Meurtre de deux policiers

Meurtre de deux policiers

Le juge Lazure a mis ses gants noirs trois fois

Dans ce bel après-midi du 23 septembre 1948, vers quatorze heures quinze, un jeune homme traverse la rue Notre-Dame de Montréal en courant. Il se propose d’alerter par téléphone la police quand, soudain, il aperçoit une auto-patrouille qui roule tranquillement d’est en ouest. Il fait signe aux deux policiers :

– Je viens de voir deux individus entrer dans la succursale de la Banque canadienne nationale, là, juste en face. Ils ont des mouchoirs pliés en triangle qui leur cachent le bas du visage, des lunettes fumées et des revolvers.

La voiture-patrouille bondit… le policier Nelson Paquin dégaine son revolver et, en dix secondes, arrive à la porte de la banque, au 7785 est de la rue Notre-Dame. En effet, deux hommes masqués sont à l’intérieur. L’un d’eau, qu’on identifiera par la suite comme étant Noël Cloutier, vient d’arracher le sac de dépôt d’un client, sac qui contient plus de 2,000 dollars.

Voyant le policier Paquin, Cloutier se retourne, manifestement nerveux, et tire dans son direction. Le policier tombe, mortellement blessé. Cloutier saute par-dessus les comptoirs et cherche une issue pour s’échapper par la porte arrière, tandis que son comparse, Douglas Perreault, se précipite vers l’entrée principale. Et c’est là qu’Il se trouve face à face avec l’autre policier, Paul-Émile Duranleau, qui vient de garer son auto-patrouille. Perreault tire et abat l’agent.

Richard Larrivée, témoin oculaire du hold-up, racontera plus tard :

– On entendait des coups de feu partout. Nous étions cinq personnes dans la banque, le gérant Caidieux, moi et trois caissières. Tout le monde tremblait. Nous avons vu le policier Paquin qui blessé à mort, a eu encore la force de tirer sur Cloutier pour tenter d’arrêter sa fuite. Je n’oublierais jamais ça. Il y a eu cinq chargeurs vidés dans la bagarre.

– Et vous, qu’avez-vous fait ?

– Moi ? J’ai appelé l’aumônier qui est venu donner l’absolution aux deux victimes.

Revenons aux bandits : Noël Cloutier, passant par derrière, rejoint la rue Notre-Dame par la petite rue Saint-Juste et rencontre Douglas Perreault. Là, ils cherchent des yeux une puissante Cadillac noire qui doit les attendre. Mais le chauffeur de cette voiture, Donald Perreault – sans aucun lien de parenté avec le premier – c’est enfui au bruit de la fusillade. Désemparés, les deux fuyards prennent la direction de l’ouest. Ils entendent les sirènes des policiers qui arrivent, à la suite d’un appel parti du petit restaurant du coin. Les bandits reviennent sur leurs pas et repassent devant la porte de la banque, où git toujours, agonisant, le policier Duranleau. Enjambant le corps, Douglas Perreault tire encore deux balles à bout portant sur cet homme qui se meurt. Puis les deux complices reprennent leur fuite éperdue.

Une automobile roule lentement rue Notre-Dame. Revolvers aux poings, Cloutier et Perreault l’arraisonnent, obligent le chauffeur, sa femme et ses enfants à en sortir, et partent à plein gaz. Coïncidence incroyable, le propriétaire de cette voiture qui se retrouve tout penaud dans la rue s’appelle lui aussi Perreault, le docteur Perreault !

La chasse à l’homme est maintenant déclenchée. On cerne les rues, les ponts. Une auto-patrouille réussit à rejoindre l’automobile des deux fuyards dans l’est de la ville et à la coincer à l’arrière de la rue Aird. Les malfaiteurs ouvrent soudain leurs portes et sortent en courant. Ils grimpent les escaliers de secours de deux maisons. L’un d’eux arrache la veste du maître de céans, et repart aussi vite qu’il est entré. Ce locataire abasourdi, dépouillé de sa veste, n’est nul autre que le député de Maisonneuve.

La poursuite continue et les policiers réussissent à acculer Cloutier dans une impasse. Le dangereux criminel dégaine son revolver, un puissant Luger, et vise les deux policiers. Heureusement, il n’a plus de balle ! Cloutier se rend. Quant à l’autre fugitif, Douglas Perreault, on perd complètement sa trace…

Cet attentat sauvage, où deux policiers ont trouvé la mort en service commandé, jette l’émoi dans la population montréalaise et dans tout le Québec. Les dépouilles mortelles des agents Nelson Paquin, 41 ans, et Paul-Émile Duranleau, 34 ans, sont exposées en chapelle ardente à l’annexe de l’Hôtel de Ville. Une foule dense défile durant trois jours pour leur rendre un dernier hommage. Ils ont droit à des funérailles civiles. Des milliers de Montréalais se groupent tout au long de la rue Notre-Dame et sur la Place d’Armes pour voir passer le cortège funèbre qui s’avance lentement, suivi de la fanfare des pompiers de Montréal et des délégations de tous les corps de police du Canada. Le maire Camillien Houde, coiffé de son huit-reflets noir, conduit le deuil.

Le quotidien La Presse a rempli sa première page d’une immense photo de cet événement douloureux et le rédacteur y exprime l’émotion générale, dans le style de l’époque :

« Des tours de Notre-Dame, l’église de la paroisse, le bourdon tinte avec majesté. Le carillon de ses dix cloches lance au ciel son imploration sonore. Au loin s’égrènent les notes lancinantes de la marche funèbre de Chopin ».

Le deuil n’empêche pas l’enquête de continuer et les policiers, la rage au cœur, sont résolus à  aller jusqu’au bout.

Le 2 octobre 1948, dans les lointaines prairies du Manitoba – alors presque désertes, un agent de la Gendarmerie Royale effectue sa patrouille régulière dans le district de Litherbridge. À la nuit tombante, son regard est attiré par une puissante Cadillac noire arrêtée devant une station de service de la petite localité de Taber. On ne voit pas beaucoup de Cadillac noires dans ces parages et celle-ci est du modèle 1941, l’une des dernières fabriquées par la General Motors, avant que cette compagnie ne soit réquisitionnée par la Défense Nationale américaine, après Pearl Harbour.

Le sergent Buck Buchanan est d’autant plus intrigué qu’il voit deux hommes descendre du véhicule et essayer d’égoutter dans le réservoir de leur voiture le peu d’essence qui reste dans les longs tuyaux de la station fermée. Les deux hommes donnent de faux noms et prétendent qu’ils sont en panne de carburant et d’argent. Le policier les emmène au poste et le lendemain, ils sont traduits en cour municipale sous l’accusation d’avoir volé de l’essence à la station de Taber. Ils reconnaissent leur culpabilité devant le juge que les condamne à rembourser la somme de $4 au garagiste et à payer une amende de $100 ou à purger 30 jours de prison. N’ayant pas un sou, ils se retrouvent derrière les barreaux.

Quelques jours plus tard, on affiche dans le poste de police de Litherbridge un avec de recherche concernant deux individus impliqués dans un hold-up à Montréal, suivi du meurtre de deux policiers. On annonce que les meurtriers ont pris la fuite dans une Cadillac noire. L’agent Buchanan vérifie le numéro de la voiture et communique avec la police de Montréal.

Le directeur Francœur et le capitaine William Fitzpatrick dépêchent alors quatre hommes à Litherbridge pour aller chercher Douglas et Donald Perreault. Curieusement, le shérif de l’endroit réclame les cent dollars d’amende, que doivent payer les malfaiteurs. Sinon il ne les livrera pas. Les Montréalais s’exécutent et repartent avec leurs prisonniers.

Dès que leur comparution est ordonnée, le maire de Montréal s’adresse au procureur général du Québec pour obtenir une accusation privilégiée, afin qu’on passe par-dessus les formalités habituelles de l’enquête préliminaire.

Cloutier commence à comprendre ce qui l’attend et tente, sans succès, de se suicider dans la cellule. Son procès a lieu le 24 novembre 1948. Les délibérations des jurés ne durent que 20 minutes. Noël Cloutier est déclaré coupable du double meurtre. Le juge Wilfrid Lazure met son tricorne et ses gants noirs, et c’est la sentence : « Vous serez pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive. Qui Dieu aie pitié de votre âme ».

L’avocat de Douglas Perreault, Me Alexandre Chevalier, célèbre criminaliste, tente d’obtenir un changement de venue pour que ce procès se tienne ailleurs qu’à Montréal où tout le monde est encore sous le coup de l’émotion, mais la requête est refusée.

Le procès débute le 13 décembre 1948. Il est aussi court que le premier. Les jurés ne délibèrent que 15 minutes avant de déclarer Douglas Perreault coupable. Les gants noirs du juge Lazure réapparaissent.

Le procès de Donald Perreault est instruit en janvier 1949. Cette fois-ci, les circonstances donnent lieu à plus de contestation : Me Chevalier souligne que son client n’a pas participé à la fusillade puisqu’il attendait à l’extérieur dans la fameuse Cadillac noire. Le procureur de la Couronne, Me Dollard Dansereau, réplique que le code est très strict et le complice est aussi coupable que le meurtrier. C’est aussi l’avis des jurés et le juge Lazure, pour la troisième fois, enfile ses gants noirs…

Le tragique balcon de la potence claque trois fois à la prison montréalaise de Bordeaux en cette année 1949 : le 11 mars 1949 pour Cloutier, le 17 juin pour Douglas Perreault et le 25 novembre pour Donald Perreault. Le crime et le châtiment se seront cette fois suivis de près.

(D’après Le Mémorial du Québec, tome VI, 1939-1952, Éditions du Mémorial, 1979, pages 182-187).

funerailles des policiers tombés
Les funérailles des policiers Paquin et Duranleau. Source de la photo : La Presse, 28 septembre 1948.

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