Les Français au Québec entre 1760 et 1792 (l’immigration des Français)
Le souvenir de la révolution française de 1789 est resté vivace dans le mental collectif des Québécois, du moins chez ceux qui sont nés avant 1940. Des personnes interrogées en 1970 ne parlaient toujours que des « horreurs et des « massacres » de la Révolution. On en retrouve la trace écrite partout, dans les sermons, les manuels scolaires, la presse périodique et les livres. Souvenir entretenu par les Québécois eux-mêmes, clergé, instituteurs, professeurs, membres des professions libérales et autres gens instruits, mais encore vivifiés par la présence de religieuses et religieux français que les événements politiques ont poussé sur nos rivages jusqu’au XXe siècle.
Cela étant mieux connu aujourd’hui, mon propos sera davantage consacré à l’arrivée des Français au Québec en 1789-1815. L’historiographie française considère que la Révolution est terminée en 1799. Pour les Anglais, au contraire, la Révolution n’est révolue qu’en 181, après Waterloo et le départ de Napoléon pour Sainte-Hélène. Il en est de même au Canada, quand on étudie les années 1789-1915 : elles forment un tout complet et bien caractérisé.
Rappelons d’abord que la France de Louis XIII à Louis XV aurait envoyé en Nouvelle-France avant 1760 une quinzaine de milliers de personnes, dont une moitié, autant qu’on sache, a fait souche au pays. Une fois le traité de Paris signé, le Canada appartenait à la Grande-Bretagne. Dans les coutumes internationales de l’époque, une colonie ne pouvait exister que pour sa métropole, ne recevoir que des gens d’icelle, ne faire affaire qu’avec elle. En principe, il devenait donc impossible au Québec d’accueillir des Français. Pourtant, entre 1763 et 1789, on dénombre environ 25 immigrants français, soit un par année en moyenne. Quelques-uns sont restés, d’autres on dû repartir. Chez les ecclésiastiques, malgré les besoins et les demandes du clergé catholique, quatre sujets seulement sont débarqués à Québec, dont deux furent acceptés en 1775 par Haldimand et deux autres prestement remarqués. En fait, seul l’abbé Jean-Baptiste Lahaille demeura au pays, tandis que l’abbé Arnauld-Germain Dudevant repartit en 1782.
De la vingtaine des autres Français connus, on compte quatre médecins, dont le plus célèbre fut Pierre de Sales-Laterrière, personnage enjoué et spirituel, beau garçon qui aimait le vin et les filles de Québec, tout en ayant la réputation d’être bon médecin.
Chez les artistes peintres, très rares alors au pays, sont arrivés. Louis Dulongpré, d’abord professeur de musique et peintre fort apprécié par la suite, Louis Chrétien de Heer et Henry Vanière Joseph Quesnel, dont la famille était amie de Haldimand, fut ainsi accepté par ce dernier en 1779. Poète, musicien et compositeur, il a laissé des comédies en vers et en prose, un opéra, des pièces pour orgue et même des symphonies pour grand orchestre. Il a joué un rôle certain dans nos origines littéraires et dans la vie culturelle de Montréal et durant trente ans.
Les plus célèbres furent Fleury Mesplet et Valentin Jautard. Mesplet arriva dans les canots des Insurgents américains, installa la première imprimerie à Montréal, publia les deux premiers journaux et fut au centre de l’intelligentsia montréalaise. Imprimeur de grande qualité, il confia la rédaction de son journal, « La Gazette littéraire de Montréal », à Valentin Jautard, autre militant des Lumières. Un marchand et une dizaine d’artisans en tout, dont quelques cuisiniers et un compagnon imprimeur, voilà qui complète la liste des immigrants avant 1789. Le nombre en est infime, mais leur qualité intellectuelle et l’activité culturelle qu’ils ont déployée ont été d’une importance qu’on ne saurait surévaluer dans une société aussi jeune et aussi peu peuplée.
Durant les trois premières années de la Révolution, les Français ne viennent que très peu. Deux jeunes ecclésiastiques arrivés incognito en 1790, Édouard Plairon de Mondésir et J.-B. Roussel sont refoulés aux États-Unis, non sans que Mondésir ait laissé sa bibliothèque à Joseph Papineau. Le botaniste André Michaux, parti en Amérique cueillir des plantes pour le jardin du Roi de France, se rend à la rivière Rupert en passant par le Saguenay en 1792. Un premier prêtre émigré, Jean-Baptiste Allain quitte Saint-Pierre et Miquelon pour les îles de la Madeleine en 1791 et y exerce le ministère jusqu’à sa mort en 1809. Trois autres ecclésiastiques ne font que passer : M. La Potorie en 1790, messieurs de Lavau et Rousselet en 1792, qui doivent retourner aux États-Unis.
(Tiré du livre L’Image de la Révolution française au Québec. Sous la direction de Michel Grenon. Éditions Hurtubise HMH Cahiers du Québec/Histoire).
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