Fondements politiques et sociaux de la Banque du Peuple du Bas-Canada
Les griefs de la population étaient identiques dans le Haut-Canada : alors que les pauvres receveaient difficilement cent acres, le général Prescott, administrateur de la province, s’y était attribué cinquante mille acres de terre ; ce qui comprenait à peu près la superficie du Toronto actuel ; les fils de famille avaient les meilleures postes et les contrats du gouvernement. W.B. Filton s’était fait donner dix mille acres de terre ; l’église anglicane, bien que minoritaire, essayiat de faire croire que le terme « protestante » voulait dire « anglicaine » et s’attribuait toutes les terres destinées aux églises protestantes.
Ces abus et bien d’autres, avaient dressé William yon Mackenzie et son parti libéral contre l’administration avec autant d’opiniâtreté que Papineau et son parti patriote.
Une association destinée à appuyer les revendications de ces derniers dans le Bas-Canada se formait à Toronto même.
De l’une comme de l’autre province, on se tournait vers Londres dans l’espoir d’en obtenir justice, mais l’Angleterre traversait une époque troublée et ses efforts de conciliation ne s’attardaient pas au Canada.
Cette année-là (1834) le Colonial Office changea quatre fois de titulaire en onze mois. Dans ces conditions, comment le Canada pouvait-il espérer un redressement de sa situation chaotique, alors que, même sous des ministères stables, rien ne se réglait.
D’ailleurs, cette instabilité était un signe des temps, car les valeurs établies n’avaient plus cours. Wellington, « le duc », l’homme le plus admiré des Anglais depuis les guerres napoléoniennes, était hué et on lançait des pierres dans ses carreaux; les évêques qui avaient voté contre la reforme de la Chambre des lords n’osaient plus sortir ; dix mille ouvriers avaient assiégé le palais Saint-James, lui-même. Les institutions ancestrales y changeaient au point que des réformistes, qualifiés d’utopistes, parlaient de suffrage universel, de scrutin secret, de l’égalité des circonscriptions et du paiement des députés.
Cette dernière mesure avait été adoptée au Canada en 1831 au grand scandale de Papineau, qui, lui recevait mille livres par année comme président de l’Assemblée. Depuis, ils recevaient une indemnité parlementaire de six shillings par jour de session, le salaire d’un pêcheur de la baie des Chaleurs, et de quatre shillings par lieue de déplacement.
C’est dire que ces maigres subsides n’avaient pas distrait longtemps leur attention des problèmes politiques.
Si on greffe sur ce tableau les naissances des sociétés patriotiques déjà mentionnées, l’immigration massive et les épidémies de choléra qu’elle apporta, on peut imaginer le climat de Montréal en 1834.
En 1835, sur ce climat si peu propice au développement économique, se greffèrent la mévente du blé canadien à l’Angleterre, qui en avait eu une bonne récolte, et la fin prochaine des travaux de fortification payés par Londres au pays. C’est dire que ni le présent ni l’avenir n’étaient brillants.
Pourtant, bien que l’argent fût rare, des Canadiens français décidèrent de fonder la Banque du Peuple à Montréal, pour ne plus avoir à passer par les banquiers canadiens-anglais pour leurs affaires. Les mauvaises langues disaient qu’elle était destinée à financer les luttes politiques de Papineau. Elle n’émettait pas de billets, ce privilège étant réservé aux banques à charte, statut que le Conseil législatif lui aurait refusé. Les traits étaient donc tirées sur le caissier de la banque et les douze associés fondateurs étaient responsables solidairement et individuellement de toutes les dettes de la maison.
Si la population avait douté de leur bonne foi, elle fut vite rassurée lorsque, des rivaux ayant provoqué une ruée sur la banque, les vieilles familles canadiennes qui l’avaient fondée y envoyèrent le cocher porter leurs anciennes pièces d’or et leur argenterie pour faire face à la crise.
Le Carrefour des Géants (Montréal 1820-1885) par Bertrand Vac. Le Cercle du livre de France.
À compléter la lecture :
