La capitulation de Montréal et la fin du Régime français en Nouvelle-France
Amherst se remit en marche le 31 août 1760. La descente des rapides était une opération dangereuse; mais il avait choisi cette voie pour fermer tous les passages aux Français, qui avaient parlé de retraiter, s’il le fallait, de Montréal au Détroit et du Détroit à la Louisiane. Il perdit dans les rapides du coteau des Cèdres soixante-quatre barge et quatre-vingt-huit hommes, et parvint, en repoussant M. de La Corne devant lui, au village de Lachine, à huit milles de Montréal. Il y débarqua le 6 septembre, et alla camper, le soir même, dans la plaine au couchant de la ville. Il avait reçu en cours de route des soumissions des habitants. Le 8 septembre, les deux autres armées cernèrent la place du côté opposé, en sorte qu’elle se vit entourée par dix-sept mille hommes, munis d’une artillerie nombreuse.
Montréal, bâti sur la rive sud de l’île de ce nom, entre une montagne et le fleuve, était revêtu d’un simple mur de deux à trois pieds d’épaisseur, élevé autrefois pour mettre la ville à l’abri d’une surprise des Iroquois et qui ne pouvait résister qu’aux flèches, et aux petites armes.
Le mur, ceint d’un fossé, était armé de six petits canons, une batterie, d’un même nombre de pièces rongées par la rouille, couronnait une faible éminence dans cette misérable enceinte. Telles étaient les fortifications qui couvraient les débris de l’armée française réduite, avec les miliciens restés sous les drapeaux (à 3 583 hommes, sans compter les matelots, les femmes et les enfants, soit un total de 3963 personnes). Il y avait en outre cinq cents soldats qui défendaient l’île Sainte-Hélène. On n’était pourvu de vivres que pour quinze jours.
Dans la nuit du 6 au 7 septembre, Vaudreuil assembla un conseil de guerre à sa résidence officielle à Montréal, sur la place Jacques-Cartier actuelle. L’intendant Bigot y lut un mémoire sur l’état des affaires et un projet de capitulation. Tout le monde pensa qu’il convenait de préférer une capitulation avantageuse au peuple et honorable pour les troupes, à une résistance qui ne pouvait retarder que de quelques jours la perte du pays.
Le lendemain matin, Bougainville alla proposer aux ennemis une suspension d’armes d’un mois. Mais Amherst refusa de le recevoir, sur quoi le chevalier de la Pause fut délégué à sa place. Malgré cela, la trêve ayant été rejeté, la Pauss retourna offrir la capitulation qui comportait cinquante-cinq articles, Amherst accorda presque tout ce qui était demandé, à l’exception de la neutralité perpétuelle des Canadiens et des honneurs de la guerre pour les troupes.
Indigné de ce dernier refus, Lévis voulut se retirer dans l’île Sainte-Hélène afin de s’y défendre jusqu’à toute extrémité Le gouverneur n’insista point et ordonna au général français de poser les armes. Alors Lévis fit brûler à ses soldats leurs drapeaux et brisa son épée plutôt que de la rendre. La capitulation fut signée le 8 septembre 1760 pour la colonie entière. « Ainsi tomba, dit Henri Martin, cette race d’hommes que l’habitude de vivre au sein de la nature sévère du Nord avait rendue forte et simple comme les anciens. Dans l’Inde, on avait pu admirer quelques grands hommes ; ici, ce fut tout un peuple qui fut grand » (Histoire de France, tome XV, p. 554).
Par cette capitulation célèbre le Canada passa au pouvoir de l’Angleterre. Le libre exercice de la religion catholique fut garanti aux habitants. Les séminaires et les communautés de femmes furent maintenus dans la possession de leurs biens, constitutions et privilèges ; mais Amherst refusa le même avantage aux Jésuites, aux Récollets et aux Sulpiciens, jusqu’à ce que le plaisir du roi d’Angleterre fût connu. Même réserve pour la dîme. À l’égard des lois, usages et coutumes de la colonie, et de l’impôt, il fut répondu que les Canadiens devenaient sujets du roi. Au surplus les particuliers conservèrent toutes leurs propriétés, et les seigneurs eurent l’adresse de faire confirmer leurs droits féodaux, nobles et non nobles.
Les Anglais entrèrent dans Montréal le jour même. Le gouverneur Vaudreuil, Lévis, les troupes, les officiers de l’administration civile et militaire s’embarquèrent à Québec pendant le reste du mois et les premières semaines d’octobre, pour la France. Avant de partir, Vaudreuil manda à Belestre, commandant du Détroit (trois à quatre cents familles canadiennes y étaient établies( et aux chefs des autres postes de l’Ouest, de les remettre au major Robert Rogers, fameux partisan, ou à ses officiers (Suivant Rogers, il y avait à ce moment deux mille cinq cents Français établis au Détroit et aux alentours). Belestre rendit son fort le 29 novembre 1760. Pour ce qui est des postes de Michillimakinac, du sault Sainte-Merie, de la baie Verte et de Saint-Joseph, ils furent cédés aux Anglais l’année suivante.
Il repassa en Europe environ cent quatre-vingt-cinq officiers, deux mille trois cent soixante-quinze soldats, y compris les blessés et les invalides, et un peu plus de cinq cents matelots, domestiques, femmes et enfants. Ces chiffres prouvent à la fois les cruels ravages de cette guerre, la faiblesse des secours envoyés par la France et l’immense supériorité numérique des vainqueurs Presque tous les habitants des villes les plus marquants abandonnèrent le pays à la suite des troupes. On encouragea leur émigration, ainsi que celle des officiers canadiens, dont les Anglais désiraient se débarrasser, et qui furent vivement sollicités de passer en France. Le Canada perdit de cet exil volontaire une population précieuse par sa bravoure, son expérience, ses lumières et sa connaissance des affaires publiques et commerciales. (État de l’embarquement des troupes à Québec ajoute à la lettre de Lévis au ministre de la marine. La Rochelle, 27 novembre 1760).
Aussi bien, au commencement de 1761, le régime français avait cessé d’exister dans toute l’étendue du Canada, après avoir duré un siècle et demi. En quittant ce pays, Vaudreuil rendit hommage à ses habitants dans une lettre aux ministres de Louis CV. « Avec ce beau et vaste pays, disait-il, la France perd soixante et dix mille âmes, dont l’espèce est d’autant plus rare que jamais peuples n’ont été aussi dociles, aussi braves et aussi attachés à leur prince. Les vexations qu’ils ont éprouvées depuis plusieurs années, et particulièrement depuis les cinq dernières avant la reddition de Québec, sans murmurer ni oser faire parvenir leurs justes plaintes au pied du trône, prouvent assez leur docilité.
Quant à l’armée, le simple récit de ses combats et de ses travaux suffit pour faire son éloge. Jamais la France n’a eu de soldats plus intrépides ni plus dévoués. Dix faibles bataillons, obligés le plus souvent de se recruter dans le pays même, faute de secours d’Europe, eurent à défendre cet immense territoire qui s’étend depuis l’Acadie jusqu’au lac Érié, et à lutter contre les forces décuples que les Anglo-Américains dressèrent en bataille. Peu de ces braves gens revirent leur patrie…
(Histoire du Canada. Huitième édition entièrement revue et augmentée par son petit-fils Hector Garneau. Volume XI – de l’ancien régime au nouveau. L’Acte de Québec. La révolution américaine. Éditions de l’Arbre 60 Ouest, Rue Saint-Jacques. Montréal. 1945).
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