
La pagaille règne dans l’Union nationale, affirme J. Lesage. La loi sur l’enseignement privé sera adoptée au cours de la prochaine session de l’Assemblée législative
(Ces événements ont eu lieu au Québec en décembre 1968).
Le chef de l’Opposition libérale, M. Jean Lesage, a exprimé l’avis, samedi après-midi, que «la pagaille règne et que le caucus de l’Union nationale est devenu une tour de Babel» en l’absence du chef, M. Jean-Jacques Bertrand. «Que se passe-t-il du côté ministériel?» a demandé l’ancien premier ministre alors que les députés étaient appelés à adopter une motion du gouvernement proposant que le bill 85 soit référé pour étude au comité de l’Éducation.
Rappelons que ce projet de loi dont la teneur garantirait les droits linguistiques dans l’enseignement pour la minorité anglophone a été promis par M. Bertrand et le gouvernement de l’Union nationale.
Le bill, qui devait être présenté devant la Chambre dès le 24 novembre, ne l’a été que le 9 décembre, encore qu’il s’agissait de la sixième ou septième version du texte original sur laquelle ne s’accordaient toujours pas tous les députés ministériels. La soudaine maladie du premier ministre procura aux députés dissidents l’occasion de revenir à la charge auprès du premier ministre par intérim, M. Jean-Guy Cardinal, afin d’obtenir que le bill ne soit pas adopté en deuxième lecture, ce qui en consacrerait le principe.
Et, vendredi, une motion inscrite au feuilleton de la Chambre annonçait la décision du gouvernement de référer le projet de loi au comité parlementaire de l’Éducation, avant même qu’il ne soit adopté en deuxième lecture, contrairement aux stipulations du règlement de la Chambre. Samedi, on en était à discuter du bien-fondé de cette motion quand le leader des libéraux exprima l’avis que les adversaires du premier ministre Bertrand ne se trouvaient pas du côté de l’Opposition mais parmi un groupe de la députation ministérielle.
Curieux gouvernement
Après s’être interrogé sur ce qui se passait dans le parti gouvernemental, M. Lesage a affirmé « que les hommes sérieux de l’Union nationale ne peuvent plus faire entendre la voix de la raison ».
Il a signalé le courage exceptionnel dont a fait montre M. Bertrand et présentant le projet de loi pour première lecture, conformément à la parole qu’il avait donnée, se disant incapable d’en dire autant de ceux qui, selon lui, «ont trahi le premier ministre» en profitant de son absence et de sa maladie. M. Lesage, après avoir rappelé que le successeur par intérim de M. Bertrand, Me Jean-Guy Cardinal, l’accompagnait lorsque le premier ministre avait promis de présenter le bill sur les droits linguistiques et que c’est maintenant lui qui détient les rênes du gouvernement au moment où celui-ci «retraite», a voulu donner un conseil au député de Bagot.
Machiavel, dit-il, donnait le conseil suivant: «… et tu verras toujours que celui qui n’est pas ton ami te priera de demeurer neutre, et celui qui t’est ami te sollicitera à te découvrir par les armes. Les princes mal résolus pour éviter les présents dangers suivent le plus souvent la neutralité et, le plus souvent, sont ruinés.»
«J’espère, a dit M. Lesage, qu’il se souviendra toujours du plus grand danger qui guette un homme qui a la responsabilité de la direction et celui qui a la responsabilité des décisions, et non de l’atermoiement et dé la neutralité.»
Le chef libéral a continué en disant que le gouvernement actuel est un bien curieux de gouvernement, un gouvernement qui a peur d’agir et qui invente toutes sortes de stratagèmes pour cacher son incapacité et sa profonde division. Reprenant à son compte une appréciation de la situation faite par le correspondant du «Devoir» à Québec.
M. Gilles Lesage, le chef de l’Opposition a cité: «C’est le dernier coup de théâtre d’une série d’événements spectaculaires qui, depuis quelques jours, ont transformé le Parlement en véritable capharnaüm et en un immense «lobby» par le truchement duquel les députés les plus nationalistes de l’Union nationale ont réussi à faire retraiter le gouvernement et à ajourner une mesure législative a laquelle M. Bertrand avait accroché son nom.
M. Lesage a ajouté que l’inscription de cette motion au feuilleton de la Chambre était la preuve tangible que même les hommes les plus lucides, les plus expérimentés au sein de l’Union nationale sont pris de panique. Pour que le leader des ministériels ait accepté la motion, dit-il, c’est qu’il se sentait une très grande responsabilité de préserver le parti durant la maladie de son chef et que pour ce faire il est même allé jusqu’à tenter de réunir le pôle nord et le pôle sud à l’Équateur.
«Il y a des attitudes prises par certains de nos amis d’en face, dit-il, qui sentent la trahison à plein nez. Les Brutus ne se comptent plus parmi nos amis d’en face.» Selon le chef libéral il y a des députés ministériels qui se sentiraient plus à l’aise au sein du MIS et que la motion n’a pour objet que de masquer la vérité.
Gérin-Lajoie
Quant au député de Vaudreuil-Soulanges, M. Paul Gérin-Lajoie, il a expliqué que la position du parti libéral est claire sur cette question du bill 85.
Premièrement, dit-il, nous insistons pour que cette Chambre procédé d’abord à l’étude en deuxième lecture avant d’aller en comité;
Deuxièmement, nous insistons pour que l’étude en comité se fasse le plus tôt possible avant la prorogation de la session de façon à ce que le comité puisse faire rapport à la Chambre sans délai et que le, bill 85 soit adopté en troisième lecture.
L’ancien ministre de l’Éducation a en outre exprimé l’avis que les tergiversations et les contradictions du gouvernement sont de nature à entretenir dans la population des doutes sérieux sur la politique véritable, sur les buts poursuivis, sur les objectifs entretenus par le gouvernement.
« Qu’on réfère ce projet de loi, dit-il, avant la deuxième lecture à un comité cela est l’équivalent à une démission du gouvernement devant le projet de loi dans le sens suivant: Le gouvernement donne très nettement l’impression qu’il se dissocie du projet de loi, qu’il s’agit dans ce ras-ci, du bill 85, d’un projet de loi hérité comme d’un autre gouvernement et que le nouveau gouvernement (allusion à M. Cardinal, premier ministre par intérim) veut le référer à un comité pour entendre tout le monde s’exprimer et, au besoin, rejeter le projet de loi présenté à cette Chambre par un ancien gouvernement, par un ancien premier ministre» (M. Jean-Jacques Bertrand).
L’enseignement privé : L’adoption du bill 56 se fera au cours de la prochaine session
Des amendements majeurs ont été apportés à la nouvelle loi sur l’enseignement privé au Québec (bill 56), mais son adoption ne se fera qu’au cours de la prochaine session, en 1969, le gouvernement voulant donner aux groupes intéressés l’opportunité d’en commenter les modifications.
C’est ce qui se dégage de la présentation à l’Assemblée législative, samedi, du nouveau projet de loi, par le ministre d’État à l’Éducation, M. Jean-Marie Morin, et des propos du ministre de l’Éducation et vice-président du Conseil des ministres, M. Jean-Guy Cardinal.
Le bill 56 est le résultat de la fusion des bills 56 et 61 déposés en juin dernier en Chambre et autour desquels de longues consultations ont été tenues avec les représentants d’une quarantaine de groupes intéressés. Ce sont ces derniers qui avaient demandé la fusion des deux projets de loi en un seul ainsi que de nombreux amendements, dont certains très importants.
Les modifications
Parmi les modifications les plus importantes, le ministre d’État de l’Éducation M. Jean-Marie Morin, a cité les suivantes:
a) L’extension aux écoles de formation professionnelle de la déclaration d’intérêt public par le gouvernement qui était réservée aux écoles de formation générale et aux écoles pour l’enfance inadaptée;
b) L’extension aux écoles maternelles élémentaires et professionnelles de la reconnaissance pour fin de subventions, qui était réservée aux écoles secondaires et aux écoles déclarées d’intérêt public;
c) Le remplacement dans le cas des écoles déclarées d’intérêt public de la subvention basée sur le traitement du personnel par une subvention per capita représentant 89 pour cent du coût moyen par élève des écoles publiques de même niveau;
d) Le remplacement, dans le cas des écoles reconnues pour fins de subventions, du per capita fixe prévu par un per capita représentant 60 pour cent du coût moyen par élève des écoles publiques de même niveau. « Nous avons la conviction que toutes ces modifications et d’autres de moindre importance ont amélioré sensiblement le projet initial que cette loi de l’enseignement privé telle qu’elle est présentée permettra vraiment l’exercice du droit â la liberté de l’enseignement en même temps qu’une réglementation juste et efficace de l’exercice de ce droit», a déclaré M. Morin.
Une autre modification contenue dans le nouveau bill 56 porte de 7 à 9 le nombre des membres de la Commission consultative que consultera le ministre avant de déclarer telle ou telle institution privée d’intérêt public.
Los représentants de l’enseignement privé étaient au nombre de 4 sur 7. ils sont maintenant au nombre de 6 sur un total de 9.
À la prochaine session
D’autre part, les propos tenus par le ministre de l’Éducation, M. Jean-Guy Cardinal, portent à croire de façon certaine que le projet de loi ne sera pas approuvé avant la prochaine session en 1969.
Ainsi, en réponse à une question de M. Jean Lesage, selon laquelle l’Association des parents catholiques a demandé l’adoption immédiate du bill 56, M, Cardinal a répondu: « Il est exact que j’ai des représentations d’une association demandant que le bill soit adopté au plus tôt. Ce sont des représentations d’une association alors que près d’une quarantaine se sont présentées devant le comité parlementaire de l’Éducation.
Il avait été mentionné devant ce comité qu’un nouveau projet de loi serait rédigé et que le temps de le revoir serait donné aux gens qui étaient devant ce comité. «D’autre part, il est à noter que l’année scolaire est commencée et que ce bill ne pourrait pas s’appliquer, de toute façon, avant septembre 1969.

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