Le ministère de Félix-Gabriel Marchand
Des élections provinciales ont lieu en 1897. Les libéraux du Québec profitent de la vague de popularité déclenchée par la présence de Laurier au fédéral. E dernier envoie dans la mêlée son principal organisateur, Israël Tarte. Celui-ci déclare sans ambages que “les élections ne font pas avec des prières”. Ils n’obtiennent que 23 sièges alors que les libéraux en décrochent 51. Le chef libéral Félix-Gabriel Marchand, qui siège à la Chambre depuis 1867, devient premier ministre le 24 mi 1897.
L’arrivée des libéraux au pouvoir va modifier considérablement la politique québécoise. Le rôle de l’État sera désormais plus déterminant. Le gouvernement Marchand adopte une vigoureuse politique de développement et d’exploitation des ressources naturelles, profitant d’ailleurs de la conjoncture économique mondiale. Ce développement apporte au gouvernement des revenus accrus (droits de coupe, vente de terres) qui pemettent l’assainissement des finances provinciales.
Le gouvernement Marchand projette une nouvelle politique en matière d’éducation. Le recensement de 1891 a révélé que, sur 1073815 Québécois âgés de 10 ans et plus, 275878 ne savent ni lire ni écrire. Le Québec a le triste honneur de posséder un taux d’analphabétisme bien supérieur à celui de l’Ontario ou du Canada en général. Cette situation alarme les hommes politiques soucieux de l’avenir de la nation. Le gouvernement présente, en décembre 1897, un projet de loi visant à rétablir le ministère de l’Instruction publique et à accroître le rôle de l’État dans le domaine de l’éducation. L’évêque de Montréal, Mgr Bruchési, s’oppose avec force au projet. Il tente, mais sans succès, de rallier Rome à sa cause. Marchand, appuyé par le lieutenant-gouverneur Chapleau, résiste aux pressions épiscopales et le projet de loi est adopté par 44 voix contre 19. cependant, le Conseil législatif, formé d’une majorité de conservateurs dirigés par Thomas Chapais, se fait le porte-parole des évêques et rejette le projet de loi. Au cours des mois qui suivent, Laurier intervient discrètement. Il veut réconcilier les évêques et le parti libéral. On trouve un compromis: certaines réformes seront faites mais le projet de ministère est abandonné. On attendra 60 ans le bill 60 !
(Thomas Chapais : Historien et homme politique (1858-1946) qui détint des portefeuilles dans les gouvernements de Taillon, Flynn et Duplessis. Il fut nommé au Conseil législatif en 1892 et en devint le président en 1895. En 1919, il accéda au Sénat. Il professa à l’Université Laval et publia son Cours d’histoire du Canada (1760-1867)
Monseigneur Paul Bruchési appartenait à une génération d’évêques bien décidés à défendre le pouvoir religieux. Les moyens d’action changeront après lui. C’est ce que raconte Pierre Hébert dans son essai intitulé “Censure et littérature au Québec : le livre crucifié, 1625-1919, Fides, 1997). Il s’agit d’un ouvrage consacré à l’histoire de la censure ecclésiastique de l’imprimé au Québec auquel a collaboré Patrick Nicol. Pour avoir une juste idée de la contribution des religieuses, voir de Daniel Juteau et Nicole Laurin: “À la recherche d’un monde oublié”, “Les communautés religieuses de femmes au Québec de 1900 à 1970 (Jour, 1991) et “Un métier et une vocation. Le travail des religieuses au Québec de 1901 à 1971, PUM, 1997).
“Mais, M. L’Orateur, si nous voulons apporter des modifications à notre loi de l’instruction publique, qu’on le sache bien dès maintenant, nous n’entendons pas créer de révolution. Que ceux pour qui le titre de libéral, que nous portons avec fierté, a été de tout temps un titre suspect et qui ont cru que nous voulions tout bouleverser et tout détruire, que ceux-là se détrompent. Nous garderons les Crucifix aux murs de nos écoles. Nous voulons modifier notre loi de l’instruction publique, mais nous n’entendons pas toucher à celle de ces dispositions qui sont une sauvegarde pour la foi et les mœurs. Nous voulons que plus d’enfants sachent lire, nous voulons que la jeunesse soit mieux instruite ; mais nous sommes de ceux qui croient que Dieu doit être présent partout dans l’enseignement ; cette loi ne doit pas être une loi subversive de l’ordre. Puisqu’elle a eu l’approbation de nos amis, et celle d’hommes que nos adversaires citent comme les appuis incontestés des bons principes et des saines doctrines. »
Dès 1868, la province d’Ontario adoptait aussi une loi par laquelle on créait un ministère de l’instruction publique. Cette loi avait été préconisée par le dernier surintendant de l’instruction publique d’Ontario, le docteur Ryerson qui, dans la lettre par laquelle il se démettait de ses fonctions, déclarait que le plus sûr moyen de faire progresser l’instruction était de la mettre sous la direction d’un ministre.
« Pourquoi, je le demande de nouveau, faut-il que le département de l’instruction publique soit dirigé par un ministre plutôt que par un surintendant ? Pour plus d’une raison.
C’est au gouvernement qu’il appartient de créer l’avenir d’une nation. C’est à lui qu’il incombe d’étudier les avantages naturels qu’offre le pays, d’y choisir les sources les plus fécondes d’enrichissement, puis d’en préparer l’exploitation.
En même temps, le gouvernement doit étudier les aptitudes particulières du peuple, et harmoniser le développement de ces aptitudes avec le but à atteindre. Le développement de ces aptitudes fournir le moyen d’atteindre le but. Si le gouvernement est chargé de la fin, il doit pouvoir disposer des moyens. Or, c’est par l’instruction que ces aptitudes se développeront. Pour que l’instruction soit sagement divisée, n’est-il pas sage de laisser à l’exécutif la tâche d’interpréter et de faire exécuter les lois de l’instruction publique qui émanent du gouvernement lui-même. »
Joseph-Emery Robidoux, secrétaire provincial, défend en Chambre son projet de réforme scolaire. Voir Louis-Philippe Audet, Histoire du Conseil de l’Instruction publique. Leméac, Montréal, 1964.
En 1900, après la mort de Marchand, le poste de premier ministre échoit à Simon-Napoléon Parent, précédemment ministre des Terres, Forêts et Pêcheries. Reprenant une idée chère à Mercier, Parent convoque, en 1902, une autre conférence interprovinciale portant sur la question des subventions fédérales aux provinces. Les premiers ministres approuvent les recommandations de 1887 et demandent au gouvernement central l’octroi d’une subvention de 20 cents par habitant pour l’administration de la justice dans les provinces. Au Québec, la recherche de nouvelles sources de revenus revêt une grande importance, puisque le service de la dette absorbe en 1900 plus de 33 pour cent des dépenses. Même si la dette publique grimpe, les revenus dérivés du domaine public et de la subvention fédérale passent de 84 pour cent du revenu global en 1869 à 55 pour cent en 1900. À partir de 1897, le Québec, comme les autres provinces, cesse de contracter des engagements qui entraîneraient de nouvelles dettes.
(Il s’agit des revenus dérivés de l’exploitation des richesses naturelles (forêts, mines, potentiel hydroélectrique).
Même si les libéraux dominent la scène politique à la fois aux niveaux fédéral et provincial, l’unanimité est loin d’être complète. Des leaders s’affirment au Canada français : Henri Bourassa et Armand Lavergne prêchent u nationalisme pan-canadien. Cette attitude embarrasse nettement Laurier qui doit ménager la ferveur britannique des Anglo-Saxons. La révolte de la jeunesse contre les vieux partis se canalise dans la Ligue nationaliste fondée en 1903 par Olivar Asselin. On exige une autonomie plus grande du Canada vis-à-vis de la Grande-Bretagne,, un sort identique des provinces vis-à-vis du gouvernement central et une politique canadienne de développement économique et intellectuel. Un autre groupe de jeunes, dirigé par les abbés Lionel Groulx et Émile Chartier, respectivement de Valleyfield et de Saint-Hyacinthe, forme la même année l’Association catholique de la Jeunesse canadienne-française (A.C.J.C.). (Voir Lionel Groulx, Mes Mémoires, 1878-1920. Tome I, Fides, Montréal, 1970 : 107-108. Ce mouvement, groupant surtout des jeunes des collèges classiques, adopte, à l’origine, des attitudes nationalistes basées autant sur la religion que sur la politique. Selon l’historien Mason Wade, « L’A.C.J.C. Fut le berceau du nationalisme canadien-français du vingtième siècle et le mélange de religion et de patriotisme qu’elle engendra fut porté dans tous les milieux de la vie canadienne-française par l’enseignement passionné que recevait la jeune élite qui passait par ses rangs ».
(Tiré du livre Canada – Québec 1534-2010, par Jacques Lacoursière, Jean Provencher et Denis Vaugeois, éditions Septentrion), 2011, pages 381-382).
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