La nationalité
par Châteauguay Perrault
La nationalité est devenue surtout aujourd’hui d’une grande importance dans le domaine du droit international. La nationalité soulève plusieurs problèmes. La définition même de la nationalité prête à équivoque. Les frontières entre les pays constituent de moins en moins des cloisons étanches. Des étrangers vivent toujours en assez grand nombre en chaque pays : ces personnes qu’on appelle étrangères par opposition aux nationaux ont beaucoup de liberté et aussi d’obligations à remplir. Les étrangers ne sont plus des « hors la loi » comme cela a déjà existé ; il devient parfois difficile de distinguer le national de l’étranger.
Il paraît juste de définir la nationalité : « L’expression juridique du fait qu’un individu est plus étroitement lié, rattaché à la population d’un État déterminé qu’à celle de tout autre ». Le national est donc celui qui a, à la fois, le maximum de droits et d’obligations dans un pays donné. Il y a lieu de distinguer la nation de l’État. La nationalité a deux sens selon qu’on la considère par rapport à l’État ou par rapport à la nation : la nationalité a donc un sens social et un sens juridique. Dans le sens social, la nationalité indique le lien qui relie un individu à une nation : c’est la nationalité en rapport avec le fameux « principe des nationalités ».
La nationalité dans le sens juridique indique le lien qui unit un individu à un État.
« L’État », selon Fauchille, « est une réunion permanente et indépendante d’hommes, propriétaires d’un certain territoire commun, associés sous une autorité commune organisée dans le but d’assurer à chacun le libre exercice de sa liberté ». « La nationalité », d’après Johannet, « est l’idée d’une personnalité collective, variable d’inspiration, de conscience, d’intensité et de grandeur relative à l’État, soit qu’elle représente un État unifié disparu, soit qu’elle coïncide avec un État unifié existant, soit qu’elle aspire ou se prête à former un État unifié futur et qui cherche dans des caractéristiques naturelles d’origine, la justification de son identité comme de ses prétentions ». C’est la nationalité dans le sens social du mot.
On constate que l’État et la nation sont bien différents, exemple : la nation canadienne-française existe mais l’État canadien-français n’existe pas. Il peut arriver que l’État et la nation coïncident, exemple : l’État français et la nation française.
En droit international public il n’y a que les États qui ont des droits et des obligations ; autrement dit, les États seuls ont une personnalité juridique en droit international. À chaque État correspond une nationalité dans le sens juridique du mot. Les États peuvent être souverains ou non souverains. Même pour les pays non-souverains (ex: pays sous mandat ou sous protectorat. États vassaux), il y a une nationalité. Les Dominions britanniques ne sont pas de véritables États ; ils ont cependant une personnalité juridique qui leur permet d’avoir une nationalité.
On s’est souvent demandé si les États étaient libres de légiférer à leur guise en matière de nationalité ou s’ils étaient liés, empêchés de ce faire d’après les règles du droit international. C’est là une question fort controversée et les auteurs tout en admettant que dans une certaine mesure le pouvoir législatif de chaque État est limité ne s’entendent pas parfaitement sur les bornes à attribuer à la compétence législative des pays. Il est cependant généralement reconnu que les États tout en laissant une assez grande liberté d’action en matière de nationalité ne doivent pas conférer leur nationalité aux enfants naissant sur leur sol de personnes jouissant d’immunité diplomatique. Il est également contraire au droit des gens d’attribuer à des individus la nationalité d’un pays parce qu’ils seraient des adeptes de telle religion ou qu’ils seraient imbus de tels principes politique ou économique.
La nationalité s’acquiert soit par la naissance sur le sol de tel pays (c’est le système jus soli) soit par l’acquisition de la nationalité des parents (c’est le jus sanguinis). La femme mariée acquiert dans certains pays la nationalité de son mari ; mais dans d’autres le mariage n’a aucun effet sur la nationalité. Après la naissance, la nationalité peut s’acquérir soit par la naturalisation qui est l’acquisition individuelle volontaire que fait une personne de la nationalité d’un État en se conformant aux conditions établies par cet État, soit par le remaniement de territoires à la suite de traités de cessions.
La nationalité donne naissance à trois grands problèmes. Ce sont l’apatridie, la multinationalité et la preuve de la nationalité. L’apatridie est le statut de celui qui ne se rattache à aucun État, qui n’a aucun lien d’allégeance vis-à-vis d’un État ou d’un chef d’État. La multinationalité est l’état de celui qui a deux ou plusieurs nationalités. Enfin, la preuve de la nationalité se présente sous divers aspects : elle est particulièrement difficile quand on a affaire au multinational. Les principes de preuve seront différents selon que la question de la preuve de la nationalité surgira devant un des tribunaux du multinational, devant le tribunal d’un État tiers ou devant un tribunal international.
La nationalité britannique à laquelle nous appartenons fut pendant longtemps presqu’uniquement définie par le Common Law, la législation n’étant venu que dernièrement compléter et même remplacer le Common Law. La première loi de naturalisation britannique date de 1844. Avant cette époque il n’y avait pratiquement que le bill privé qui permît la naturalisation d’un étranger. En 1870, la loi de 1844 sur la naturalisation fut abrogée et remplacée par une autre plus complète ; la loi de 1870 faisait disparaître l’allégeance perpétuelle.
C’est donc depuis 1870 qu’il n’est plus vrai de dire: « Once a British Subject, always a British Subject ». Par la loi de 1870, les Self-Governing Dominions avaient le pouvoir d’adopter une loi de naturalisation ; cette loi de naturalisation coloniale ne valait pas en dehors des frontières de la colonie : ainsi quelqu’un naturalisé au Canada entre 1883 et 1914 n’était sujet britannique que par rapport au Canada. Cet état de chose causa de nombreuses plaintes. Sir Wilfrid Laurier disait qu’un sujet britannique quelque part devrait l’être partout. A la conférence impériale de 1907, on chercha à unifier la législation de la naturalisation pour tout l’Empire, mais les colonies à proximité des peuples de couleur voulant demeurer pays de race blanche firent échouer les tentatives d’unité.
À la conférence impériale de 1911 le projet fut de nouveau étudié et l’on en vint à un compromis : l’unité de la législation pour la naturalisation fut établie mais chaque Dominion demeurait libre de régler son immigration. Les principes établis à la conférence impériale de 1911 furent incorporés dans une loi du parlement impérial en 1914 ; cette loi fut adoptée, (et devrait être adoptée), par les Dominions pour ce qui a trait à la naturalisation du moins.
En 1921, le Canada vota la loi des ressortissants du Canada. L’Union de l’Afrique du Sud adopta une loi du même genre pour ses ressortissants.
Cette loi avait pour but de distinguer les sujets britanniques de tel ou tel dominion, des sujets britanniques tout court. Cette loi permettait la présentation pour l’élection comme membre ou juge de la Cour permanente de Justice Internationale d’un groupe national canadien. Mais cette loi nous permet aussi d’attribuer à certains individus une nationalité purement canadienne dans le cas où ces individus n’auraient pas la nationalité britannique.
Depuis la fin de la guerre de 1914 surtout, les Dominions britanniques sont devenus des personnes de droit international : ils ne sont ni des États ni des colonies. Ce sont des entités comme il ne s’en est jamais présenté dans l’histoire du droit international.
Il faut donc conclure que la nationalité en rapport avec le British Commonwealth of Nations aurait un caractère tout à fait singulier.
Les ressortissants d’un Dominion britannique devront s’appeler « sujets britanniques ressortissants de tel Dominion », exemple : Canada. Ces sujets britanniques sont des sujets britanniques ayant une marque additionnelle, une note personnifiante.
Le sujet britannique tout court sera le sujet britannique qui se rattache à la Grande-Bretagne, celle-ci étant le seul État souverain du British Commonwealth of Nations qui se compose outre de la Grande-Bretagne, du Dominion du Canada, de l’État libre d’Irlande, de l’Union de l’Afrique du Sud, du Commonwealth d’Australie, du Dominion de la Nouvelle-Zélande. Il peut arriver en certains cas qu’un individu n’ait que la nationalité d’un Dominion, ainsi : l’enfant qui naît à l’étranger d’un père britannique ressortissant du Canada lui-même né à l’étranger, conserve la nationalité britannique, si sa naissance a été enregistrée à un consulat britannique et s’il réclame sa nationalité britannique à l’âge de 21 ans. La loi des ressortissants du Canada ne fait pas une telle réserve et déclare ressortissants du Canada tous ceux nés à l’étranger d’un père ressortissant du Canada. Il peut en conséquence arriver des cas où un individu serait canadien sans être britannique.
Le Canada pourrait faire plus de distinctions qu’il ne le fait en pratique entre le sujet britannique – britannique tout court et le sujet britannique ressortissant du Canada ou le ressortissant canadien. L’État libre d’Irlande n’a jamais adopté la loi de nationalité britannique impériale. Il s’est donne une loi de nationalité purement irlandaise ; son statut semble à l’heure actuelle assez vaguement défini. Il sera peut-être précisé par la Conférence Impériale cet été.
Châteauguay Perrault
L`Action universitaire, volume 3, numéro 6, mai 1937

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