L’image de la Révolution française au Québec

L’image de la Révolution française au Québec

On peut voir incontestablement les textes des années surchauffées au Québec, influencés par la Révolution française. On y voit des phrases, comme « contrat social », « stricte égalité devant la loi », régénération », « éducation physique et moral de la jeunesse », et, bien entendu, « Convention ». Mais ce dernier terme, on le sait, est d’origine américaine. On trouve aussi « L’Ami du Peuple », titre du journal de Marat, modèle d’exaltation montagnarde, mais c’est au bas d’un texte qui fustige ceux-là qui refusent d’obéir au Souverain et au clergé. Les images peuvent être floues, voir carrément brouillées Ce qui se dégage le plus clairement, c’est sans doute une image téléologique de la Révolution française : révolution réussie, mais étroitement liée à la Révolution américaine, elle cautionne en quelque sorte le projet des Patriotes :

Après soixante dix sept années de domination anglaise, nous sommes portés à regarder notre pays dans un état de misère comparé aux républiques florissantes qui ont eu la sagesse de secouer le joug de la monarchie. Nous avons laissé échapper deux superbes occasions : tenons-nous préparés pour une troisième.

Par la suite, on pourrait distinguer deux pôles: l’image « libérale », la Révolution charnière, qui a légué au monde un message de portée universelle et l’image conservatrice, la Révolution cataclysmique, satanique. On peut accepter 1789 et refuser 1793 : Liberté pour tous voilà notre mot, liberté pour l’ouvrier qui a le droit de vendre son travail pour le salaire qui lui plaît, liberté pour le patron qui a aussi le droit de donner de l’ouvrage à qui bon lui semble, mais nous nions à n’importe qui le droit d’imposer un ouvrier ou un salaire. Ce serait, alors, la société renversée, le rêve des « 93 » se réaliserait, le patron deviendrait serviteur et serviteur prendrait le bâton du commandement.

L’image négative est, de toute manière, nettement la plus pageuse.

Les historiens, pour leur part, n’abordent la Révolution française qu’avec une extrême méfiance. L’historiographie québécoise, dominée par des ultramontains, frémit à l’idée qu’une telle aberration puisse voir le jour au Québec.

Ce n’est que vers le milieu du XXe siècle, à la veille de la Révolution tranquille, que l’image apocalyptique de la Révolution française s’efface devant l’image favorable. Que des peintres, Borduas, Mousseau…, aient été à l’avant-garde de ce retournement n’est que justice ; non seulement ce travail était-il conforme à leur vision de la fonction sociale de l’art, mais c’était un travail auquel leurs prédécesseurs n’avait pu avoir accès.

Avec la Révolution tranquille, la Révolution française cesse d’être l’enjeu qu’elle avait été : il devient alors possible d’en parler autrement, à la fois en elle-même et dans l’histoire du Québec. Elle inspire, du moins en partie, le regard neuf que de nouvelles générations d’historiens posent sur le passé québécois et sur sa place dans l’histoire du monde occidental, dont il n’avait jamais cessé de suivre, voire subir, l’évolution économique et sociale. Elle contribue aussi à nourrir une réflexion renouvelée sur la politique – et sur l’idée même de révolution. Surtout, elle contribue à mettre à l’ordre du jour, des concepts dont elle avait proclamé la valeur universelle : liberté de pensée, séparation de l’Église et de l’État, égalité des droits… La part des choses, si l’on veut, rejoignait la part des mots : à deux siècles de distance, le Québec rejoignait le monde pour voir, dans la Déclaration des Droits, un document actuel et dans la Terreur, un drame pensable.

(Tiré du livre L’Image de la Révolution française au Québec. Sous la direction de Michel Grenon. Éditions Hurtubise HMH Cahiers du Québec/Histoire).

Semblable à la chandelle, qui se détruit elle-même pour faire clarté aux autres, je chante, plus je souffre un dur martyre, pour le plaisir d’autrui. (Peire Raimon de Tolosa). Rues du Vieux-Québec, photographie de Megan Jorgensen.
Semblable à la chandelle, qui se détruit elle-même pour faire clarté aux autres, je chante, plus je souffre un dur martyre, pour le plaisir d’autrui. (Peire Raimon de Tolosa). Rues du Vieux-Québec, photographie de Megan Jorgensen.

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