Histoire du Québec

Guerres indiennes : Destination des esclaves

Guerres indiennes : Destination des esclaves

Guerres indiennes : Destination des esclaves

La destination s’en fait dans un conseil, après lequel on fait le cri dans le village, où tout le monde s’assemble dans la place publique pour y apprendre le sort de esclaves. Un Ancien déclare le partage qu’on en a fait, les nations alliées, ou les personnes à qui ils sont donnés, et le nom de ceux ou de celles qu’ils doivent remplacer. On distribue aussi en même temps les chevelures, lesquelles tiennent lieu d’un esclave, et remplacent aussi une personne. Ceux qui reçoivent ces chevelures, les conservent avec soin, les suspendent pendant quelque temps aux portes de leurs cabanes; elles s’en font un ornement dans les solennités publiques, surtout lorsqu’on chante la guerre. Enfin elles les suspendent de nouveau aux portes de leurs cabanes, où le temps achève de les consumer.

Après cette distribution on conduit les esclaves dans les cabanes où ils sont donnés, et on les y introduit; ou bien on les laisse à la porte dans le vestibule, ce qui se pratique surtout lorsqu’on n’est pas déterminé à leur donner la vie. Là on leur fait donner sur-le-champ à manger. Cependant ceux de cette cabane, leurs parents et leurs amis pleurent les morts que ces esclaves remplacent, comme si on ne faisait que de les perdre; et on verse dans cette cérémonie des larmes véritables pour honorer la mémoire des personnes, dont la vue de ces esclaves rappelle un souvenir amer et renouvelle la douleur qu’on a eue de les avoir perdus.

Les guerriers qui donnent un esclave le donnent avec le collier qui a servi d’engagement à leur entreprise, ou qui leur sert de parole, pour dire qu’ils ont rempli leur obligation. Ils dépouillent l’esclave de tout le reste, excepté de la seule pièce qu’ils ne peuvent lui ôter avec bienséance. La cabane à qui l’esclave est donné doit répondre à ce présent par un autre si elle lui donne la vie; mais si elle le jette au feu, le présent se prend sur le village, étant juste qu’il paie le plaisir barbare qu’il a de le faire mourir.

On brûle toujours deux ou trois esclaves, lorsqu’ils sont donnés pour remplacer des personnes de grande considération, quand bien même ceux qu’on remplace seraient morts sur leur natte et de leur mort naturelle. On n’est point surpris que ceux à qui on les donne les jettent au feu, selon leur expression; mais après cela il faut que les personnes intéressées se contentent; car l’obligation de remplacer les morts, subsistant toujours dans les enfants par rapport à la cabane de leurs pères et de leurs tantes, jusqu’à ce qu’on ait donné la vie à une personne, qui représente celle qu’on veut ressusciter; ceux qui ont cette obligation auraient droit de se plaindre qu’on les ménage peu. Puisque pour faire un esclave eux-mêmes, d’être tués ou brûles, de la même manière dont ils les brûlent chez eux.

Souvent les Anciens appliquent quelques prisonniers au fisc, comme un bien qui appartient au public, et qui peut servir dans la suite pour quelque affaire d’État. On ne laisse pas alors de les déterminer à quelque cabane, et de leur faire relever quelque nom, pour mieux déguiser les intentions secrètes que le conseil peut avoir prises, ou prendre dans la suite à leur sujet. D’autrefois, les Anciens et les guerriers eux-mêmes, en les donnant dans une cabane, font pressentir l’inclination qu’ils ont sur la décision de leur vie ou de leur mort; et cette inclination est communément suivie par la déférence qu’on pour eux; mais elle ne fait pas loi. Celles à qui on les donne en sont tellement maîtresses que l’inclination de tout le village ne saurait les sauver, si elles ont envie de les jeter au feu, ni les faire mourir si elles ont la volonté de leur donner la vie.

Les circonstances critiques où se trouvent ces malheureux décident assez souvent de leur destinée. Leur perte est comme s’ils tombent dans une cabane où l’on ait perdu beaucoup de guerriers, ou quelques autre personne que se puisse être, ne fût-ce qu’on enfant à la mamelle, dont le deuil est encore récent. Ils ne courent pas un moindre risque si leur âge, leur air, leur physionomie et leur caractère ne plaisent pas et font craindre qu’on n’en retirera pas de grands services : si on les donne à certaines mégères, lesquelles se font un plaisir de leur inhumanité : ou bien si on les applique à des cabanes pauvres, qui ne soient pas en état de reconnaître le présent, de nourrir et d’habiller l’esclave. Les jésuites ont sauvé plusieurs de ces malheureuses victimes qu’ils ont retirées des feux de ces barbares, en fournissant les présents nécessaires pour leur conservation.

Leur sort est bientôt décidé si les personnes à qui ils sont données se trouvent dans le village. Mais si elles sont absentes, ces infortunés vivent jusqu’à leur retour dans une cruelle incertitude entre la vie et la mort. On leur donne néanmoins une liberté raisonnable; ils ne sont ni liés, ni enchaînés, on les entretient dans l’espérance de la vie, et on se contente de veiller à ce qu’ils ne puissent pas s’enfuir. Souvent, pour les tranquilliser et pour les tromper mieux, on leur laisse ignorer dans ces occasions à qui ils ont été donnés.

(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau)

Estination des esclaves

Sombre destination des esclaves. Image : Grandquebec.com.

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