
L’œuvre de la France en Amérique du Nord au début de la colonisation
C’est l’influence du milieu – sa géographie et ses ressources – qui donne à l’œuvre de la France en Amérique ses caractères distinctifs. Dans cette optique, les réalisations d’hommes officiellement mandatés ne perdent pas tout valeur. Le roi en tira des informations qui, cependant, l’incitèrent à nouer plutôt qu’à dénouer les cordons de sa œuvre.
Les disputes pour la possession d’un territoire quasi inconnu se déroule surtout en Europe, bien que les historiens aient surtout vanté les exploits des découvreurs. Elle a une allure négative, parce qu’elle engendre relativement peu d’explorations et de tentatives d’établissement. Dans cette mésentente internationale, le droit primait sur le fait. La solution envisagée était européenne, non pas américaine. Le sort du nouveau monde, pour les milieux de cours devait se jouer essentiellement sur le vieux continent.
La France se distingue finalement peu des autres pays. Son plus d’action, tout aussi vague et général, se conforme à celui de ses voisins. Elle n’est pas en retard dans le long processus aboutissant à l’établissement de colonies. Elle obéit à des motivations identiques et adopte des procédés similaires. Elle ne retrouvera son originalité que par l’influence du milieu nouveau et des hommes qui cherchèrent à en tirer profit.
Tout comme pour l’importance exagérée accordée à la présence officielle de la France en Amérique du Nord, l’hypothèse de l’intérêt des souverains tient à peu d’éléments. Quelques expéditions minutieusement analysées et commentées, mais qui ont lamentablement failli. Il est vrai que ces entreprises fournissent une documentation plus éclairante – et souvent unique – que celle provenant des obscurs voyages de pêche. Il est indéniable cependant que nombre de pêcheurs firent annuellement un voyage de pêche vers les terres neuves, bien avant que le roi ne se décidât à subventionner une expédition. Le roi était-il à la fois si pauvre et si fier qu’il n’ait pu financer un armement pour la découverte, de crainte de n’en retirer qu’une cargaison de poissons pour couvrir les frais? Le refus d’appuyer Jean Ango en 1508 ne peut s’expliquer que par un souci d’économie d’outre-mer. Ango ramena pourtant une dizaine d’indigènes.
La réalisation d’un grand projet royal commandait aussi le choix de dignes représentants. Un roi aux prétentions sans limites et à la ‘superbe » reconnue ne pouvait confier qu’à un proche le rêve si longtemps caressé de porter son nom et sa gloire aux extrémités de la terre. Verrazano, à qui l’on reconnaît le titre de découvreur du Canada, était un Italien de naissance et n’a émergé de l’oubli qu’au XXe siècle. Jacques Cartier pouvait faire valoir son expérience dans la navigation; il demeurait un inconnu, que l’histoire rendra plus tard illustre. La comparaison des ressources mises en œuvre par les souverains éclaire également l’importance de cette préoccupation. Qu’il suffise d’un exemple. L’année même où le roi de France envoyait Cartier pour la seconde fois en Amérique, avec des moyens formidables au dire de l’historien Lionel Groulx – trois bâtiments et environ cent hommes – , Carles Quint constituait une flotte de trois cents voiles et de trente mille hommes pour aller attaquer Barberousse.
Similaire, par l’action effective et simultanée, à celle des autres puissances, l’œuvre de la France en Amérique du Nord au XVIe siècle ne diffère pas non plus de celle des pays voisins, si l’on considère les objectifs poursuivis par la royauté. Les documents officiels sont particulièrement clairs à ce sujet. L’ordre de paiement des dépenses pour le premier voyage de Cartier indique le but de cette entreprise : « découvrir certaines îles et pays où on dit qu’il se doit trouver grande quantité d’or et d’autres riches choses ».
La commission donnée à Cartier pour son second voyage l’incite fermement à découvrir le « royaume de Saguenay, cette merveilleuse source de richesse selon les dires des Indiens ramenés par le découvreur à son premier voyage. L’explorateur remonta donc, autant qu’il put, le Saint-Laurent, voie d’accès la plus rapide et la plus facile à ce fabuleux pays.
En 1538, apparaît un plan d’évangélisation et de colonisation. Les raisons politiques ou morales qui ont influencé cette option restent obscures. Dans certains cas, on a rapidement conclu à a vocation profondément ressentie par le roi de convertir les peuples païens. Plusieurs réserves obligent à nuancer et même ç rejeter cette prétention. Il nous semble plutôt que le souverain n’a pas modifié ses objectifs premiers; il en a ajouté d’autres qui avaient le mérite de bien paraître. Il est tout à fait logique de se demander s’il n’y a pas eu de la part de la France une volonté consciente de diffuser ce plan pour calmer les pays intéressés à l’Amérique et pour éviter la sanction papale. Alors que les deux premières expéditions de Cartier s’était organisées en cachette – à preuve les inquiétudes de l’ambassadeur d’Espagne en France -, la troisième, placée sous le commandement du sieur de Roberval, se fit ouvertement. Moins de trois jours après l’approbation du roi, l’ambassadeur d’Espagne possédait une copie de la commission délivrée à Roberval, et put la garder suffisamment longtemps pour l’analyser en entier; – ce n’est pas peu dire, car ce document couvre une feuille de trois pieds par quatre pieds.
Il n’avait pas eu d’aussi précieux renseignements à l’occasion des deux premiers voyages de Cartier. Ce dernier, par ailleurs, ne manifesta pas tellement d’empressement pour la conversion des « sauvages ». Son premier équipage ne comptait vraisemblablement pas d’homme d’église. Par la suite, il refusa même le baptême aux Indiens que le demandèrent, usant le prétextes comme le manque de sainte huiles. Le grand projet de colonisation de 1541-1542 fut enfin placé sous la responsabilité d’un protestant. De plus, après cette date, quand le roi, déçu dans ses espoirs de richesse, n’entrevit plus que la possibilité d’apporter la foi catholique aux indigènes, il oublia rapidement ces contrées lointaines.
Malgré tout, des jalons importants étaient fixés. Le plan de colonisation ne fit que s’enrichir, à partir de ces trois grands fondements : évangélisation, colonisation et commerce. Les protestants continuèrent à jouer un rôle important envers la Nouvelle-France. La lutte de prestige pour la possession de colonies outre-Atlantique, qui préoccupa, au XVIe siècle, les souverains de l’Occident chrétien, se perpétua et conserva pratiquement jusqu’au milieu du XVIIIe siècle son caractère européen. La vision du monde des gens de la cour resta réduite au vieux continent.
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