La fin des Compagnies, le nouveau gouvernement et l’empiètements de Mésy
Au printemps de 1663, le régime des Compagnies prit fin au Canada. Les Cent Associés abandonnèrent au roi leurs lettres patentes et toute la colonie passa sous l’autorité immédiate du gouvernement royal. L’administration du pays fut confiée à un nouveau gouverneur, M. de Mésy, qui devait partager le pouvoir avec un intendant de finances et de justice et un Conseil Souverain. Ce mode de gouvernement royal devait durer jusqu’à la cession du Canada par la France en 1760.
Ce changement au début causa du malaise dans les établissements en dehors de Québec, lesquels perdirent alors beaucoup de leur autonomie.
La Compagnie de Montréal, à son tour, céda sa fondation et abandonna toutes ses obligations avec ses privilèges au Séminaire de Saint-Sulpice de Paris, le 9 mars 1663. (Édits et Ordonnances Royaux» 1854, vol. I, p. 93.) Les nouveaux seigneurs s’empressèrent d’acquitter les dettes de l’ancienne administration, et employèrent leurs ressources de toutes provenances au développement de l’œuvre qui leur était confiée.
Durant vingt-deux ans, les Associés de Montréal avaient contribué de leurs biens personnels et dépensé leurs énergies à l’établissement de Ville-Marie, sans jamais en n’avoir rien retiré que la satisfaction d’avoir accompli une œuvre de civilisation. Comme M. de La Dauversière, les Associés ont été ignorés par les générations qui se sont succédé dans la seigneurie fondée par eux. Rien encore ne rappelle leur souvenir dans notre grande ville, qui leur doit tant et qui s’en doute si peu.
Empiètements de M. de Mésy
Le nouveau gouvernement central était à peine entré en fonction, qu’il prétendit étendre sa juridiction au district de Montréal, et annuler de fait, si non en droit, les pouvoirs et privilèges des seigneurs, garantis par leurs titres. Durant toute la guerre iroquoise, on ne sache pas que Québec ait envoyé des soldats pour la défense de Ville-Marie. Maintenant que le péril sauvage paraissait moins troublant, on se hâtait de monter à l’assaut des fonctions, des honneurs et des places. Enfin on allait donc se battre… à coups de décrets et d’ordonnances. Certes les habitants de Montréal avaient connu d’autres armes.
Au péril iroquois allait-il donc succéder le péril québécois ?
Feignant d’ignorer le privilège qu’avaient les seigneurs de nommer aux emplois publics dans leur vaste seigneurie, le gouverneur de Mésy voulut se faire reconnaître comme la source immédiate de tous les pouvoirs civils. De sa propre autorité il cassa les fonctionnaires en charge et leur imposa de nouvelles commissions.
À l’encontre des droits incontestables du Séminaire, concernant l’administration de la justice, de Mésy établit à Montréal une sénéchaussée royale et en nomma tous les officiers. Arthur de Sailly fut créé juge civil et criminel, Nicolas de Monchy, greffier et notaire, Charles Le Moyne, procureur du roi. (Archives judiciaires de Montréal: « Registre des Audiences de la Sénéchaussée.»)
Le Séminaire, qui jouissait, par ses titres mêmes, du droit de haute, moyenne et basse justice, ne devait pas se laisser dépouiller aussi cavalièrement de ses prérogatives essentielles. Les seigneurs ripostèrent d’énergique façon aux empiètements intempestifs de l’audacieux gouverneur: ils nommèrent de leur côté Charles d’Aillebout des Musseaux, juge de la seigneurie, Bénigne Basset, greffier, et Jean-Baptiste Migeon de Bransat, procureur fiscal. (Tribunaux et Officiers de justice,» par E.-Z. Massîcotte, Mém. Soc. R. 1916.)
Ce conflit de pouvoirs devait amener la confusion chez les justiciables. Mais la résistance opiniâtre, opposée par le séminaire aux prétentions exagérées du gouverneur québécois, fit bientôt tomber dans l’insignifiance cette première tentative de sénéchaussée royale à Montréal.
M. de Mésy s’attaqua ensuite à M. de Maisonneuve, mettant en doute ses titres de gouverneur, parce qu’ils n’avaient pas été paraphés par la Compagnie de la Nouvelle-France. Sans tenir compte des droits acquis, il émit une nouvelle commission pour maintenir le fondateur dans ses fonctions de gouverneur, relevant désormais de son autorité à lui. Puis, au mois de juin 1664, il le remplaça par Etienne Pézard, sieur de La Touche.
Les seigneurs intervinrent de nouveau. Usant de leur droit de nomination, ils maintinrent M. de Maisonneuve dans sa charge, (La donation du 9 mars 1663 disait expressément: «Le dit sieur de Maisonneuve, l’un des dits Associés, et qui a très utilement servi à l’œuvre, demeurera gouverneur et capitaine de la dite Isle, de la maison seigneuriale en laquelle il est présentement résident, et établi par les dits sieurs associés sa vie durant, sous le bon plaisir néanmoins et ordres des dits sieurs du Séminaire, comme propriétaires de l’Isle.» — Édits et Ordonnances Royaux, 1854, vol. I, p. 94). On ne voit pas que le sieur Pézard ait jamais exercé la fonction de gouverneur à Montréal. Sa commission resta lettre morte.
Mais cette conduite autoritaire et malencontreuse du gouverneur général avait jeté du malaise dans les milieux officiels, et dégoûté M. de Maisonneuve d’une fonction qu’il avait remplie avec tant d’abnégation et de dévouement. D’autre part, M. de Mésy eût-il possédé tous les pouvoirs, qu’il prétendait si bruyamment imposer à tous, que son étrange conduite serait encore repréhensible.
Les vingt-trois années de l’administration de Paul de Chomedey de Maisonneuve, dans les circonstances que l’on connaît, criaient assez haut et assez loin la valeur et les mérites de l’homme, pour que l’homme fût traité avec plus de déférence, de respect et de justice par un fonctionnaire de fortune, quel que fût son rang.
