La colonisation au Québec : temps d’agir !

Vers nos terres neuves

Le territoire colonisable de la province de Québec est illimité pour la présente et la future générations. C’est par millions que l’on compte les acres de terre propice à la culture dans la plupart des régions nouvelles ouvertes à l’activité des défricheurs, mais faute d’une administration tutélaire, ce patrimoine se développe à peine, et le surplus de la population rurale des vieilles paroisse se déverse à grands flots dans les villes, où il accroît le nombre des consommateurs et, malheureusement aussi, la classe des miséreux.

On a dit du peuple canadien-français qu’il est avant tout un peuple agricole et qu’on ne saurait trop l’encourager à rester dans ce rôle providentiel. C’est bien le contraire qui paraît se réaliser, et, à moins d,une réaction énergique contre l’exode des campagnes, on nous classera bientôt parmi les peuples mercenaires. Méditons à ce propos les chiffres de l’Annuaire Statistique de Québec.

On lit dans cet ouvrage qu’en 1916, date où s’arrête la statistique officielle de la province, notre population urbaine était de 1,157, 182 âmes, contre 1,152,244 de population rurale, soit une différence de 4,939 âmes en faveur de la population urbaine. Et cet excédent a dû industries ont continué de prélever, en hommes, un fort impôt dans tous nos districts ruraux.

C’est donc la rupture de l’équilibre qui est en train de se produire entre la classe des producteurs et celle des consommateurs. Et nous sommes menacés de perdre nos droits au titre de peuple agricole, quand nous avons de si vastes et riches domaines qui réclament nos bras, mais restent inexploités.

Le chef du Bureau des Statistiques cherche à expliquer cet étrange phénomène dans le fait que des communications plus faciles s’établissant dans toutes les parties de la province, de nouvelle industries se développent et créent par la même des groupements. Très bien et ces groupements sont le produit de la décongestion des villes mais très regrettables s’ils sont la conséquence du dépeuplement des campagnes.

De tout temps les villes, avec leurs artifices trompeurs, ont exercé une fascination sur les campagnes. C’est pour cette raison, entre autres, que, dans une province agricole comme la nôtre, le pouvoir public devrait s’efforcer de retenir au sol les cultivateurs, de diriger vers les terres neuves le surplus de la population agricole, de le détourner des trop séduisants sentiers qui le mènent aux usines. Pour cela, il importe de créer aussi des communications faciles dans les régions de colonisation et d’y établir des conditions d’existence d’un attrait plus réel que celles que les déserteurs du sol rencontrent ordinairement dans les agglomérations urbaines.

Notons que ce n’est pas seulement depuis la guerre que se traduit le dépeuplement de nos campagnes. On le déplore depuis nombre d’années, et, cependant, l’on ne voit pas que le gouvernement provincial se soit soucié beaucoup d’en enrayer le cours alarmant en mettant plus de vie, d’entrain et de sens pratique dans sa politique de colonisation.

C’est l’heure des actes héroïques, et si difficile que soit à résoudre le problème du repeuplement rural et la non moins importante question du développement rationnel des régions boisées ouvertes aux défricheurs, il n’est pas au-dessus de l’intelligence des maître du pouvoir à Québec. Il y aura encombrement dans les villes au lendemain de la grande guerre. Cultivateurs, jeunes ou vieux, qui ont abandonné leurs fermes pour travailler dans les usines, volontaires ou conscrits ruraux qui seront licenciés, employés de ferme et villageois qui ont émigré dans les grands centres industriels, se trouveront, pour un grand nombre, en face d’un troublant inconnu ; beaucoup aimeront vraisemblablement à retourner à la vie champêtre, mais ne pourront y retrouver leur ancien nid. Tous ou presque sont d’étoffe à faire d’excellents colons et s’estimeraient heureux de pouvoir se créer un foyer dans l’une ou l’autre de nos régions nouvelles, si on a soin de les y attirer par une politique prévoyante et sage, dégagée de tout mercantilisme. Le gouvernement de Québec a là une opportunité exceptionnelle de démontrer la sincérité de son patriotisme.

(Texte publié dans le journal La Presse, le plus fort tirage des journaux du Canada tout entier, plus de 140,000 copies par jour, mardi 8 octobre 1918.)

Si deux montagnes se révoltent, celle qui se révolte sera abaissée. Photographie de Megan Jorgensen.
Si deux montagnes se révoltent, celle qui se révolte sera abaissée. Photographie de Megan Jorgensen.

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