Histoire du Québec

L’année des Anglais

L’année des Anglais

L’année des Anglais (1759)

En mai de chaque année, les riverains du Saint-Laurent ont l’habitude de porter une attention particulière aux premiers vaisseaux qui remontent le fleuve après la disparition des glaces. En ce temps-là, l’apparition des premières voiles était le signe d’un recommencement.

Le 19 mai 1759, les habitants du Bic, à l’est de Québec, sur la rive sud, furent intrigués par les premiers vaisseaux qui parurent à l’horizon. Progressivement, ils purent constater qu’ils ne bataient pas pavillon français. Le 25 mai, des témoins confirmèrent avoir vu “cinquante voiles au Bik et dix à l’Isle Verte”. C’était l’avant-garde d’une flottille anglaise sous les ordres du contre-amiral Durrell qui allait bientôt être rejointe, le 18 juin, par la flotte, partie d’Halifax et commandée par l’amiral Charles Saunders.

Dans la nuit du 18 au 19 juin, des feux de grève transmettent la nouvelle à Rivière-Ouelle et un courrier est dépêché à Québec. Le 20 juin, la flotte est à Tadoussac, le 21 devant Kamouraska où l’on voit “147 voiles” ennemies depuis l’isle aux Basques jusqu’au bout de l’isle aux Lièvres sur lesquelles 14, depuis 50 et le reste navires, senaux, bricantins, goélettes et bateaux.” Cette petite armada mouille devant l’Île-aux-Coudres le 23 et au nord de l’archipel de Montmagny e jour de la Saint-Jean-Baptiste. Les navires ne cessent de s’égrener au détour des îles et des îlets ; ils longent la côte de Charlevoix, cap au sud de l’île d’Orléans, avant de tourner bâbord et de s’engager dans l’étroit détroit, appelé la Traverse, qui permet un passage entre l’île d’Orléans et l’île Madame. La flotte course alors dans le chenal Nord et mouille devant sAint-Laurent de l’île. Des détachements débarquent sur l’île d’Orléans, à Beaumont sur la Côte-du-Sud, puis à la Pointe-Lévy devant Québec.

On a déjà commencé à évacuer les habitants de la Côte-du-Sud et à enrôler les hommes. Le général Wolfe émet une proclamation à Saint-Laurent de l’île d’Orléans le 28 juin dans laquelle il précise que ce formidable armement vise à “réprimer l’insolence de la France.” L’animosité entre les deux puissances ne pouvait être plus franchement rappelée. Wolfe assure la population de la “clémence royale” mais “si, par une vaine obstination et par un courage mal guidé, les Canadiens veulent prendre les armes, ils doivent s’attendre aux conséquences les plus fatales ; leurs habitations seront pilles, leurs églises exposées à une soldatesque exaspérée, leurs récoltes seront complètement détruites, et la flotte la plus formidable les empêchera d’avoir aucun secours.

Le 12 juillet, les premiers bombardements atteignent Québec. Trois mois plus tard, le 13 septembre 1759, les Anglais battent les Canadiens et les Français sur les plaines d’Abraham. Le 18 septembre, Québec capitule. Montréal fera de même, un an plus tard, le 8 septembre 1760. La Nouvelle-France n’est plus la Nouvelle-France.

L’opinion publique, les idées, les courants et les débats d’idées émergent dans la colonie d’Amérique du Nord britannique à la faveur de trois facteurs déterminants : la présence d’interlocuteurs de culture et d’appartenance sociale différentes, la mise en place, débattue, de formes politiques nouvelles – tout autant pour l’accident que pour la colonie – et la création des médias, l’imprimerie et la presse, aptes à favoriser le débat et à laisser des traces de cette opinion publique naissante.

La conquête militaire de la Nouvelle-France par l’Angleterre, la succession des régimes politiques (Traité de 1763, Acte de Québec de 1774, Acte constitutionnel de 1791) au moment où l’Amérique (1776) et l’Europe (1789) connaissent des Révolutions, le choc des cultures politiques et les intérêts divergents des groupes sociaux suscitent une activité intellectuelle remarquable dont la Chambre d’assemblée, les brochures, les “gazettes” et les cafés deviennent les forums. C’est dans cette constellation que se formulent les idées de tolérance religieuse, de loyalisme, de “libertés anglaises.” L’opinion publique naît au Québec avec l’aspiration démocratique, avec le parlementarisme, avec l’éloquence religieuse et civile et avec l’imprimé.

Cette période inaugurée par une conquête militaire et animée par deux révolutions, sans parler de celles qui se déclarent dans les colonies américaines de l’Espagne et du Portugal, se termine avec la fin des guerres napoléoniennes en Europe et du blocus continental et avec la seigneurie du traité de Vienne en 1815.

(Par Yvan Lamond, Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, Éditiion Fides, 2000).

Le génie n’est qu’une plus grande aptitude à la patience.(Hérault de Séchelles Voyage à Montbard.). Photographie de Megan Jorgensen.
Le génie n’est qu’une plus grande aptitude à la patience.(Hérault de Séchelles Voyage à Montbard.). Photographie de Megan Jorgensen.

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