Histoire du Québec

Indiens : Précautions en pays ennemi

Indiens : Précautions en pays ennemi

Précautions en pays ennemi prises par les Amérindiens

La manière dont les Sauvages font la guerre est redoutable à tous leurs ennemis, parce que tout leur art se réduit à les surprendre, comme le chat fait la souris. Un petit parti vise à tomber sur quelques cabanes de chasseurs qu’ils enlèvent pendant leur sommeil. Lors même qu’ils marchent en corps d’armée, ils tâchent de prendre si bien leurs mesures qu’ils arrivent au moment où on les attend le moins; pendant que les hommes sont à la chasse, que les femmes sont occupées à travailler aux champs, et qu’on est hors d’état de leur faire tête.

Le succès de ces entreprises dépendent du secret, et du soin qu’ils prennent de couvrir leur marche, il n’est point de mesures qu’ils ne mettent en œuvre pour découvrir les divers partis qui sont en campagne, et pour n’être pas découverts eux-mêmes.

A chaque campement qu’ils font, ils envoient leur découvreurs pour battre l’estrade et connaître le terrain. Ceux-ci ont des signaux auxquels ils ne se trompent guère.

Le premier, c’est l’odeur de la fumée. S’il y a quelques Sauvages cabanés dans le bois, et qui y vivent en sécurité, ceux qui les cherchent s’en aperçoivent aussitôt, et de très loin, à l’odeur de leur feu. On peut être assuré qu’ils ont le sentiment aussi fin que l’est celui d’un chien de chasse, accoutumé à se mettre sur les pistes de sa proie.

Le second signal est celui des vestiges des personnes qui ont passé dans un endroit. Il est certain qu’ils aperçoivent ces vestiges là où nous n’en saurions voir la moindre trace. Du premier coup d’œil, ils diront sans se tromper de quelle nation, de quel sexe, de quelle taille sont les personnes dont ils voient les pistes, et combien à peu près il y a de temps que ces pistes sont imprimés.

Supposé que ces personnes soient de leur connaissance, ils ne tarderont pas à dire ce sont les vestiges d’un tel ou d’une telle. Ils ont même cette malice que, lorsqu’ils ont découvert par là le lieu d’un rendez-vous suspect, ils enlèvent toute l’herbe qui répond à l’un de ces vestiges : langage muet, mais expressif, de ce que la bouche ne peut dire avec bienséance, et il est rare qu’ils s’y trompent.

Bien qu’il y ait en cela quelque chose d’extraordinaire, ce n’est pas à dire qu’ils aient la vue meilleure, et plus perçante que nous; mais je crois que c’est l’effet d’une attention particulière, et d’un long usage à faire ces sortes de remarques. J’en ai moi-même fait l’expérience, non pas à la vérité par rapport aux vestiges, à la considération desquels je ne me suis point appliqué, mais par rapport à deux autres choses qui se présentent assez souvent.

Dans les commencements que j’étais à ma mission, j’étais tout surpris de voir les Sauvages découvrir de très loin les canots qui montaient, ou qui descendaient la rivière, dès le moment qu’ils se montraient. Je n’étais pas moins étonné de voir, qu’étant en canot avec eux, ils faisaient souvent un mouvement, comme s’ils eussent voulu harponner un poisson qu’ils voyaient au fond de l’eau. J’ouvrais les yeux aussi grands que je pouvais, et je ne voyais rien. Mais peu à peu, à force d’attention sur l’endroit qui m’était marqué, je parvins à découvrir quelque chose. Enfin je m’y accoutumai si bien, que j’étais souvent le premier à les faire apercevoir aux Sauvages; mais, malgré mon expérience, je ne laissais pas d’être surpris qu’on pût voir un poisson sous l’eau à plusieurs pieds de profondeur, et un canot à plus d’une lieue loin, quoique les terres le mangent, et qu’il ne paraisse que comme une ligne sur la surface de l’eau.

Les Anciens avaient cette science des vestiges, et s’en servaient avec avantage de la même manière que nos Sauvages. Apollonios de Rhodes (IV, 1450) nous en donne l’exemple dans les Argonautes. Ceux-ci avaient abandonné Hercule, lorsqu’il s’était égaré pour courir après Hylas, que les Nymphes lui avaient ravi. Ayant appris ensuite qu’il avait paru dans la Libye depuis peu de jours, et qu’il ne devait pas être éloigné, ils envoyèrent plusieurs de leur troupe en différents endroits pour demander de ses nouvelles, parce que, ajoute-t-il, ils n’étaient plus à temps de le suivre en courant sur ses pistes, les vents qui avaient soufflé pendant quelques nuits ayant troublé tous les vestiges et transporté les sables de côté et d’autre, comme il arrive encore aujourd’hui dans ces pays-là, où les caravanes entières sont quelquefois ensevelies sous des montagnes de ces sables mouvants des déserts de l’Afrique.

Ils n’ignorent pas que leurs ennemis ont les mêmes qualités qu’eux; et, pour n’en être pas découverts, ils s’observent avec très grand soin, et marchent avec une très grande circonspection. Ils ne se servent plus de fusils pour chasser, et ils commence à vivre des provisions de farine qu’ils ont apportées. Ils la détrempent avec un peu d’eau froide, ou la mangent toute sèche, et boivent un grand coup par-dessus. Ils n’osent pas même allumer du feu. Dans leur route, ils marchent à la file les uns des autres, et les derniers couvrent les pistes avec des feuilles; s’ils trouvent quelque ruisseau, ils marchent quelque temps dans l’eau pour dépayser ceux qui pourraient les suivre. Enfin, en approchant du terme, ils ne marchent plus que la nuit, et reposent une grande partie du jour. Malgré toutes ces précautions néanmoins, ils sont fort souvent surpris, parce qu’ils manquent à la plus essentielle, qui est de faire une sentinelle exacte; car au lieu de se relever les uns les autres dans cette fonction, ils se reposent sur l’assurance que leur ont donnée les découvreurs qu’ils ont envoyés, avant que de se camper; ils dorment tous ensemble comme en pays de sûreté, et c’est lorsqu’ils sont profondément endormis qu’on leur donne l’assaut, qu’on les assomme, ou qu’on les fait esclaves.

Cette guerre de surprise que se font les Sauvages les uns aux autres, à la façon des Parthes, qui fatiguèrent si longtemps les Romains, ne vient point d’un principe de lâcheté; mais plutôt de l’envie qu’ils ont de rendre leur victoire plus complète, et de leur attention à conserver leur monde. La perte d’une seule personne leur est extrêmement sensible, en regard à leur petit nombre; et cette perte a de si grandes conséquences pour le chef d’un parti que de la dépend sa réputation, les Sauvages voulant qu’un chef non seulement soit habile, mais encore qu’il soit heureux. Leur bizarrerie est telle sur point que s’il ne ramène tout son monde, et que s’il en meurt quelqu’un même de mort naturelle, il est presque entièrement décrédité. Cela peut être néanmoins l’effet d’une bonne politique, pour tenir par là ces chefs en bride, et les engager à ne pas exposer leur monde avec témérité. Du reste, ils font bien voir dans l’occasion qu’ils ne manquent pas de cœur lorsqu’ils sont découverts, et qu’il faut payer de leur personne, soit que deux partis ennemis se rencontrent en campagne, soit qu’ils soient obligés d’attaquer une place en état de faire résistance.

(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau)

precautions au pays ennemi

Forêt canadienne. Photographie de GrandQuebec.com.

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