Le glas des corporations fermées

Un rapport sonne le glas des corporations fermées

Le gouvernement du Québec devrait instituer un Code des professions pour remplacer la « mosaïque » actuelle des lois relatives aux diverses formes d’organismes existant dans la province. Dans cette perspective les mouvements professionnels deviendront tous A des degrés divers, des organismes publics. C’est la conclusion générale qui se dégage du rapport de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être, tome I, volume VII, touchant les professions et la société, déposé à l’Assemblée nationale, hier.

Le document appuyé de 12 annexes totalisant 3,000 pages, dénonce sans ambages, le « fouillis » de l’organisation professionnelle au Québec et préconise une série de mesures visant l’intégration du droit professionnel au régime public.

Le rapport sonne en quelque sorte le glas des corporations fermées et établit la nette distinction entre le corporatisme et le syndicalisme.

« Il faut mettre fin, dit le rapport, aux conditions périmées d’exercice de certaines professions et retirer aux corporations
professionnelles considérées en tant que garantie d’une discipline, tout rôle économique de groupe social pour accentuer celui d’agent de la collectivité A l’égard du fonctionnement de cette discipline. Et pour intégrer davantage l’organisation professionnelle à la société, il faut systématiser son rôle dans l’État ».

Comme l’explique la commission Castonguay-Nepveu, cette partie du rapport pose les fondements sociologiques et les fonctions politiques des professions, présente un examen critique du droit dur l’organisation professionnelle au Québec et propose des réformes appropriées.

53 recommandations

Le rapport contient 53 recommandations visant « la protection des intérêts du public et laissant place à un certain degré d’autonomie pour les membres de diverses professions ». Ces recommandations tiennent compte de la double nature de l’organisation professionnelle; tantôt corps intermédiaire, tantôt service public.

La commission, maintenant présidée par M. Gérard Nepveu, soutient que « si les fondements de l’organisation professionnelle demeurent valides, celle-ci a atteint au Québec un point d’incohérence qu’on ne saurait tolérer plus longtemps puisqu’elle commence à engendrer de sérieux problèmes tant pour la société que pour les membres des professions mêmes ».

Ainsi, un Code des professions devrait remplacer la mosaïque actuelle des lois relatives aux occupations. Dans cette perspective, le code tiendrait compte de trots genres d’organismes; l’ordre professionnel, organisme fermé; l’association professionnelle, organisme ouvert et le syndicat professionnel qui constitue le mandataire d’un groupe pour la défense de ses intérêts socio-économiques.

Les modifications à ce code devraient être proposées par le gouvernement et non par l’organisme professionnel en cause « puisque dans la perspective d’un tel code, les organismes professionnels, seraient tous, à des degrés divers, des organismes publics.

Ainsi les pouvoirs publics et la collectivité seraient représentés au Conseil de ces ordres dont le fonctionnement sera vu par le public. Il faudra considérer également que les lois qui régissent les professions soient publiques et présentées par le gouvernement,

« Comme les lois professionnelles de centaines de milliers de praticiens rejoignent les droits de la société entière, leur étude et leurs discussions ne devraient pas être laissées au hasard des confrontations des groupes d’intérêts et de pression, mais être confiées à une commission permanente de l’Assemblée nationale ».

Titres professionnels

Dans la réglementation de la terminologie et des titres professionnels, le rapport propose la suppression du nom de collège pour les ordres professionnels et la limitation de l’usage du titre de docteur, utilisé sans qualificatif, aux médecins qui sont membres en règle du Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec.

Diplôme d’État

La commission recommande de supprimer pour les ordres le pouvoir de réglementer les conditions d’admission l’étude. Elle établit que les conditions essentielles d’admission à l’exercice dune profession érigée en monopole devraient relever du législateur laissant comme seul rôle aux ordres de s’assurer la présence des qualités requises.

Comme complément à cette mesure, on propose l’émission d’un diplôme d’État, comme le connaît le régime français, les universités et les autres établissements d’enseignement pourraient continuer à donner l’enseignement de leur choix et à accorder librement les diplômes et les titres qu’ils veulent.

Mais lorsque ces diplômes et ces titres seraient décernés conformément aux critères fixés par l’État, ils seraient reconnus comme des diplômes d’État donnant l’accès à certaines professions et a certains métiers.

On réclame l’abolition de la clause de citoyenneté comme condition d’admission à l’exercice de certaines professions; l’instauration d’un tribunal de discipline de première instance; une liste unique de sanctions pour tous les ordres; l’adoption d’un code de procédure disciplinaire uniforme et un droit de surveillance sur les ordres par le ministère des Institutions financières et par le Protecteur du citoyen.

Voici quelques-unes des 53 recommandations touchant les « professions de la société. »

  • Que soit établi un système de diplômes d’État dont les exigences seront consignées dans un arrêté en conseil du gouvernement, après consultation des ordres professionnels et des établissements d’enseignement en cause;
  • Que les ordres professionnels soient autorisés à octroyer des certificats de spécialité, mais que les programmes d’études et les autres conditions requises pour l’obtention d’un certificat de spécialité soient déterminés par les universités, après consultation des ordres professionnels et soient administrés par elles;
  • Que législateur soit parcimonieux dans l’octroi aux ordres professionnels du pouvoir d’établir des spécialités;
  • Que les ordres professionnels soient autorisés a vérifier l’équivalence et à viser l’authenticité des diplômes non québécois avant de permette au détenteur de s’en prévaloir pour exercer la profession;
  • Que les ordres professionnels soient dotés d’un mécanisme interne d’appel pour réviser toute décision refusant à un candidat le permis d’exercice ou l’utilisation du titre;
  • Que les dispositions visant le monopole d’un titre professionnel ou technique, au lieu d’être insérées dans les lois particulières des professions, soient insérées dans le Code des professions;
  • Que les peines prévues comme sanction de l’exercice illégal et de l’usurpation du titre soient les mêmes pour toutes les professions, sous réserve de la discrétion des tribunaux d’imposer les amendes qu’ils jugent convenables selon les circonstances et la gravité du délit;
  • Que l’injonction pénale soit reçue dans le droit professionnel du Québec, de façon à empêcher les récidives régulières en matière d’exercice illégal d’une profession et d’usurpation de titre;
  • Que soit adopté un Code des professions constituant le régime du droit des occupations et remplaçant la mosaïque actuelle des lois relatives aux occupations;
  • Que le nom d’ordre soit réservé aux organismes professionnels auxquels le législateur est prêt à consentir, après mûre réflexion et en toute prudence, le monopole de l’usage d’un titre et à déléguer le pouvoir de réglementer, à des degrés divers, les conditions d’exercice d’une profession dans l’intérêt du public;
  • Que la possibilité d’accès à l’exercice d’une profession par loi privée soit abolie et que sa prohibition soit insérée dans le Code des professions;
  • Que l’exigence de la citoyenneté soit abolie pour toutes les professions ou que, è la rigueur, la loi exige d’un candidat étranger, qu’il déclare son intention de devenir citoyen et obtienne sa citoyenneté dans un délai (extensible pour cause) de cinq ans après telle déclaration;
  • Que les ordres professionnels dont les membres rendent des services généralement défrayés par l’État au titre d’une convention ne puissent fixer le tarif d’honoraires (même k titre indicatif) de leurs membres non conventionnés;
  • Que le gouvernement donne son approbation aux tarifs-plafonds proposés par les syndicats professionnels dont les services ne sont pas défrayés par l’État;
  • Que le Code des professions contienne l’interdiction de toute publicité tapageuse ou commercialisée dans des publications ou au moyen d’annonces radiophoniques ou à la télévision, ou par des enseignes au néon ou par tous les autres moyens que ceux qui sont présentement autorisés pour les avocats ou les médecins.

(Texte publié le 8 juillet 1970).

À lire également :

Une confrontation typique des groupes d’intérêts et de pression. Image libre de droits.

Laisser un commentaire