L’intercepteur Arrow définitivement mis au rancart par le gouvernement fédéral
Ottawa : La fabrication de l’intercepteur Arrow prend fin dès aujourd’hui, 20 février 1959, vient d’annoncer le premier ministre Diefenbaker.
Il a déclaré aux Communes que la construction de l’Arrow et de son moteur à réaction, connu sous le nom d’Iroquois, a été couronnée de succès, mais que malheureusement ces réalisations extraordinaires ont été dépassées par les événements.
Au cours des derniers mois, a ajouté le premier ministre, on en est venu à la conclusion que la menace posée par les bombardiers contre lesquels le CF-105 devait fournir protection a diminué. D’autres moyens de prévenir les bombardements ont été trouvés beaucoup plus tôt que prévu.
M. Diefenbaker a souligné que l’Arrow ne pourrait être utilisable de façon efficace qu’à la fin de 1962 et qu’alors « la menace des fusées balistiques intercontinentales sera beaucoup plus dangereuse, tant par le nombre que par l’efficacité des projectiles mis à la disposition des belligérants d’une guerre éventuelle ».
Commandes non remplacées
La déclaration de M. Diefenbaker ne donne aucune assurance à Avro Aircraft Limited, de Malton, Ontario, maison qui a créé l’Arrow, que d’autres commandes remplaceront la fabrication de cet avion.
« Les besoins canadiens d’avions civils sont minimes par comparaison avec cette énorme opération d’armement; et de franchise m’impose d’avouer que présentement il n’y a pas d’autre ouvrage que le gouvernement puisse confier aux compagnies qui ont travaillé à l’Arrow et au moteur de ce dernier.
« La présente décision est une frappante illustration du fait que la rapide évolution de la situation militaire nécessite de difficiles changements, et le gouvernement regrette les inéluctables conséquences de la décision sur la production, l’embauche et les études techniques de l’avionnerie et des industries connexes ».
M. Diefenbaker ajoute : « Le gouvernement des États-Unis, après une étude complète et favorable, a décidé qu’il ne serait pas économique que son aviation utilisât l’Arrow. L’aviation américaine a déjà décidé de ne pas poursuivre le développement et la fabrication d’avions américains ayant à peu près la même performance que l’Arrow. Les travaux qui se poursuivent actuellement aux États-Unis et à l’étranger sur les avions de chasse concernent des modèles différents. »
Le CF-100 sera-t-il remplace ?
M. Diefenbaker révèle que le gouvernement canadien n’a pas encore décidé d’acheter des avions pour remplacer les avions CF-100. En fait, il reste une arme efficace pour défendre l’Amérique du Nord contre les dangers des bombardiers.
M. Diefenbaker souligne. « Le gouvernement canadien n’avait d’autre mesure possible ou justifiable à prendre que de décommander la fabrication de l’Arrow. Nous ne devons pas abdiquer notre mission d’assurer que les sommes énormes que nous avons le devoir de demander au Parlement pour la défense soient dépensées de la manière la plus efficace dans ce but.
Le coût de l’intercepteur Arrow
Jusqu’à présent, le programme de l’Arrow a coûté 450 millions de dollars. Mais les frais ne se bornent pas là. En effet, le gouvernement canadien devra indemniser Avro Aircraft Limited et Orenda Engines Limited pour l’annulation du contrat. La maison Avro estime que cette indemnité peut atteindre 100 millions. Le budget 1959-60 de la Défense prévoit 50 millions à ce poste.
Les industries notent que l’annulation de la commande du moteur Iroquois signifie la fin d’Orenda Englines Limited. C’est la filiale, comme Avro Aérocraft, de la mission A.V. Roe (Canada) Limited.
Rétrospective ou la situation telle que vue aujourd’hui :
On peut aujourd’hui affirmer que cette décision du gouvernement Diefenbaker fut une véritable tragédie pour l’aéronautique canadienne. Certes, les sommes dépensées paraissaient astronomiques à l’époque. Pourtant au fond, c’était peu pour l’excellence d’une main-d’œuvre jouissant d’un prestige indiscutable.
D’ailleurs, dès le lendemain de l’annonce de la nouvelle, la société ontarienne se voyait dans l’obligation de congédier 14 000 de ses employés. Quant aux ingénieurs impliqués dans la construction de l’avion, ils ont pour la plupart émigré aux États-Unis. Ce pays a aussi hérité de leur talent et de leur compétence en matière d’aéronautique. Ainsi, les alumni du Arrow sont nombreux à contribuer au succès du programme spatial américain.
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S’il semblait coûter cher, l’intercepteur Arrow était en revanche deux bonnes décennies en avant de son temps, et ce même si l’avionique telle que l’on la connaît aujourd’hui n’en était encore qu’à ces premiers balbutiements. Si le programme d’Arrow avait été maintenu, et si le Canada avait décidé de doter son aviation de cet avion, les performances exceptionnelles de l’Arrow auraient sans contredit contribué à sa vente.
Le refus des Américains de l’acheter ? On est en droit de se demander si ce refus n’était pas en fait un coup de « poker », porté dans l’espoir que le Canada abandonnerait le programme, évitant ainsi aux avionneries américaines un concurrent de loin supérieur sur le marché international.
Et le plus triste de toute l’histoire, ce fut la décision du gouvernement Diefenbaker de faire détruire les prototypes et tous les plans. Sans doute avait-il honte d’avoir pris une telle décision… Est-il besoin de rappeler que cette affaire a largement contribué à la défaite de ce gouvernement dès les élections générales suivantes?

Pour compléter la lecture :
- Chronologie de l’aviation canadienne
- Le CF-105 dévoilé
- Le gouvernement adopte le F-104G
- Naissance de l’aviation du Canada