Monica la Mitraille, extrait du roman

Monica la Mitraille, extrait du roman de Georges-Hébert Germain

Nous présentons au lecteur un extrait du roman de Monica la Mitraille, publié pour la première fois en 1997 (le titre original est Souvenirs de Monica :

Quand il faisait beau et qu’on pouvait travailler six jours de suite, Steve pouvait facilement tirer près de deux mille dollars par semaine à gratter, poncer et peinturer les poutrelles du pont Jacques-Cartier. Mais ce n’était jamais assez à son goût. Il s’ennuyait. De plus, il était équipé de la gueule de bois presque tous les matins. Pendant une couple d’heures, il ne parlait à personne et ne souffrait pas qu’on lui parle. Dès que son mal de tête se dissipait, il devenait intarissable et intraitable. Il racontait par le menu des coups qu’il rêvait de faire, ou il parlait des fortunes que sa mère Monica avait amassées et dilapidées, volant les riches, donnant aux pauvres, de la puissance de sa famille, les Sparvieri… Il présentait sa mère comme une héroïne extraordinaire, plus grande que nature, lui prêtant des faits et des prouesses à la limite du croyable, des vols de banque hautement spectaculaires en Ontario, aux États-Unis, dans tous les coins et recoins du Québec. Il disait qu’elle faisait peur aux policiers, qu’elle leur envoyait des photos d’elle en bikini avec une mitraillette et une ceinture de balles. Elle était l’amie des frères Blass et des frères Provençal, leur chef.

Un jour, elle a braqué une banque dans la région de Vaudreuil. Toute seule. La voilà qui rentre à Montréal par la transcanadienne, au volant d’une Mustang qu’elle a fait voler la veille au soir par un de ses hommes. Comme elle arrive près de l’échangeur Décarie, elle se rend compte qu’une voiture de police l’a prise en chasse. Elle fait un tête-à queue, roule en sens inverse sur l’autoroute Métropolitaine, tricote entre les autos. Il y a plusieurs accrochages et des carambolages, elle réussit à sa faufiler sur une voie d’accès qu’elle emprunte à contre-courant, forçant les automobiles qui montent à se ranger parfaitement contrôlé, elle se retrouve sur la voie de service; en moins de deux minutes, les policiers l’ont perdue de vue.

Une autre fois, elle perd la maîtrise de sa voiture sur la chausse glissante. Il avait puis gelé et plu encore. Elle a fait un tonneau, sa Chrysler renversée à percuté un pilier. Elle en sort en tenant un fusil à canon tronçonné d’une main, un sac rempli d’argent de l’autre. Et elle court dans la neige sous l’autoroute, zigzague entre les piliers, saute dans le trafic, arrête une voiture, fait descendre le conducteur et se pousse avec son véhicule.

Dans l’Outaouais, un jour, elle est prise en chasse par une voiture de police. Ses hommes la suivent quand même, pas très loin derrière. Elle se laisse rattraper par les policiers, qui tentent de la doubler pour l’intercepter. Quand ils se trouvent à sa hauteur, elle donne un coup de volant et freine brusquement; les deux voitures, la sienne et celle des policiers, prennent le champ et s’enlisent dans les labours. Les policiers sortent en vitesse, ils croient qu’ils ont enfin coincé Machine Gun Molly, mais la voiture de ses amis arrive en trombe, ralentit à la hauteur de Monica qui saute dedans et tous s’enfuient.

Et Steve reprenait inlassablement ses récits, les polissait, leur donnait du rythme, ajoutait ça et là des rebondissements, quelques carambolages… On en prenait on en laissait.

Il s’est fâché un jour après qu’un gars lui eut avoué qu’il ne connaissait pas Machine Gun Molly ni Monica La Mitraille. Il l’en traité de menteur. Il refusait de croire qu’on pouvait ne pas connaître sa mère. Il disait qu’elle avait eu raison de faire ce qu’elle avait fait, et qu’il en avait assez, lui, son fils, de perdre son temps et de risquer sa vie pour un salaire de famine en compagnie d’une bande de demeurés. Un jour, il partirait.

Il flambait presque tout l’argent qu’il ne buvait pas pour se donner un look, celui d’un caïd au-dessus de ses affaires. Il voulait toujours qu’on croie qu’il était plein aux as, qu’on se dise en le voyant que la petite vie d’ouvrier ou de commis de bureau n’était pas pour lui. Il était toujours bien mis, très souvent avec cravate et veston, chapeau mou, souliers vernis. Il ressemblait à Debbie, mais, bizarrement, très peu à leur même, dont Debbie était pourtant le portrait tout craché. Il avait les yeux de son père, Michael Burns, des yeux très noirs, sans éclat, sans lueur. On aurait dit qu’ils absorbaient la lumière. Des yeux mats, secs, peu mobiles. Il avait son caractère aussi. Et ce souci étonnant de l’ordre, de la propreté, de l’élégance.

(Georges-Hébert Germain. Monica la Mitraille. Éditions Libre Expression, Québecor Média.)

Pour en apprendre plus :

Monica la Mitraille, extrait du roman
La vraie Monica la Mitraille abattue en septembre 1967, montage – gracieuseté de VLB éditeur.

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