La loi des mesures de guerre est décrétée
Au réveil, le 16 octobre, au matin, l’armée canadienne occupe tous les points névralgiques au Québec et assume la responsabilité de surveiller tous les édifices publics.
Ottawa – Depuis quatre heures le matin 16 octobre 1970, les Canadiens vivent sous l’empire de la loi des mesures de guerre, alors qu’au Québec l’armée est déjà venue prêter main-forte à la police.
Le cabinet fédéral a décidé de recourir à cette mesure afin de conjurer la menace que présente la FLQ.
À 3 h.00 ce matin, le premier ministre du Canada, M. Pierre Elliott Trudeau a reçu des lettres du premier ministre de la province de Québec, M. Robert Bourassa, et des autorités de la ville de Montréal l’avisant qu’un «état d’insurrection appréhendé» existait dans la Belle Province.
Une heure plus tard, le gouverneur en conseil approuvait l’émission d’une proclamation en vertu de la loi des mesures de guerre.
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Usant de ces nouveaux pouvoirs, le Cabinent fédéral a adopté un deuxième arrêté en conseil établissant certains règlements extraordinaires et jugés nécessaires par les autorités politiques en place, notamment le gouvernement fédéral, celui du Québec et la ville de Montréal.
Ceux-ci ne sont pas encore connus. Ils devaient l’être dès 11 heures ce matin, lors de la reprise de la session à Ottawa.
Ils sont cependant en vigueur depuis 4 heures et les autorités provinciales et municipales, par l’entremise des forces de l’ordre, veillent à leur application.
On croit qu’ils permettent à la police d’effectuer des perquisitions sans mandat et d’appréhender des individus sous la seule fois de soupçon.
Ces pouvoirs extraordinaires sont utilisés afin de retrouver les ravisseurs de MM. Cross et Laporte et, comme le soulignait M. Trudeau mercredi, afin de permettre aux autorités «de se défendre contre l’émergence d’un pouvoir parallèle qui défie le pouvoir des élus du peuple».
Ce que permet la loi
La loi des mesures de guerre permet, sur décret ministériel, quand il y a guerre, invasion ou insurrection réelle ou appréhendée, d’imposer la censure ou la suppression des publications, l’arrestation, la détention ou l’expulsion des personnes, le contrôle des ports et des eaux territoriales et des transports par air, par terre et par mer, le contrôle des exportations et des importations, la prise de possession, le contrôle, la confiscation ou la disposition des biens. Personne n’échappe à la règle.
Le gouvernement peut imposer des peines pour des infractions à cette loi allant jusqu’à $5,000 d’amende ou à une période d’emprisonnement de cinq ans ou plus ou les deux à la fois.
Point culminant
L’adoption de la loi des mesures de guerre est en fait en quelque sorte le point culminant de la vaste opération qui a suivi les enlèvements de la semaine dernière. Plus tôt cette semaine, le premier ministre Trudeau avait enfin dit qu’il n’hésiterait pas à prendre toutes les mesures à la disposition du gouvernement pour débarrasser le Canada «de ceux qui commettent des actes de violence contre l’ensemble du corps social et de ceux qui cherchent à dicter leurs volontés au gouvernement par l’intermédiaire d’un pouvoir parallèle qu’ils cherchent à établir en recourant à des enlèvements et au chantage».
Des spécialistes fédéraux ont expliqué par la suite au cours de la nuit qu’il n’existe aucune définition écrite d’une rébellion ou d’une insurrection.
Au cours des dernières heures et en particulier depuis mercredi, les autorités québécoises, en collaboration avec l’administration municipale de Montréal, ont démontré à la satisfaction du gouvernement fédéral qu’on «état d’insurrection appréhendée» existe au Québec.
(La Presse a publié ce texte le 16 octobre 1970).