Histoire d’un Sibérien gelé
Pour aller du Pacifique à l’estuaire du Saint-Laurent, le long chemin de fer n’avait plus qu’un obstacle à franchir: un fleuve (il s’agit en fait de la rivière Harricana).
Le passage vers l’ouest, ce fameux chemin de l’Asie qu’avaient en vain recherché Cartier et tant de navigateurs inconnus, les gens de la ligne le traçaient sur les terres. La hache remplaçait l’étrave des bateaux, les rubans de fer tenaient lieu d’océan, les arbres abattus permettaient de franchir les cours d’eau. Au lieu d’en faire des vaisseaux, les charpentiers les jetaient d’une rive à l’autre. Comme il ne restait plus qu’un pont à terminer, toutes les forces de cet interminable chantier qui avait occupé tant et tant d’hommes semblaient s’être portées sur l’Harricana.
Il était venu des travailleurs de très loin. Les uns fascinés par l’Amérique des libertés, d’autres persuadés que la fortune les attendait sur ce continent. Tous avaient peiné, très peu s’étaient enrichis, quelques-uns étaient morts.
On racontait leur fin. Particulièrement l’histoire du Sibérien gelé. Ils étaient une vingtaine nouvellement embauchés par la compagnie Foley Welsh et Stuart pour être employés aux travaux de terrassement d’un viaduc. Terrible besogne dans le sol glaiseux qui cède sous les charges et écartèle les ouvrages avant même qu’ils ne soient terminés. Cette équipe-là était entièrement constituée d’émigrés d’Europe orientale. C’est à peine si trois ou quatre d’entre eux comprenaient quelques mots d’anglais ou de français.
Au plus froid de l’hiver, on les fit partir à pied de Matheson. Ils traversèrent l’immense lac Abitibi par un froid de moins soixante degrés. Arrivés à un premier camp de chantier, on refusa de les héberger.
Nul ne saura jamais quel malentendu poussa des hommes enfermés dans la tiédeur d’une baraque à en rejeter d’autres vers le nord glacial. Il restait aux marcheurs épuisés quelque trente milles à parcourir.
L’un d’eux ne put atteindre le terme du voyage. Venu de l’autre bord du monde, il s’écroula gelé, tout roide, à quelques heures de son but. Pour avoir à creuser moins large dans le sol dur comme pierre, ses compagnons qui refusaient de l’abandonner aux loups l’enterrèrent debout, tel un piquet planté sous terre, à l’endroit où devait naître plus tard la petite ville de La Sarre.
(D’après Bernard Clavel, Harricana).
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