La Capricieuse
Le 13 juillet 1855 mouille dans le port de Québec la corvette française La Capricieuse. Son commandant a une mission capitale : visiter le Canada Uni dans le but de développer des liens commerciaux entre la France et l’Amérique du Nord britannique. L’importance de cette mission est soulignée par le fait que les échanges entre la France et le Canada sont inexistantes à l’époque ou presque, hormis de rares relations diplomatiques et quelques initiatives personnelles en raison des lois anglaises qui, depuis la Conquête, interdisent à des navires autres qu’anglais la navigation en eaux canadiennes.
C’est en 1850 que cette mesure est abrogée. Désormais, les ports canadiens peuvent de nouveau accueillir des bateaux étrangers, une situation dont la France s’empresse de profiter. Napoléon III, porté au pouvoir en décembre 1851, soutient le nationalisme des peuples d’Europe. Aux côtés de l’Angleterre, il participe à l’expédition de Crimée, qui oppose, à partir de mars 1854, l’empire britannique aux armées russes du tsar Nicolas Ier. En juillet 1854, un navire de la marine française en provenance de Marseille, L`Édouard, visite le port de Montréal. C’est le premier navire militaire français à visiter le Canada depuis 1760.
Le deuxième est la majestueuse corvette La Capricieuse, montée de 240 hommes d’équipage, sous le commandement en chef de M. V. Bellevèze.
Ce navire remonte le fleuve en juillet 1855, avec un pilote à bord. À la pointe aux Pères (Father Point) le navire prend le pilote et à l’île du Bic commencent la responsabilité du pratique et son droit à la rémunération réglementaire.
En fait, au Bic commence une série d’îles et de bancs, laissant entre eux des chenaux plus ou moins larges, sillonnés par des courants très-vifs variant avec la marée, et parfaitement balisés par des feux fixes et flottants. Lorsqu’on est pris par le courant contraire avec du calme ou du vent debout, les navires doivent mouiller et attendre la marée suivante. Une entreprise de remorquage tient presque toujours au Bic un ou deux bateaux à vapeur qui conduisent les navires jusqu’à Québec à des prix fixés d’avance.
L’arrivée de la Capricieuse était connue d’avance, et partout les populations accouraient à la côte, la saluant de leurs hourras et de salves de mousqueterie ; le long de l’île d’Orléans, malgré une pluie battante, les habitants saluaient de l’intérieur des maisons ou bravaient le mauvais temps, en courant le long du rivage, pour suivre plus longtemps les mouvements de la corvette.
Le gouverneur général du Canada avait envoyé au Bic le steamer l’Admiral avec trois membres du cabinet, pour complimenter le commandant. Le steamer l’Advance était aussi, par son ordre, au mouillage de l’île Verte et prit la corvette à la remorque.
La Capricieuse apparait en face de Québec vers sept heures du soir le 13 juillet, et une salve de 21 coups de canon est tirée de la corvette. Ce salut est aussitôt rendu par celui de la citadelle. Des hourras bruyants sortent en même temps des milliers de bouches en signe de félicitation et d’accueil. La corvette reçoit à bord le même soir, à part son Honneur le Maire de Québec, quelques personnes désireuses d’accomplir à cette occasion un acte de civilité.
Le lendemain, a lieu, sur le Quai de la Reine, la réception officielle de M. de Belvèze. Le Maire, accompagné du vice-consul français à Québec, M. Ryan, et d’un nombre très considérable de citoyens, lui présente l’adresse qui suit :
M. De Belvèze,
Commandant de la division navale de France sur la station de Terreneuve.
Monsieur le commandant,
C’est pour les habitants de Québec un jour bien mémorable que celui où il leur est donné de souhaiter la bienvenue au glorieux drapeau de la France, l’alliée de notre gracieuse souveraine.
Si des évènements qu’il était au-dessus de la puissance humaine de maîtrise, ont tenu si longtemps les deux premières nations de l’Europe dans une attitude jalouse ou hostile, remercions la providence qui les unit ensemble aujourd’hui, afin de protéger le faible contre le fort, et de permettre aux lumières de pénétrer sur tous les rivages et chez tous les peuples.
Pour notre part, monsieur le commandant, nous espérons que votre arrivée parmi nous va marquer le commencement d’une nouvelle ère de prospérité pour les deux pays, et que les rapports commerciaux et les relations sociales qui vont s’ensuivre cimenteront chaque jour davantage l’alliance intime de l’Angleterre et de la France.
Dans cette vive espérance, veuillez bien, monsieur le commandant, agréer nos félicitations les plus sincères, et croit que c’est pour nous l’occasion d’une grande joie de vous voir sur un rivage où vos frères et les nôtres ont élevé autrefois la première tente de la civilisation.
À ces paroles du Maire de Québec, M. de Belvèze répondit comme suit :
M. le Maire, Messieurs,
Je suis touché de l’accueil sympathique que vous voulez bien me faire à mon arrivée sur vos rivages; c’est à la France, la patrie commune de vos aïeux et des nôtres, c’est à la gracieuse souveraine de la Grande-Bretagne, c’est à l’Empereur Napoléon que doivent être reportés l’honneur et l’hommage de cette réception: elle est la conséquence de la noble et féconde alliance qui unit les deux plus puissantes nations de l’Europe et les arme en ce moment pour défendre la civilisation contre la barbarie et rendre la paix au monde.
L`Empereur Napoléon disait à Londres: »Le temps des conquêtes, est passé sans retour, et c’est en se mettant à la tête des idées généreuses, en faisant prévaloir partout l’empire du droit et de la justice, qu’une nation peut désormais être honorée et puissante. »
La mission que Sa Majesté Impériale m’a confiée est l’application de cette pensée. Absente depuis un siècle du fleuve St. Laurent, la marine française y revient pour renouer des relations commerciales longtemps interrompues, faire profiter notre pays des progrès immenses de votre agriculture et de votre industrie, ouvrir à nos armateurs et aux produits du travail français une voie qui fut longtemps fermée à nos vaisseaux.
L’adresse pleine de sentiments bienveillants, qui m’est présentée, monsieur le Maire, l’assemblée nombreuse qui entoure de tant d’honneur mon premier pas sur ce rivage, m’assure que votre concours est acquis à cette œuvre de progrès.
Veuillez, M. le Maire, agréer l’expression de ma profonde gratitude et vous en rendre l’interprète auprès de vos concitoyens.
Le chef de division, commandant la Capricieuse,
V. Belveze.
La présentation terminée, plusieurs voitures transportèrent à l’hôtel du gouvernement M. de Bellevèze et quelques officiers du bord, le cortège recevant partout sur son passage les acclamations empressées de la foule.
Des pavillons aux couleurs de la France et d’Angleterre ornaient les devants de plusieurs maisons sur les rues où cheminait le cortège. Parvenus à la station indiquée, son Excellence le gouverneur, qui venait de s’y rendre avec le cérémonial militaire usité dans les grandes occasions, reçut M. de Bellevèze ses lettres de créance, et cette formalité fut suivie d’une excursion aux fortifications de la Citadelle de Québec.
Ensuite, M. de Bellevèze visita, sur invitation spéciale de la Corporation de Québec, la cataracte de Montmorency et les ouvrages de l’Aqueduc à Lorette. Les officiers français dînèrent au château de Spencer – Wood et au banquet chez son Excellence, le gouverneur général.
Ensuite, l’équipage de la corvette posa la pierre angulaire du Monument aux Braves de la Bataille de Sainte-Foy du 28 avril 1760.
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