Montréal refuse de nouveaux logements

Comment Montréal refuse des milliers de nouveaux logis

Ottawa, 7 février 1950. – Serait-ce une grossière illusion d’optique ? Peut-être bien que oui et peut-être bien que non aussi. Mais on a de plus en plus d’impression, plutôt décevante à Ottawa que la crise du logement ça n’existe pas à Montréal ; que ce que les journaux de cette ville en disent n’est qu’histoires de vieilles femmes : qu’au contraire toutes les maisons à louer ou à acheter aux prix modiques qu’il faut ; que la loi Winters sur l’habitation est un vulgaire chiffon de papier c’est, dans Québec, du pareil au même.

Depuis en effet que le gouvernement Saint-Laurent, au cours de la dernière session, a fait apporter par le parlement de radicales modifications à cette législation, de façon à en faire vraiment l’instrument qui va régler la crise nationale du logement, l’administration de Montréal et, davantage, celle de la province de Québec semblent vouloir ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire.

Deux coupables

Toutes deux elles ignorent cette solution qu’on leur a mise dans les mains, que c’en est décourageant. Pas une seule fois, elles n’ont manifesté la moindre velléité de s’en servir. C’en devient scandaleux, quand on se rend compte de ce qui s’accomplit ailleurs.

Montréal et l’Union Nationale de l’honorable Maurice Duplessis ont, c’est entendu, bien d’autres chats à fouetter. Mais on ne peut que s’irriter de les voir, sur un terrain aussi éminemment social que celui-là, se laisser sans cesse darner le pion par d’autres parties du pays.

La presse de ce matin, encore, annonçait en manchettes que l’Ontario, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve, s’autorisant de cette excellente loi Winters, sont à la veille de signer des ententes fédérales-provinciales qui auront, entre autres résultats, celui de les aider à combattre le chômage.

L’Ontario bat la marche

C’est l’Ontario, comme toujours, qui semble le plus près de bénéficier de la généreuse collaboration que le gouvernement fédéral offre à tous les Canadiens, à ceux du Québec comme d’ailleurs.

Il faut dire que les municipalités ontariennes, à commencer par celle d’Ottawa, n’ont pas été lentes à comprendre tous les avantages qu’elles auraient de tirer le plus de profit possible de la loi Winters. Celle-ci était à peine adoptée qu’elles mettaient énergiquement la main à la pâte et qu’elles s’occupaient d’exercer, sur le gouvernement conservateur de M. Frost, toutes les pressions nécessaires.

Et même si Toronto avait été d’aussi mauvaise volonté que l’est Québec à ce sujet, et ce n’est pas le cas, il n’aurait pas pus ne pas agir. On lui aurait forcé la main. Dès la mi-décembre, Ottawa réclamait 3,000 maisons.

Ce que Montréal refuse

On avait calculé dans le temps que, si Montréal, bien plus fort à Québec qu’Ottawa, ne l’est à Toronto, avait simplement fait preuve du quart de l’énergie que l’administration municipale outaouaise a montrée, c’est 30,000 maisons au minimum qu’il aurait pu obtenir, sans dépenser un cent des millions de son budget.

Ottawa aura ses 3,000 maisons et d’autres villes ontariennes en auront autant ou plus. Dès l’ouverture de la session, l’Assemblée législative de Toronto sera invitée par M. Frost à autoriser le gouvernement provincial à aller de l’avant avec ces projets.

Les logements qu’on construira seront destinés à de petits propriétaires. M. Frost croyant qu’on ne fera jamais rien de mieux que de multiplier le nombre de cette sorte de citoyens. Le gouvernement national et Toronto se chargeront seuls de la dépense, le premier dans la proportion de 75 p.c., le second dans celle de 25 p.c. On revendra le tout à de très bonnes conditions, sans rechercher de profit, à des milliers d’Ontariens, qui bientôt connaîtront enfin la joie d’avoir leur toit bien à eux au-dessus de leur tête.

Maisons à louer

À Terre-Neuve, c’est de logements à louer, à des prix modiques, dont on a besoin. On les aura aussi parce que le gouvernement provincial de M. Smallwood prend très au sérieux, comme il doit l’être, le problème de l’habitation.

Comme en Ontario, Ottawa paiera 75 p.c. Du coût de ces maisons et Terre-Neuve les autres 25 p.c. Et même les Terreneuviens qui n’auraient pas les moyens de les habiter pourront s’y, loger, car l’administration Smallwood est déterminée, à ce qu’on dit, à subventionner le loyer de ses plus pauvres administrés.

En Colombie-Britannique, on est à préparer des plans avec le plus grand soin. Le gouvernement de cette province a invité toutes les administrations municipales, frappées d’une crise du logement, à une assemblée où des experts fédéraux leur ont expliqué la loi Winters. Depuis, ces municipalités s’occupent d’établir des commissions intergouvernementales qui administreront les pâtés de logements qu’on fera partout sortir de terre.

Au Nouveau-Brunswick, les villes de St-Jean et de Moncton sont déjà choisies comme devant être les premières où le gouvernement d’Ottawa et celui de Fredericton, à 75 % pour le premier toujours et à 25 % pour le second, bâtiront des maisons à ceux qui n’en ont pas.

Inertie dangereuse

Et pendant qu’on se remue et qu’on obtient des résultats étonnants dans ces provinces et dans ces villes, la province de Québec et Montréal, oubliant la crise de l’habitation, ne font pas un geste.

Et la loi Winters reste là, inopérante pour des dizaines de milliers de familles québécoises, tout simplement parce que M. Duplessis veut avoir l’air de se battre avec Ottawa ; parce que leurs administrations municipales n’ont pas le courage de prendre le taureau par les cornes et de dire à M. Duplessis que sa bataille pour rire on en a assez, et que c’est autre chose que des coups d’épée dans l’eau qu’on attend.

Puisqu’on tient tant dans l’Union nationale à guerroyer contre le reste de la nation, il serait peut-être de bonne stratégie de penser que, parmi les familles que M. Frost, le successeur du Colonel Drew, va loger convenablement, il y en a peut-être des centaines qui sont de ces familles britanniques ou hollandaises qu’il n’y a pas si longtemps le chef du parti conservateur progressiste faisait venir par milliers et par avion, en Ontario.

Donner des maisons aux familles québécoises qui doivent s’en passer aujourd’hui ce pourrait être aussi donner une réponse à ces gens qui rêvent de noyer, sous des flots d’immigrants, l’accroissement naturel de notre groupe ethnique. Qu’on y réfléchisse un peu pour voir.

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