L’enseignement de l’hygiène dans les écoles
Négligences et abus incroyables dans les écoles québécoises
(une lettre publiée dans le journal Le Canada, samedi, 22 juillet 1905).
Monsieur le Rédacteur,
Nos règlements scolaires donnent des détails assez complets sur la manière dont doivent être construits et entretenus les lieux d’aisances près des maisons d’école. Les cabinents doivent avoir certaines dimensions, être pourvus de ventilateurs, nettoyés et désinfectés de temps en temps. Il doit y avoir des urinoirs pour les garçons, etc. Cela ne serait pas trop mal si les règlements étaient observés, mais les commissions scolaires, surtout à la campagne s’en occupent à peu près comme de l’homme qui est dans la lune.
Dans le numéro de mardi dernier, la « Patrie » constate avec regret qu’il n’est pas une partie du monde dans laquelle les cimetières offrent un spectacle aussi affligeant que dans notre province. L’état de nos écoles rurales et des dépendances dont nous venons de parler n’est pas moins affligeant.
Dernièrement les journaux ont dénoncé l’état affreux ds privés dans certains bateaux à vapeur, et il est étonnant que personne n’ait songé jusqu’ici à faire entendre une protestation contre l’état de malpropreté épouvantable dans lequel on trouve les latrines près des gares de chemin de fer en dehors des villes, dans un grand nombre de localités.
Dernièrement (c’était le 27 juin 1905), j’ai eu l’occasion de faire un voyage dans la Beauce. À la gare de Lambton, il y en avait un demi-pied d’épais dans la petite bâtisse, qui était, du reste, bien construite et peinturée en dehors. En ouvrant la porte, la puanteur était tellement insupportable que je m’empressai de prendra la fuite.
Comme se fait-il que les compagnies de chemin de fer, avec leurs nombreux personnel, ne trouvent pas moyen de veiller sur l’entretien des latrines auprès des gares ?
Nos lois sur l’hygiène sont lettre morte, et la protection accordée au public est nulle.
Les compagnies de chemin de fer s’empresseraient d’agir si le public et les conseils municipaux leur forçaient la main.
Hélas, les commissaires municipaux, comme les commissaires d’écoles, n’ont pas le courage de faire leur devoir, et il n’est pas rare d’en trouver qui sont assez ignorants pour ne pas même comprendre la nécessité de protéger la santé publique.
La « Patrie » propose comme mesure urgente l’introduction dans les écoles d’un traité d’hygiène et veut même qu’on utilise le conseil de l’Instruction Publique pour prendre action, mais il me semble que ce n’est pas cela qui presse le plus.
Le surintendant a tous les pouvoirs nécessaires pour avertir les commissaires d’écoles qu’ils doivent construire et entretenir les latrines conformément aux prescriptions hygiéniques et pour retenir la subvention aux récalcitrants. Une circulaire dans ce sens aurait un bon effet, je crois. En général, ces messieurs remuent quand la subvention est en danger. C’est le mobile le plus puissant pour les faire agir.
Le règlement exige qu’il y ait des urinoirs pour les garçons ; on n’en trouve à peu près nulle part. C’est le siège qui sert d’urinoir ; après qu’il est sali les immondices se déposent sur le plancher, ensuite dans le passage, enfin en arrière de la petite construction. À la fonte des neiges l’intérieur et même le dehors des cabinets d’aisances présente un aspect tellement dégoûtant qu’il mérite la description.
L’institutrice ne s’en occupe pas : ce n’est pas son affaire, c’est celle des commissaires, mais ils ne s’en occupent pas non plus.
Dans le voisinage immédiat d’un grand nombre d’écoles et de gares de chemin de fer on trouve un cloaque immonde, un dangereux foyer d’infection ; le peuple est trop ignorant pour connaître le danger et les autorités, pour des raisons que j’ignore, laissent faire.
Dans de telles circonstances, des leçons d’hygiène données ex-cathedra, seraient une véritable moquerie. L’achat d’un petit livre sera une dépense de plus pour les parents, auxquels on en fait déjà acheter trop. La plupart des institutrices, faute de savoir mieux, feront apprendre ce manuel en perroquet, et tout ce qui en résultera, ce sera d’empirer encore l’abus du bourrage et du par cœur qui est le fléau de nos écoles élémentaires.
Les manuels d’hygiène n’auront pas plus de résultat réel que les manuels de dessin et d’agriculture qu’on a introduits dans les écoles. On a dépensé beaucoup d’argent et tout le monde convient que le résultat, s’il a été fructueux pour les auteurs qui ont réussi à écouler leurs ouvrages, a été nul pour les élèves.
Votre bien dévoué,
Ancien instituteur.
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