Le menu peuple des villes de la Nouvelle-France
En Nouvelle-France, un incident survenu dans la famille (accident de travail, maladie, décès du père, etc.) ou des difficultés conjoncturelles (disettes et chômage) liées à de mauvaises récoltes ou à la guerre, faisaient facilement basculer les artisans les moins aisés dans la frange la plus pauvre des citadins.
Au Canada, faisaient partie de ce groupe les manœuvres et les journaliers qui n’avaient pas de travail stable, les engagés, les jeunes filles des campagnes environnantes employées comme domestiques, ainsi que les esclaves. Les salaires relativement élevés pourraient suggérer que ces journaliers ne vivaient pas si mal. Les autorités s’émouvaient pourtant de leur sort. En 1693, le gouverneur Frontenac et l’intendant Champigny écrivaient à ce sujet : Il est vraie que les salaires des ouvriers sont forts, mais il est nécessaire en même temps de considérer qu’ils ne peuvent travailler que cinq mois de l’année à cause de la rigueur de l’hiver et qu’il faut durant ces temps qu’ils gagnent de quoi subsister durant les autres sept mois, ainsi nous ne croyons pas qu’il y ait rien à leur retrancher ayant peine à vivre.
En fait, Louise Dechêne a montré que les salaires étaient à peine suffisants en temps normal pour payer le pain quotidien et la location d’une chambre à feu. Aussi, en période de crise, de hausse des prix et de chômage, ces journaliers tombaient-ils rapidement dans l’extrême pauvreté et la mendicité. En 1683, le Conseil souverain se plaignait des mendiants qui refusaient de servir comme domestiques et préféraient vivre dans des cahutes qu’ils construisaient au pied des fortifications de la ville. »
Aux mendiants se joignaient les gens « sans aveu, ni feu, ni lieu », soit les vagabonds. C’est ainsi qu’en août 1725, l’ancien soldat Étienne Dubois, dit Saint-Étienne, fut mis en prison après avoir erré pendant plusieurs semaines dans la ville de Montréal. Il était arrivé à pied de Québec où il avait été congédié des troupes parce qu’il souffrait du « Haut Mal » (épilepsie). Pendant son voyage, il mendiait en faisant le manchot, « ayant la manche de son capot pendante et son bras dedans et demandant la charité en cet état », et en proclamant qu’il avait quatre enfants à nourrir.
Quant à Jean-Baptiste Caron, ancien maître d’école dans le Bourbonnais, il fut déporté au Canada pour faux saunage. Il vagabondait dans la colonie, sans domicile fixe, vivant des leçons qu’il donnait aux enfants des habitant qui l’hébergeaient pour quelque temps. En raison de sa vie errante, les autorités le condamnèrent au bannissement de la Nouvelle-France pour neuf ans.
En 1742, le gouverneur Beauharnois ordonna de faire arrêter tous les mendiants et vagabonds de la ville de Québec et fit patrouiller à cet effet pendant deux mois un détachement de miliciens. De la même façon, à plusieurs reprises, les autorités louisianaises envisagèrent l’expulsion de ces indésirables de La Nouvelle-Orléans.
Les veuves et les femmes abandonnées par leur mari constituaient une autre catégorie de pauvres. Elles ne survivaient à la misère qu’en mendiant et en servant occasionnellement comme servantes. En 1753, dans la ville de Montréal, la veuve de Pierre Marcil, Charlotte Dumesnil dite La Musique, faisait du porte-à-porte en demandant l’aumône pour une pauvre femme malade qui a cinq enfants ».
L’extrême pauvreté poussait aussi certaines de ces femmes aux vols et à la prostitution. En Louisiane, dès 1716, le gouverneur Cadillac notait que certaines femmes installées sur l’île Dauphine, se vendaient au tout-venant, aussi bien aux Indiens qu’aux Blancs. Dans les années 1750, Marie-Louise Baudin alias Desjardins, dont le mari Pierre Thibault dit Saint-Jean était « absent du pays, à la Martinique », ne survivait qu’en volant du linge. Un soldat convint qu’elle était connue pour « une toupie (femme peu vertueuse) qui roule dans la ville avec les autres comme elles ». Il le savait d’autant mieux que les militaires, alors fort nombreux, étaient des clients privilégiés prostituées.
(Tiré du livre Histoire de l’Amérique française, par Gilles Havard et Cécile Vidal).
À lire également :
