Mentalité politique des Canadiens et la justice au début du XIXe siècle
En tout cela la vie politique passe au second plan des préoccupations du public montréalais. Même l’administration de Sir James Craig ne paraît pas avoir provoqué dans nos murs les fortes réactions qui se produisirent à Québec. (De Craig, on a dit beaucoup de mal; et pourtant, il nous fut moins antipathique que certains de ses successeurs. Il fut souvent plus équitable et moins fanatique. Ainsi, en 1810, un certain Uniacke avait été nommé procureur général. Craig le renvoya à Londres sans cérémonie et il écrivit à lord Liverpool que sa parfaite ignorance de la langue et des lois françaises, dont la connaissance est absolument nécessaire en Canada, était un grand obstacle à l’accomplissement de
ses devoirs. – Archives canadiennes: Série Q. vol. 112, p. 224. – Lettre de Craig à Liverpool, 3 juin 1810).
On sait que ce gouverneur était entré en lutte ouverte avec la chambre des députés et qu’il avait fait jeter en prison ceux des représentants du peuple qui menaient campagne de presse dans le « Canadien ». À Montréal MM. Papineau, Corbeil et Laforce furent aussi mis en prison pour délit politique. M. Corbeil mourut quelque temps après son élargissement, d’une maladie, contractée, dit-on, à la suite de mauvais traitements subis durant son incarcération. M. Laforce, prenant sa captivité plutôt à la blague, s’amusait à dessiner sur les murs de sa cellule des boulets sortant de la gueule de canons se faisant vis-à-vis, avec la devise en-dessous: La force contre Laforce.
Les magistrats, mis au courant de cette mauvaise plaisanterie contre l’autorité, rendirent visite au prisonnier d’État et dressèrent procès-verbal de l’importante affaire. « Mon barbouillage, écrit plus tard M. Laforce, me valut un surcroit de rigueur de la part de mes bourreaux; car on craignait sans doute que mon parc d’artillerie ne fit sauter la prison. »
Il ne paraît pas que la politique agitée de Québec se soit étendue jusqu’à notre ville d’une manière alarmante. Le développement économique, le commerce actif des fourrures, le progrès de la navigation, l’expansion rapide de la métropole, tout cela rejetait au second plan les disputes parlementaires; car le public montréalais préférait de beaucoup s’occuper de ses intérêts, plutôt que de chicaner sur la politique du gouvernement. Cela est vrai surtout des Anglais, car les Canadiens, en tout cela, préféraient le rôle passif à la grande activité.
Nous connaissons d’ailleurs assez peu la mentalité réelle de la population de cette époque. À défaut de toute littérature, livres et mémoires, nous n’avons que de rares journaux et d’arides pièces officielles et officieuses pour apprécier les valeurs intellectuelles et morales du temps.
Les journaux nous renseignent très peu sur l’âme canadienne à cette période de son histoire. Le « Canadien », publié à Québec n’est pas, on le conçoit, une source abondante d’information pour ce qui se passe à Montréal; la « Gazette littéraire » est muselée par le pouvoir et devient d’ailleurs la propriété d’Anglais, Thomas Turner et E. Edwards, qui en font une simple feuille de publicité commerciale; le « Canadian Courant », fondé en 1807 par N. Mower, le « Herald », lancé par William Gray en 1811, avec 172 abonnés, le « Spectator », paru en 1814, ne sauraient refléter l’état intime des esprits français et ne nous font connaître que superficiellement la mentalité anglaise du groupe minoritaire. Sans littérature et presque sans journaux, il est aujourd’hui bien difficile de connaître l’état des esprits de ce temps-là.
La justice du temps
Il ne faudrait pas juger de la valeur morale des anciens par ce qu’en font voir les tribunaux civils et criminels; mais il est certain que la façon de rendre la justice et la sanction des lois sont des indices dont il faut tenir compte dans l’appréciation équitable de la moralité d’une génération. Les faits suivants, extraits des registres judiciaires, se passent de commentaires: William Blunt condamné à être pendu pour meurtre; Elijah Lawrence condamné pour grand larcin a été pendu (1781). Robert Middleton, coupable d’intention de viol: neuf mois de prison et $100 d’amende (1801). Frederick Gardner, Jacob Banne, Timothy O’Brien, Thomas McDonald, William Reece, James Richardson, David Price, Thomas Shepherd, coupables de grand larcin, condamnés à être emprisonnés et marqués au fer dans la main. Dietrich Hobert et François Charpentier devront être fouettés deux fois sur la place du marché à Montréal, Marie-Josette Potdevin, condamnée à être mise au bloc avec un écriteau spécifiant son crime (?) (1784). Henri Choret, Louis Mondoux, pour vol de bêtes à cornes et moutons, sont pendus. Antoine Kughle, John Miller et Dietrich Fletcher, pour recel, condamnés au bloc et à la prison.
John Abbott et Henry Arckle pour grand larcin, seront fouettés et emprisonnés. Charles Cason et Angélique Tessier son épouse, Marie Roseau, veuve Desar, pour recel, seront emprisonnés, puis promenés par la ville, la corde au cou; Marie Roseau sera de plus fouettée par le bourreau public. Michel Rames dit Decareaux, Angélique Toulouse, veuve Tessier et Marie-Louise Tessier, veuve Lamarche, pour recel, seront emprisonnés et mis au bloc (1784). (Archives Canadiennes: Série B, vol. 185-2, pp. 585 à 601).
Ephraim Whiteside, pour vol avec effraction, condamné à mort. (1803) D. McDougall, vol dans une boutique, a été pendu. S. Trask, vol de cheval, A. Vaudri, vol de mouton, P. Racicot, viol, tous pendus; J. Montreuil, vol d’un cheval, B. Clément, âgé de 13 ans, vol d’une vache, pendus. P. Dufresne, coupable de larcin, 39 coups de fouet, (1812). A. Pelletier, pour vol, 39 coups de fouet, et marqué au fer rouge. (« Le temps durant lequel le fer rouge corrodait les chairs des malheureux, livrés à ce supplice, variait suivant la rapidité de leur élocution: l’instrument, appuyé sur le creux de la main, ne se relevait pas avant que le patient n’eût prononcé trois fois les mots (« Vive le Roi » ou « God Save the King ». — LeBlond de Brumath: Histoire populaire de Montréal, 1926, p. 195.) D. Emmanuel, vol d’un cheval, pendu. L. Fortin, vol d’un cheval, pendu (1815). Deux faussaires, N. Gauson et A. Jeffreys furent exécutés le 11 janvier 1823.
Voir aussi :
- Ligne du temps : Le Bas-Canada (le Québec) en 1810
- Le Québec en 1811
- Le Québec en 1823
- Montréal au début du XIXe siècle