Murray, le général solitaire et sa politique envers les employés canadiens
Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, James Murray, le premier gouverneur du Canada nommé par la Couronne après la Conquête du pais, ne s’entoura pas exclusivement d’Anglais. Son personnel régulier et occasionnel se composait de Canadiens et d’Anglais et, à un certain niveau, les francophones auraient même joui de quelques privilèges. C’est en analysant le livre de comptes du général qu’Arthur Maheux tire cette impression.
Le cas de Raymond Ponsant, un catholique marié à Québec le 7 juillet 1749 et remarié le 28 janvier 1754, est l’un des plus intéressants. Cet homme est un écrivain ou un commis auquel Murray verse le quart de son salaire annuel, le 29 décembre 1759. Pourtant, à l’anglais Allison qui exécute une fonction similaire, Murray différera de sept mois le versement de son salaire. Pourquoi? Mystère.
Pourquoi, également, ne fit-il pas appel aux services de l’un des Suisses protestants qui faisaient partie de son armée? Plusieurs, ayant une excellente connaissance de la langue française, auraient pu remplier cet office.
Le cas de Raymond Ponsant n’est pas le seule qui soit intéressant, car, malgré une loi anglaise interdisant aux catholiques les emplois de conseiller, greffier, avocat, procureur, médecin, apothicaire, juge, fonctionnaire, registraire, secrétaire de conseil ou de cour, capitaine, lieutenant, sergent, caporal, porte-étendard, capitaine de navire, maître d’équipage, etc. Le général anglais paye à un certain Lafontaine les services d’un avocat : Jean-Baptiste Lebrun. Il offre à un citoyen de Philadelphie les conseils d’un autre avocat : Benjamine Comte. En 1761, il confie à un certain Vallée la publication des ordonnances et des autres publications.
Le greffier de son Conseil sera Jean-Claude Panet. Joseph Pierre est lui aussi engagé comme écrivain et, dans un autre domaine – celui de la construction des routes – le général favorise la nomination de grands voyers d’origine canadienne, coutume qui ne sera brisée qu’en 1826 par la nomination d’un Anglais.
Dans l’exécution de services spéciaux, il a également recours aux talents locaux. Dans une chasse à l’homme, un Canadien, Grand’maison, lancé à la poursuite d’un déserteur, perd l’usage d’un bras. Murray lui fera verser une pension annuelle. Quand l’horloge de Québec s’arrête, il donne le contrat à Jacques Hermier qui sera remplacé, dans un autre cas, par l’horloger Étienne Pépin. Lorsque Murray fait frapper des médailles destinées à récompenser les Amérindiens pour les services qu’ils ont rendus au régime, il en confie le moulage à Ignace-François Delezenne qui est installe au Canada depuis 1748.
En conclusion, Arthur Maheux écrit : « Lorsqu’on a dressé la liste complète de tous les Anglais employés par Murray, on n’en trouve que 46. Cette constatation mérite qu’on s’y arrête. Murray emploie ou paye, à même les fonds publics, 46 Anglais contre 67 Canadiens français, que se soit sous le régime d’État de siège en 1759-1760, ou sous le régime militaire, de 1760-1763, ou sous le gouvernement civil de 1763 à 1766, année où Murray dut retourner en Angleterre. »
James Murray vécu à Québec de 1759 à 1766, des années d’amère solitude, regrettant fréquemment l’absence de sa femme qui, pour des raisons de santé, refusa toujours de traverser la mer pour le rejoindre. Il s’adresse à cette femme aimée, dans une lettre écrite à la veille de l’hiver 1753 et traduite ainsi par Pierre-Georges Roy, en 1938 :
« Ma chère Délia,
Je vous ai écrit récemment pour vous dire tout le plaisir que vous me feriez en venant me rejoindre. Madame Brookes qui vient d’arriver en parfaite santé m’a informé que certaines personnes officieuses ont pris la peine d’aller vous conseiller de ne pas faire le voyage. Ces êtres sont sûrement vos ennemis et les miens. Tout le monde sait qu’un voyage sur mer est un remède pour les affections nerveuses et nous jouissons sous ce pays du plus beau climat qui existe sous le soleil.
Autrement, je n’aurais pas insisté avec tant de force et si souvent pour vous attirer en ce pays. Il y a huit ans, si toute la création m’avait dit que vous refuseriez de me suivre dans n’importe quelle partie du monde, je lui aurais répondu qu’elle mentait. J’entretiens toujours l’espoir de vous voir en mai prochain. »
Ailleurs, le général parle du ridicule qui le guette, implorant Délia, en soulignant que l’homme qu’elle délaisse est justement capable de la rendre heureuse. Si elle se décide enfin, elle peut être assurée que toutes les mesures seront prises pour qu’elle ne manque de rien. Surtout, souligne Murray, qu’elle emporte, dans ses bagages, de beaux vêtements de qualité :
« Je n’ai pas à vous dire à quel point vous devrez vous munir d’une large quantité de vêtements magnifiques. Les gens de ce pays sont vaniteux. Ils aiment la gloriole et ils seraient désappointés de ne pas voir la femme de leur gouverneur vêtue selon sa position.
… Que Dieux vous bénisse et que votre cœur vous dise de rendre un mari heureux. »
Sa prière ne fut pas entendue.
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