Menace d’une insurrection au Canada vers la fin du XVIIIe siècle
Pendant près de quatre ans, de février 1789 à décembre 1792, la presse canadienne suivit avec un enthousiasme non déguisé les progrès de la Révolution en France. Qui plus est, La Gazette de Montréal, éditée par le Français Fleury Mesplet, voulut profiter de l’événement pour « accentuer son combat contre le clergé et la religion, contre la noblesse et les seigneurs de la province » et « appliquer certains principes révolutionnaires à la situation canadienne ». Inquiet à bon droit de l’attitude favorable de la presse canadienne face à la Révolution française et des tendances révolutionnaires du journal montréalais, Mgr Hubert voyait en outre avec peine l’émergence d’une intelligentsia laïque hostile à l’Église et à la religion, à la fin de 1790, la « Société des Patriotes » avait fait paraître dans « La Gazette de Montréal » un article virulent contre le clergé -, et l’engouement pour un mouvement révolutionnaire qui avait déclaré la guerre à l’Église de Rome.
À la fin de 1793, au moment des rumeurs de l’arrivée d’une flotte française dans le Saint-Laurent « pour sonder les dispositions des Canadiens » et les exciter à l’insurrection, et après qu’eût circulé au Canada l’adresse « les Français libres à leurs frères du Canada » les invitant à suivre l’exemple des Français et des Américains et à rompre avec un gouvernement « devenu le plus cruel ennemi de la liberté des peuples », l’évêque de Québec décida d’intervenir publiquement.
Le 9 novembre 1793, il enjoignit aux curés de rappeler aux fidèles qu’ils devaient, depuis le traité de Paris que avait fait d’eux des sujets britanniques, fidélité et obéissance au roi d’Angleterre ; que le serment qu’ils avaient prêté, eux et leurs pères, au souverain britannique, les liait « de telle manière qu’ils ne sauraient le violer, ans se rendre grièvement coupables envers Dieu lui-même »; que le plus grand malheur qui pût arriver au Canada serait de tomber en la possession de ces révolutionnaires » ; qu’ils devaient enfin tout mettre en œuvre pour « éloigner les Français de cette Province. »
La menace d’un soulèvement au Canada, en 1793, n’eut point de suite. La France républicaine, en guerre contre l’Angleterre depuis le début de 1793, ne songea jamais sérieusement à envahir le Canada. En outre, la presse canadienne se montrait désormais hostile à la Révolution qui avait dégénéré en un mouvement sanguinaire. Fleury Mesplet, enfin, le chef de file des intellectuels canadiens, était décédé en 1794.
La présence d’émissaires français à la frontière américaine en novembre 1796 n’inquiète pas outre mesure les autorités britanniques et l’évêque de Québec, qui jugea néanmoins plus prudent de rappeler aux Canadiens « les principes de loyauté, d’obéissance et de fidélité au gouvernement » et de les mettre en garde contre « tout esprit qui pourrait leur inspirer ces idées de rébellion et d’indépendance, qui ont fait depuis quelques années de si tristes ravages, et dont il est si fort à désirer que cette partie du globe soit préservée pour toujours. »
Du reste, la fermeté des autorités britanniques qui pendirent sur la place publique en juillet 1797 David McLane, convaincu de haute trahison, et la situation politique en Europe, peu propice à une intervention française en Amérique, mirent un terme à tout projet de soulèvement de la part des Canadiens.
En 1799, au moment de célébrer la victoire de l’amiral Nelson sur la flotte française à Aboukir, le futur évêque de Québec, Mgr Plessis, brossait un tableau saisissant des horreurs de la Révolution française, qualifiant la conquête de la Nouvelle-France en 1763 de providentielle :
« Quel bonheur pour nous que la Providence nous en (de la France) ait détachés avant qu’elle s’abandonnât à ce déplorable aveuglement, et nous ait soumis, par une bonté que nous ne méritons pas et que nous ne pouvons assez reconnaître, au Gouvernement libéral et bienfaisant, de Sa Très Grande Majesté le Roi de la Grande-Bretagne. »
(Tiré du livre L’Image de la Révolution française au Québec. Sous la direction de Michel Grenon. Éditions Hurtubise HMH Cahiers du Québec/Histoire).
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