Le véritable enjeu : les pêcheries
Au moment des négociations du traité d’Utrecht, la France avait un peu distraitement renoncé à la baie d’Hudson, à Terre-Neuve et à une Acadie aux frontières imprécises, mais elle avait gardé un accès aux pêches. L’article 12 interdisait aux Français d’établir sur l’île de Terre-Neuve, « aucune habitation en façon quelconque, si ce n’est des échafauds et cabanes nécessaires et usitées pour sécher le poisson » qu’ils pouvaient pêcher dans une zone précise depuis le cap de Bonavista jusqu’à Pointe-Riche. Par ailleurs l’île du Cap-Breton et les îles du golfe demeuraient à la France avec le droit de s’y fortifier,c e qui deviendra la forteresse de Louisbourg.
Au début de 1760, des négociations de paix furent amorcées entre la France et l’Angleterre. Les Anglais faisaient mine d’être prêts à se contenter de quelques positions stratégiques autour du Canada tandis que des conseillers de Choiseul allaient aussi loin que d’envisager une transmigration de la population canadienne vers la Louisiane.
Au-delà du sort de la population, le principal point en litige, et pour ainsi dire le seul, devint rapidement le sort des pêches. Les Britanniques étaient divisés sur la question, mais Pitt était intraitable. Il n’avait pas le cœur à négocier. Il voulait imposer sa paix. Outre l’intérêt des pêcheurs français qui s’y adonnaient étaient autant de marins en puissance. Il avait bien raison. Choiseul n’avait surtout pas renoncé à rétablir la puissance maritime de la France.
La mort de George II le 25 octobre 1760, vint brouiller les cartes et réveiller l’idée du renouvellement du pacte de famille, c’est-à-dire d’une alliance entre la France avec l’Espagne. La mort de Ferdinand VI, l’année précédente, avait ouvert la succession à Charles III, petit cousin de Louis XV. Les Bourbons avaient déjà fait des alliances stratégiques. La puissance de l’Angleterre sur mer était une bonne raison pour qu’ils aient la tentation de réunir de nouveau leurs forces. L’Espagne plaça certaines demandes dans le panier des revendications soumis par la France. L’Angleterre comprit ce qui se préparait et affronta l’Espagne dès le début de 1761. En un rien de temps, elle s’empara de Manille aux Philippines et de La Havane dans les Antilles. C’est dire la force de la Royal Navy. Il était devenu urgent de mettre fin au conflit et c’était devenu possible avec la volonté de paix qui animait George III. Pitt restait intraitable. Le roi le remplaça par lord Bute.
L’article 7 : 1763 prépare 1803
Le 3 novembre 1762, à Fontainbleu, les plénipotentiaires arrivent à une entente et mettent au point ce qui allait devenir le traité de Paris qui sera signé le 10 février. En même temps, Choiseul offre à l’Espagne la ville de la Nouvelle-Orléans et la rive ouest du Mississippi, comme geste d’amitié et en guise de compensation pour les pertes encourues en si peu de temps par Charles III. L’article 8 du traité qui précise les frontières de la partie cédée par la France n’est pas modifié. En fait, le texte de l’article 7 est mot à mot celui de l’article 6 des préliminaires de novembre et cache complètement l’entente entre la France et l’Espagne. Il faudra des années avant que l’Espagne prenne possession du territoire.
Lorsque les Américains qui ont succédé aux Britanniques se rendent compte de la signification de cette frontière découlant de l’article 7, ils protestent. Jefferson, en tant que nouveau président des États-Unis, réclame de Napoléon, qui entretemps s’est fait rétrocéder La Nouvelle-Orléans et le territoire en question, qui ladite ville soit cédée d’une manière ou d’une autre aux États-unis. L’enjeu est la libre circulation sur le Mississippi. Les bateaux qui le descendent ne peuvent s’engager en haute mer. Il faut un port de transbordement, également nécessaire aux navires qui arrivent du golfe et qui ne peuvent remonter le Mississippi. Les frères Le Moyne l’avaient bien compris en jetant les bases de La Nouvelle-Orléans. En un sens, on peut dire que la cession du Canada en 1763 ouvre la porte à un sentiment d’indépendance chez les Anglo-Américains qui conduira à un second traité de Paris (1783) tandis que l’article 7 du traité de 1763 rendait inévitable le « Louisiana Purchase », expression par laquelle les historiens désignent cet énorme transfert de territoire, réalisé en 1803, qui permet aux États-Unis de doubler leur superficie et de naviguer librement sur le Mississippi depuis sa source jusqu’à son embouchure.
(Sous la direction de Sophie Imbeault, Denis Vaugeois et Laurent Veyssière. Extrait du livre 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique. Septentrion, 2013.)
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