
Grâce aux travaux des anthropologues et de quelques ethno-historiens, nous commençons à mieux connaître la civilisation pré-colombienne, à mieux comprendre la nature des conflits créés par ces premiers contacts (H.E. Driver, Indians of North America, Chicago, 1969; C. Wissler, Histoire des Indiens d’Amérique du Nord, Paris, 1969; B.G. Trigger, The Huron : Farmers of the North, Case Studies in Cultural Anthropology, New York, 1969). Tandis qu’on réussit peu à peu à abstraire les traits culturels de ces sociétés et leurs modifications, à partir des interprétations particulières avancées par les témoins qui nous les ont décrits, ces mêmes représentations éclairent les variations dans les modes d’appréhension intellectuelle de la société témoin (Benjamin Bissell, The American Indian in English Literature of the Eighteenth Century, New-Haven, 1925; Gilbert Chinard, l’exotisme américain dans la littérature française au XVIe siècle, Paris, 1911; idem, L’Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, 1913; René Gonnard, La légende du bon sauvage, Paris, 1946 ; Paul Hazard, La crise de la conscience européenne, 1680-1717, Paris, 1935. ). Mais ils exaltent les vertus innées de leurs catéchumènes et penchent à l’occasion vers un certain relativisme éthique, ni La Hontan par lequel s’expriment les amertumes et les espoirs d’un XVIIIe siècle naissant, ni aucun autre des administrateurs et chroniqueurs, sur qui s’appuient nos connaissances incertaines, ne sont représentatifs de la masse des colons.
(Par Louis Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle. Éditions Librairie PLON, Paris et Montréal, 1974.)

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