Fortifications de Montréal
Au cœur du réseau défensif : Au confluent des routes d’eau et de commerce d’Amérique du Nord, Montréal occupe une position privilégiée dans la stratégie militaire du roi Louis XIV. Les forts français sur le Richelieu et les Grands Lacs sont autant d’obstacles à l’ennemi. Tout un réseau défensif s’organise en périphérie de Montréal. La situation géographique et l’apparente solidité de son enceinte bastionnée font de Montréal une position-clé dans les jeux de pouvoir de la métropole française. Cette « place forte de nature » devient place de guerre, mais surtout lieu de réserve et de contrôle pour le cantonnement, le ravitaillement, l’approvisionnement des armées et de la population.
Les affrontements avec les Iroquois et les Anglais s’amplifient et font craindre le pire à la fin du 17e siècle. Entre 1692 et 1715, Montréal s’entoure donc d’une palissade de pieux de cèdre de 3,65 mètres de hauteur. « Voilà les murailles du Canada pour enfermer les villes… » écrit sœur Marie Morin dans les Annales de l’Hôtel-Dieu. Des fortifications de pierre remplaceront cet ouvrage de bois pour le moins précaire.
Ces enceintes fixent les limites de la vile et sa vocation défensive. On exproprie de larges bandes de terre sur le pourtour des fortifications pour les réserver aux manœuvres des armées. Dans ces zones non aedificandi occupant jusqu’à 36,58 mètres à l’extérieur et 15,34 mètres à l’intérieur des enceintes, on interdit construction et culture. Ainsi entourés et préservés, le site du Champ-de-Mars et ses alentours reflètent un urbanisme militaire digne des grandes villes européennes fortifiées.
Ces murs projettent aussi des zones d’ombre dans la vie des Montréalais. Les entrées et sorties de cette enceinte bastionnée doivent suivre l’horaire du soleil. À l’époque de la Guerre de Succession d’Autriche, il semble même que, vers 1744, seules sept portes sur seize sont utilisées, par mesure de sécurité. La propriété urbaine, le commerce, la contrebande et les échanges avec les campagnes avoisinantes s’en ressentent.
Une nouvelle place publique : il aura fallu près de 30 ans pour construire les fortifications de Montréal ; il en faudra près de 20 pour les démolir. En 1801, le lieutenant-gouverneur nomme trois commissaires : l’honorable James McGill, marchand et fondateur de l’université du même nom, l’homme d’affaires John Richardosn et le notaire Jean-Marie Mandelet. Ces messieurs vont concevoir et mettre en œuvre un vaste plan de réaménagement urbain. Ils procèdent avec « lenteur et prudence », s’intéressant d’abord à la démolition des murailles et aux conséquences juridiques liées à cette décision. Ils amorcent ensuite les travaux nécessaires pour redresser et canaliser le ruisseau Saint-Martin et ils dotent Montréal de places publiques dignes de ce nom. C’est ainsi qu’ils proposent et veillent eux-mêmes à l’agrandissement du Champ-de-Mars pour en faire une place publique.
Lors de la construction du nouveau palais de Justice, en 1965, des grues bouleversent le sol. On découvre des vestiges pour le moins étonnants. Appelés en consultation, des archéologues émettent une hypothèse : ces pierres pourraient fort bien appartenir aux fortifications de Montréal.
En ouvrant le sol vers l’est, les forages, les sondages et les fouilles effectués entre 1984 et 1991 confirment cette hypothèse. Ces recherches permettent aux archéologues de dégager tout un front de fortifications de la façade nord de l’enceinte. Ces vestiges du Régime français ne représentent que quelques assises d’une construction imposante dont les murs pouvaient atteindre jusqu’à six mètres de hauteur sur un périmètre de 3,4 km.
Un souci d’authenticité : Le réaménagement du site a mis en évidence le tracé original de l’escarpe (mur intérieur) et de la contrescarpe (mur extérieur) où se découpent poternes et contreforts. En examinant la taille des calcaires et leur superposition, il est même possible de retrouver la marque des différents maîtres maçons qui se sont succédés lors de la construction des fortifications, au 18e siècle.
La consolidation et la restauration des murs ont permis de conserver la patine du temps à la surface de ces calcaires. Les pierres éclatées ou sévèrement abimées ont été colmatées ou remplacées par des pierres anciennes récupérées lors des fouilles archéologiques. Toutefois, pour restaurer les parties détruites au fil des ans par des travaux d’infrastructure et pour rehausser en certains endroits l’assise supérieure de murs, les spécialistes ont utilisé des pierres neuves de la région de Montréal de façon à démarquer les interventions contemporaines.
Des études menées en laboratoire ont aussi permis de reconstituer la recette du mortier d’origine : on a utilisé un mélange qui respecte sa couleur, sa granulométrie et la densité et la nature de ses agrégats pierreux.
Par obéissance au roi Louis XIV, des Montréalais font la corvée pour transporter des pierres, sans doute en traineau pendant l’hiver. Équarris sur place, ces calcaires proviennent de la région immédiate de Montréal. Certaines pierres sont bouchardées et ciselées par des artisans-tailleurs au début du 18e siècle : ce sont les pierres d’angle. Des pierres des champs ou moellons et de gros blocs d’origine glaciaire, trouvés sur place, se glissent au cœur des murs comme pierres de remplissage ; on en retrouve aussi au niveau des empattements des murs. Le mortier s’est désagrégé, quelques pierres ont éclaté.
Dans le fossé. Entre les murs d’escarpe et de contrescarpe, les archéologues ont trouvé bien peu d’indices des occupations militaires française et anglaise : le fossé devait être régulièrement nettoyé. Ils ont en revanche mis au jour une multitude de fragments d’objets et d’ossements d’animaux témoins de la vie domestique des Montréalais aux 18e et 19e siècles : carcasses de chats, de chiens et de chevaux, ossements d’oies, de cygnes, de rats musqués… et un grand nombre de tessons de bouteilles d’alcool.
L’absence de toute construction sur le site a facilité la préservation des pierres du Régime français, lorsque le Champ-de-Mars était utilisé comme champ de parade, marché du stationnement de terre battue, ou pouvait même apercevoir par temps pluvieux, le tracé des fortifications effleurer à la surface du sol.
Avec ses quatorze bastions et ses courtines en enfilade, les fortifications de Montréal se dressent comme un symbole de la résistance française devant les menaces amérindiennes, anglaise et américaine. Louis XIV en approuve la construction.
Une ceinture défensive : Pas d’angle mort, aucun espace laissé à découvert. L’ingénieur Chaussegros de Léry joue de calculs géométriques complexes dans le flanquement de ses bastions : tout point de l’enceinte est visible d’un quelconque autre endroit. Le bastion de l’étang en est un parfait exemple. D’une hauteur de plus de six mètres et d’une épaisseur moyenne de 1,22 mètre à sa base, le mur d’escarpe (mur intérieur), dont les assises ont été dégagées par les archéologues, serait le plus large de toute la forteresse. Sur cette façade, côté nord, on ne perce d’ailleurs qu’une seule porte, la porte Saint-Laurent, par mesure de sécurité.
Une ceinture dissuasive : Les grandes métropoles européennes sont en lutte : combats et traités de paix se succèdent. Montréal contribue à ce rapport de force. Comme l’écrivent les gouverneurs de Beauharnois et de Callière, il faut à tout prix « mettre la ville hors d’insulte et même aux ennemis la pensée d’y venir jamais ».
Une ceinture dispendieuse : La construction des fortifications s‘étale sur près de 30 ans. Le roi prélève une taxe annuelle de 6000 livres dès 1716. Les sulpiciens en paient le tiers. La situation dramatique des Montréalais à la suite de l’incendie de 1721, quand 138 furent détruites, et de vives protestations populaires en 1730 apportent quelques adoucissements à cette surtaxe. On estime toutefois à 210 000 livres le coût total de cet ouvrage défensif, somme qui dépasse nettement les calculs de départ et la capacité de payer des citoyens.
Disciple du célèbre architecte Vauban qui a révolutionné la guerre en Europe, Chaussegros de Léry, ingénieur en chef du roi : Arrivé en Nouvelle-France en 1716, cet ingénieur signe les plus importantes réalisations architecturales de la colonie française : les forteresses de Québec, de Louisbourg, de Chambly et de Niagara, la prison de Québec, la première façade de l’église Notre-Dame…
Adepte de « la vertu passive de la défense », Chaussegros de Léry veut rendre son ouvrage complice de la topographie des lieux. Il prépare plus de 15 plans des fortifications de Montréal qu’il faut approuver par Louis XIV et ses conseillers.