Migration juive au Canada

La grande migration juive au Canada, 1900-1919

Il faut attendre le début du XXe siècle pour qu’une vague migratoire juive de grande ampleur atteigne Montréal. Jusque-là, les arrivées étaient restées assez limitées sur le plan numérique et les nouveaux venus s’étaient intégrés à la population déjà en place sans attirer beaucoup d’attention sur leurs origines. Au nombre de quelques dizaines, puis de quelques centaines, les Juifs est-européens que le Québec avait commencé à accueillir peu après 1867 avaient trouvé autour d’eux les ressources pour progresser dans l’échelle sociale et pour se gagner une place au sein du réseau communautaire.

Cette époque prend fin abruptement au tournant du siècle à la faveur d’une conjoncture historique exceptionnelle. D’une part, le développement économique accéléré du Canada et de Montréal sous le gouvernement de Wilfrid Laurier (1896-1911) mise sur une politique d’immigration à grande échelle ; d’autre part, l’intensification de la répression politique au sein de l’Empire russe provoque un exode juif massif ver le Nouveau Monde. Règnent par ailleurs en Europe de l’Est des conditions générales de pauvreté et d’isolement économique qui poussent un grand nombre de personnes à l’exode.

L’ouverture du Canada aux flux internationaux, alors que s’aggrave brusquement la situation des Juifs est-européens, crée à partir de 1904 un contexte hautement favorable à des arrivées massives en provenance de l’empire des tsars. Au même moment, un essor extraordinaire de la navigation transatlantique et des transports ferroviaires favorise des déplacements peu coûteux sur de très grandes distances. Doté depuis peu d’un chemin de fer transcontinental et d’importants ports de mer en eau profonde, le Canada devient pour la première fois à cette période une destination à l’échelle mondiale.

Pratiquement du jour au lendemain, un flot soutenu d’immigrants juifs, affectés par les soubresauts révolutionnaires qui se manifestent dans les principales villes russes, se dirigent en flux constant vers Montréal et occupent une zone résidentielle près du port. Le mouvement est d’une telle intensité qu’il prend de cour les organisations caritatives juives et non juives qui s’étaient occupées jusque-là, pendant quelques semaines ou quelques mois, de prendre en charge les nouveaux venus et de leur trouver des emplois. Des échos de cette situation inédite atteignent la presse de langue française :

« Une mesure importante a été prise, hier, pour mettre à l’abri les immigrants juifs russes qui sont maintenant au nombre de huit cents à Montréal. Le comité de secours de l’Institut du Baron de Hirsch a loué un édifice spacieux au 950 Boulevard Saint-Laurent, capable de loger 400 personnes… D’un autre côté il est arrivé quarante nouveaux immigrants à Montréal pendant la journée. Il est difficile d’estimer le nombre de ceux qui arriveront encore, mais on en attend 100 ou 150 cette semaine. Le comité de secours serait heureux de recevoir des offres d’emploi des grandes corporations, des contracteurs, etc. pour du travail à la journée ou à la semaine. C’est le seul appel que l’on fait au public. Jusqu’à ce que de l’ouvrage soit trouvé pour tous les immigrants, l’Institut du Baron de Hirsch se charge de les nourrir et de les loger (tiré de La Patrie, 13 janvier 1905. Les Juifs russes).

Plusieurs raisons expliquent la concentration à Montréal de l’immigration juive à destination du Canada., dont le fait que la ville est le point d’aboutissement principal des lignes maritimes et ferroviaires qui pénètrent à l’intérieur du pays. À cette époque, l’ensemble du flux migratoire en provenance d’Europe transite d’une manière ou d’une autre par la métropole, et les Juifs ne font pas exception.

Avec 267 000 habitants en 1901, Montréal est aussi la principale ville du pays et celle où le processus d’industrialisation est le plus avancé. La forte poussée migratoire des années 1904-1914 se répercute donc plus intensément à Montréal qui partout ailleurs au pays, d’autant plus qu’un grand nombre d’emplois non qualifiés y sont disponibles.

Pour la première fois, une masse de Juifs est-européens prend pied dans la ville et occupe une place bien définie dans le tissu urbain. Au cours d’une période de seulement dix ans (de 1901 à 1911), la population juive de Montréal passe de 7 000 à 28 000 personnes ; c’est la plus forte progression démographique de toute l’histoire juive au Canada.

En très peu de temps, la situation change du tout au tout et les Montréalais peuvent observer des phénomènes inédits, telle l’apparition dans le bas de la ville d’un quartier imprégné d’une forte présence juive, l’ouverture de synagogues de grande taille et la création d’organisations qui reflètent l’identité culturelle des nouveaux arrivants. Des affiches en caractères hébraïques apparaissent sur la façade de certains édifices, tandis qu’un important prolétariat d’origine est-européenne se constitue dans les secteurs de la confection et de la production de biens de consommation courante.

(Extrait de l’ouvrage de Pierre Anctil « Histoire des Juifs du Québec ». Les Éditions du Boréal 2017).

Voir aussi :

Le silence, la plus fidèle chose qui m’ait enlacée dans la vie. (Sibilla Aleramo Le passage suivi de Transfiguration (Nouvelle). Photographie par Megan Jorgensen.
Le silence, la plus fidèle chose qui m’ait enlacée dans la vie. (Sibilla Aleramo Le passage suivi de Transfiguration (Nouvelle). Photographie par Megan Jorgensen.

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