Expédition scientifique au pôle Nord commence en janvier 1870
Sommaire : Conférence de M. Lambert, son prochain départ pour le pôle. Utilité de l’expédition – Le fameux passage du Nord-Ouest. Un nouveau continent à explorer – Le pôle est-il habité? – La Polunia ou mer libre – Rêves d’or
Il y aura bientôt deux ans, un ingénieur hydrographe, M. Gustave Lambert, soumettait à la société de géographie de Paris, dont il est un des membres les plus distingués, le projet longtemps médité d’une expédition scientifique au rôle Nord. Son caractère énergique et réfléchi, sa longue expérience de la navigation arctique, l’éloquence persuasive avec laquelle il sut faire ressortir les avantages de l’expédition, lui gagnèrent la confiance de l’illustre assemblée, et dès lors le concours de la société géographique lui était acquis.
En Angleterre et en Allemagne deux expéditions semblables se préparaient, l’une aux frais du gouvernement, l’autre au moyen d’une souscription nationale ; M. Lambert déclara que pour lui il était résolu de ne faire appel qu’aux capitaux privés, parce que, disait-il, la science et l’industrie sont deux sœurs qui doivent rester étroitement unies pour leur commun avantage. Il se mit aussitôt en devoir de parcourir les principaux centres de la France, pour se procurer les ressources considérables que nécessitait son entreprise. On sait quel retentissement eurent les conférences de Paris, de Bordeaux, etc. : partout il souleva l’enthousiasme et sut faire partager ses vues. Dès le milieu de l’année 18G7 un comité de patronage était formé et comptait, parmi plus de cinquante notabilités appartenant à tous les rangs, à toutes les professions, trente et quelques membres de l’Institut, genre d’initiative qui est sans précédent en France et qui montre bien de quelle valeur est, pour les savants, l’expédition projetée.
Aujourd’hui les préparatifs touchent à leur terme : des vaisseaux sont affrétés, chargés d’abondantes provisions, montés par d’intrépides marins et de nombreux savants se sont offerts pour venir partager les périls et la gloire de M. Lambert. D’après les dernières nouvelles, le départ doit avoir lieu au mois de janvier prochain (janvier 1870). Nous avons cru utile, dans ces circonstances, de traiter des expéditions au pôle Nord, au point de vue surtout de leur importance scientifique et commerciale.
Trouver un passage direct pour arriver aux Indes Orientales, voilà quelle a été la préoccupation constante des savants et des navigateurs depuis l’invention de la boussole jusqu’à nos jours, voilà quel a été le grand mobile des expéditions dirigées vers le pôle nord.
Pour comprendre l’intérêt qui se attache à ce fameux paysage, il est nécessaire de remonter jusqu’au moyen-âge, à cette époque où Gênes et Venise jetaient à profusion sur les marchés d’Europe les merveilleux produits d’un commerce dont elles avaient le monopole, et qu’elles apportaient de l’Orient à travers la Grèce et l’Arabie. Il s’agissait de pénétrer jusqu’à ce paradis terrestre. Quatre routes étaient offertes à l’imagination, e t les découvertes de ces quatre passages n’étaient rien moins que quatre grands problèmes à résoudre.
Le premier problème consistait à chercher une passe au Sud de l’Afrique. Il fallait, pour cela, descendre l’océan Atlantique en côtoyant le rivage africain, trouver une issue libre de terre, remonter dans la mer des Indes, et gagner ainsi l’Asie par un immense circuit.
Or, ce problème fut résolu quelques années après les premiers voyages de Colomb, par le hardi portugais Vasco de Gama, qui, étant parti sut des vaisseaux que lui avait confiés Emmanuel, roi de Portugal, découvrit le cap de Bonne-Espérance, et poussa jusqu’aux Indes. Son audace étonna le monde à tel point qu’elle suscita un grand poète, le Camoens, qui la chanta dans une épopée devenue aussi célèbre (pie son héros.
Le passage de Vasco de Gama est appelé passage au Sud-Est à cause de la situation du cap relativement à l’Europe.
Le second problème consistait à doubler l’Amérique vers le Sud-Ouest, il a été également résolu par Magellan qui, le premier, pénétra de l’océan Atlantique dans le Pacifique par le détroit situé entre la T erre de Feu et la Patagonie, détroit auquel il a donné son nom.
Ce sont là les deux routes suivies encore de nos jours par les vaisseaux qui font voile pour l’Asie, elles exigent un voyage immense, puisqu’il faut, par la première, tourner tout l’ancien continent, et, par la seconde, tourner tout le nouveau. 11 était donc naturel d ’en tenter d ’autres ; et c’est ce qui fait qu’on n ’a cessé de rêver, depuis trois siècles et demi, la solution des deux problèmes du passage Nord-Est et du passage Nord-Ouest. Il suffit de je te r les yeux sur une mappemonde pour comprendre vers quels points doivent se porter les efforts des navigateurs.
Supposez, à l’entrée du détroit de Behring, deux navires qui cinglent vers le pôle nord ; après avoir marché quelque temps de conserve, ils se séparent : l’un gouverne à gauche, côtoie les rives de la Sibérie d’Asie, pénètre dans les parages qui séparent le Spitzberg de la Nouvelle-Zemble et se trouve dans les mers d’Europe ; l’autre se dirige vers la droite, longe l’Amérique Septentrionale, traverse successivement le canal Wellington, le détroit de Lancaster, la mer de Baftin, le détroit de Davis et fait son entrée dans l’Atlantique vers les cotes du Labrador. Ces deux navires auront accompli le double trajet que nous avons désigné par les noms de passage Nord-est et de passage Nord-ouest.
C’est à frayer l’une de ces doux routes, à travers les montagnes et les mers polaires, qu’ont travaillé avec une admirable intrépidité, depuis plus de trois cents ans, les plus hardis navigateurs, malgré les tragiques aventures de leurs devanciers, perdus dans ces froides solitudes, victime de leur amour pour la gloire, la science et l’humanité.
Le Canada n ’aura pas été étranger à cette lutte de l’homme contre la nature. Les noms des Jacques-Cartier, des Champlain, des de La Salle, de Jolliet, etc., occupent un rang distingué parmi ceux des navigateurs qui ont travaillé à la découverte du passage Nord-ouest.
Champlain avait ambitionné de faire cette découverte, et c’était la plus grande gloire que lui souhaitait Lescarbot dans ces vers : Que si tu viens à chef de ta belle entreprise, en ne peut estimer combien de gloire un jour acquerras à ton nom que déjà chacun prise ; Car d ’un fictive infini tu cherches l’origine, Afin qu’à l’avenir, y faisant ton séjour, Tu nous fasses par là parvenir à la Chine.
Tout le monde ici connaît le voyage de M. de La Salle et l’incident presque comique par lequel il se termina.
Averti par des sauvages de Sonnontouan de l’existence d’une grande rivière qui aboutissait à la mer, il pensa que cette mer n’était autre que la mer du Sud et il conçut l’espoir d’arriver jusqu’à la Chine par la rivière indiquée. 11 s’empressa donc de vendre sa seigneurie, afin de se procurer les ressources nécessaires pour une longue expédition, équipa quatre canots, engagea quatorze hommes et partit, avec les meilleurs souhaits du gouverneur de Courcelles, en compagnie de deux prêtres de Saint Sulpice, MM. Dollier et Galinée, qui profitaient de cette circonstance pour porter l’Évangile à des peuplades éloignées. Nous ne rapporterons pas les nombreuses péripéties de ce voyage qu’on peut lire en détail dans l’histoire de la colonie française de M. l’abbé Faillon ; qu’il nous suffise de dire qu’après quelques mois de travaux et de privations, une fièvre violente s’empara de M. de La Salle, lorsqu’il avait a peine dépassé Niagara, et l’obligea à rebrousser chemin ; on le vit arriver, au moment où l’on s’y attendait le moins, au lieu d ’où il était parti et qui reçut par dérision le nom de la Chine qu’il porte encore.
Quand à MM. Dollier et Câlinée, ils continuèrent leur route, et vinrent hiverner sur les bords du Lac Érie dont ils prirent possession au nom du roi de France.
Quelque temps après les événements dont nous parlons, M. Talon, intendant de la colonie, chargea d’autres français d’aller découvrir tant la mer du nord, par où l’on espérait arriver à la Chine, que la fameuse baie reconnue en 1612 par l’Anglais Hudson. M. de Saint-Simon et le P. Albanel, jésuite, partirent en 1671, remontèrent le Saguenay et arrivèrent le 9 juillet 1672 à la baie d ’Hudson sur les rivages de laquelle ils arborèrent les armes du roi.
Ces expéditions, celles de Jolliet et de La Salle sur le Mississippi, n’amenèrent pas la découverte du passage tant désiré; elles furent néanmoins très utiles par leurs données qu’elles fournirent sur la géographie des contrées du nord de l’Amérique. D u reste, les célèbres voyages de Baffin, de Behring, d ’Édouard Perry , de John Ross, de Franklin et de tant d’autres, n’ont pas eu jusqu’à ce jour d ’autre résultat. Le passage du nord-est reste encore à trouver, et celui que McClure découvrit, il y a une quinzaine d ’années, au nord-ouest est impraticable.
Ainsi le problème d’une route courte et facile pour arriver aux Indes, à la Chine et au Japon, demeure sans solution, et s’impose de lui-même aux futurs explorateurs.
Avouons cependant que ce problème perd aujourd’hui beaucoup de son intérêt par l’ouverture prochaine du canal de Suez et celui qu’on se propose de percer à travers l’Isthme de Panama. Le premier abrégera de 25.000 lieues, pour l’Europe, le voyage aux Indes, et le second rendra à l’Amérique à peu près le même service.
Mais il y a, en dehors de cette question, bien assez de points importants à élucider, pour motiver de nouvelles expéditions vers les froides et dangereuses régions du nord.
Que sait-on du pôle? Rien ou presque rien! Hudson, Perry et Morton qui s’en sont le plus rapprochés, en étaient encore à une distance de près de 200 lieues. Voilà donc un immense cercle, un espace de 125,000 lieues carrées que le pied de l’homme n*a jam ais foulé, qui n’est pour nous que mystère ! Cet espace est-il occupé par des terres, baigné pur les eaux de la mer ou enseveli sous les glaces ? personne ne le sait au juste et chacune de ces opinions compte de savants défenseurs. Que sont, dans ces latitudes élevées, le froid et la chaleur, les oscillations du baromètre, les vents, les tempêtes, les manifestations électriques et magnétiques? La vie y est-elle éteinte, ou bien doit-on y trouver des plantes, des animaux, peut-être quelque peuple inconnu? Comment se forment ces courants d’eau salée qui, chaque année, amènent sur nos eûtes d’énormes montagnes de glace? Ce sont là quelques-unes des révélations que nous attendons du hardi marin qui le premier fera flotter son drapeau sur l’axe du monde.
Les journaux nous apportaient, il n’y a de cela (pie quelques mois, une nouvelle bien propre à exciter l’ardeur : il s’agissait de la découverte, dans l’océan glacial, non d’un misérable îlot, mais d’une terre vaste, si étendue que les baleiniers n’hésitent pas à la qualifier de continent.
Depuis une quarantaine d’années on soupçonnait l’existence de cette terre située dans les parages septentrionaux, au nord de la Sibérie, dans les régions qui s’étendent entre le pôle et le détroit de Behring. L’amiral Wrangell avait fait en 1821 d’inutiles efforts pour la découvrir. Plus heureux que lui, Long et Labaste, capitaines baleiniers, l’un du «Nile», l’autre du «Winslow», l’ont rencontrée sans la chercher, et se disputent l’honneur de l’avoir signalée. “ Les parties basses, dit le capitaine Long, semblaient couvertes de végétation. On n’y voyait pas de neige. Comme il y avait des glaces flottantes entre nous et la terre, et que je n’apercevais aucune trace de baleine, je ne crus pas devoir courir le risque de s’approcher de la côte, quoique je pense que cela eut pu se faire sans danger. Deux jours plus tard, le temps était très clair, nous eûmes une bonne vue des parties centrales et orientales. Près du centre s’élève une montagne qui a l’aspect d’un volcan éteint, et dont la hauteur peut être de 2,500 pieds.»
Jusqu’à présent, il est impossible de dire jusqu’où cette terre peut se prolonger au nord ; il est probable que son étendue est considérable ; les navigateurs assurent avoir distingué, se profilant autour de l’horizon, une succession de sommets élevés. Nulle part ils n’ont remarqué de trace de la présence de l’homme; néanmoins le pays est loin d’être désolé ; la végétation est même assez abondante sur les rives. Quel nouveau et magnifique champ d’explorations! peut-être y trouvera-t-on des mines de houille, de graphite, de métaux précieux, des diamants, comme on en a découvert récemment dans les montagnes de la Russie. Il appartient a Gustave Lambert, qui se propose de passer par le détroit de Behring, d’ouvrir les voiles de son navire de ce côté et d’étudier ce qui n’a été qu’entrevu.
Nous avons dit qu’on ignore si le pôle est enseveli sous la glace et les neiges, ou bien s’il devient libre au moins pendant une partie de l’année ; cependant cette dernière hypothèse est de beaucoup la plus probable comme le prouvent des faits nombreux que nous allons exposer brièvement…
Tout le monde sait qu’un vaste courant de surface arrive du nord et se divise en deux branches principales, dont l’une débouche par le détroit de Behring, dans l’Océan Pacifique, et l’autre descend le long du Labrador après avoir traversé la mer de Baffin et le détroit de Davis. C’est à cette dernière branche que nous devons de voir les environs de Terre-Neuve encombrés par des montagnes de glace au printemps. En calculant approximativement la quantité de glace ainsi entraînée, l’on peut se faire une idée du volume énorme d’eau que déplace ce courant. Rappelons simplement que le lieutenant de Haven vit son vaisseau pris dans les glaces pendant un voyage d’exploration vers l’Île Melville et fut entraîné, au moment de la débâcle, près de 300 lieues vers le sud. La banquise qui le retenait prisonnier n’avait pas moins de 300 milles carrés, d’après l’estimation qu’il put en faire. Eu supposant une épaisseur moyenne de 7 pieds, c’était donc un poids de vingt milliards de tonnes que la mer glaciale envoyait d’un seul bloc et à un seul moment de l’année vers l’océan Atlantique. Pourra-t-on nous taxer d’exagérations, nous disons que les plus grands fleuves du monde ne sont que des ruisseaux comparés à l’immense courant polaire!
Mais d’où viennent donc ces eaux qui coulent incessamment du pôle vers les régions tempérées ? quelle peut en être la source ? Ce qu’il y a de bien étrange aussi, c’est leur salure très prononcée, malgré toute l’eau douce dont s’augmente leur masse, par la fonte des neiges et par la décharge d’un très grand nombre de rivières importantes.
Il n’y a, ce nous semble, qu’ une manière d’expliquer ces faits, c’est d’admettre (pie le courant dont nous venons de parler n’ est que la continuation d’un autre courant sous-marin qui va surgir au pôle.
L’existence de ce nouveau courant n ’est pas, du reste, une pure hypothèse. Le Gulfstream, ce roi des fleuves océaniques, large de quatorze lieues, profond de mille pieds et dont la chaleur, au dire du savant capitaine Maury, suffirait à fondre des montagnes de fer, s’échappe du golfe du Mexique par l’étroit passage qui sépare Cuba de la Floride , remonte vers les mers du nord et vient heurter le courant polaire, à la hauteur du banc de Terre -Neuve . Là il se partage en deux branches dont l’une plonge sous les glaces et va surgir, selon toute apparence, dans les enviions du pôle. Un peut suivre sa trace longtemps après qu’ il a disparu aux regard s, car pendant que des blocs de glace dérivent du nord au sud, dans l’ océan Arctique , emportés par le courant froid de surface, on aperçoit des montagnes dont la tète émerge à une grande hauteur au-dessus des eaux, et dont le pied plonge dans la mer à une profondeur six fois plus grande, remonter du sud au nord, entraînées par le contre-courant sous-marin, par une disposition merveilleuse de la providence, ces eau x, qui vont ainsi de l’équateur vers le pôle, sont soustraites aux influences de l’ atmosphère, cheminent sous un toit de glace qui s’ oppose à leur refroidissement et conservent intact le trésor de chaleur qu’ elles vont distribuer aux latitudes glaciales.
Une seconde branche du Gulfstream se dirige vers les côtes de France et en fait un pays de climat tempéré, tandis que le Canada qui occupe la même latitude subit des froids très intenses. La différence que nous voyons ici se produire n’a-t-elle pas lieu également entre le pôle, où le Gulfstream déverse sa chaleur, et les régions qui ont jusqu’ici arrêté les explorateurs ? en d ’autres termes ne faut-il pas admettre une région favorisée au delà des froids espaces qui s’étendent autour du cercle arctique ‘!
L ’opinion qu’il existe au pôle un foyer de chaleur, est confirmé par les recherches spéciales de M. Gustave Lambert. Le savant hydrographe, dans un mémoire présenté à l’Académie des sciences, dorme la loi de l’insolation, c ’est-à-dire des quantités de chaleur versées par le soleil à chaque latitude, à toutes les époques de l’année.
Ainsi, au mois de juin, la quantité de chaleur que qui réchauffe les régions arctiques va en augmentant du cercle polaire au pôle. Là, eu effet, le soleil ne s’abaisse presque point sur l’horizon, il est midi toute la journée, et la somme de chaleur qu’il y envoie, est égale à celle que reçoit la partie la plus septentrionale de ce continent.
À ces preuves viennent se joindre celles beaucoup plus sûres de l’expérience. C’est un fait acquis à la science que l’intensité du froid n’augmente pas proportionnellement avec la latitude. Le froid s’accumule en deux points qui paraissent situés, l’un dans l’archipel du nord de l’Amérique, et l’autre dans la Sibérie orientale. Quand on se dirige do ces deux points vers le pôle, la température devient plus douce, le baromètre baisse et accuse une dilatation de l’atmosphère.
Où peuvent aller, d ’ailleurs, ces nuées d’oiseaux que l’on voit chaque année émigrer, abandonnant les bords de la rivière Mackenzie pour disparaître à l’horizon vers le nord. L ’instinct qui les dirige ne peut être trompeur. Ne sont-ils pas certains de trouver un abri derrière l’infranchissable barrière que nous oppose à nous d’abord de ces inhospitalières contrées? La baleine, elle-même, la prudente baleine, traquée de toutes parts, semble avoir rencontré au delà de cette ceinture de glaces, un cercle inaccessible à l’homme où elle peut se propager sans être inquiétée par ses adversaires.
Il serait difficile, après cela, d o u e pas ajouter loi au récit des explorateurs qui nous assurent avoir découvert au nord une mer libre, cette mer fut aperçue la première fois par Wrangell qui lui imposa le nom de Polynia. Elle a été revue depuis par Anjou, Penny. Stewart, Belcher et Morton dans les circonstances que nous allons rapporter: Morton faisait partie, en qualité de lieutenant, de la mémorable expédition de l’Américain Elisali Kane, que la mort a enlevé il n y a qui quelques années.
Kane remonta la côte ouest du Groenland et s arrêta au degré de latitude : là, il fut bloqué par les glaces, et, après deux années de privations, il laissa son navire et s’échappa d in s de simples embarcations.
Le voyage ne fut pourtant pas inutile. Pendant leur séjour dans ces parages, Morton, accompagné du Groenlandais Ilans, partit dans un traîneau tiré par des chiens.
Ils se trouvèrent bientôt au delà du cap Jackson dans un endroit où la glace devient cassante. Les chiens furent pris d’un tremblement soudain et s’arrêtèrent. Quand le brouillard fut dissipé, on aperçut un chenal d’eau libre où se jouait une multitude innombrable d’oiseaux. Hirondelles de mer, canards, oies, mouettes, tournoyaient dans les airs, pendant que des oiseaux inconnus, au blanc plumage et d’une vaste envergure, planaient majestueusement dans l’espace en poussant des cris aigus.
Morton constata que les rivages du canal n’étaient pas non plus dénués de végétation. La verdure s’y montrait active et abondante ; plusieurs espèces de fleurs, lychnis, hespéries, joubarbes, etc., étaient épanouies. La vie semblait renaître à mesure qu’on approchait du pôle, et la température s’élevait sensiblement.
Los voyageurs atteignirent bientôt le 81ème degré de latitude et se trouvèrent au pied d’un promontoire élevé qui dressait sa muraille abrupte au dessus de la mer libre. Morton escalada ce rempart sur lequel il lit flotter son drapeau. Il contempla longtemps le spectacle sublime qui se déroulait sous ses regards avides : À ses pieds s’étendait une nappe d’eau libre sur une surface qu’il évalua à mille ou douze cents lieues carrées. Un vent violent souilla du nord pendant plus de deux jours sans apporter du large un seul glaçon flottant.
La vague agitée roulait des flots verdâtres, tout enfin démontrait une mer profonde, vaste et libre.
«Cette mystérieuse fluidité do l’eau au milieu d’immenses bordures de glace, ne manqua pas de causer dans nos esprits des émotions de l’ordre le plus élevé, dit Morton, et il n’était nul d’entre nous qui n’aspirât à s’aventurer sur cette mer dégagée et ouverte à perte de vue.»
Plus heureux que ses devanciers, M. Lambert aura-t-il le bonheur de trouver un passage libre jusqu’il cette mer mystérieuse ‘! Ce serait la plus belle conquête qu’on puisse rêver pour le commerce. On verrait bientôt des milliers de navires suivre le chemin tracé et rentrer dans nos ports avec de riches chargements; il y aurait là toute une révolution dans les grandes pèches. Les faits dont M. Lambert a été témoin dans une précédente expédition, sont bien de nature à confirmer ces prévisions.
«Dans ces régions, dit-il, les saumons voyagent par bancs énormes, comme les harengs des mers du nord, et tel est leur nombre que, s’ils sont pris par les glaces, leur putréfaction, quand vient le dégel, engendre au loin des fièvre» putrides. Des lacs d’une étendue de plusieurs lieues, étaient entièrement couverts de canards sauvages qui, serrés les uns contre les autres, se nourrissaient rien qu’en absorbant l’eau huileuse et chargée de matières animales qui se trouvaient à portée de leurs becs. Ce ne sont pas, ajouta-t-il, des récita que j ’ai pris dans les livres, j ’ai vu de mes yeux tout cela et je n’exagère en rien. Cette exubérance de la vie animale s’observe du reste dans tous les parages où l’homme n’a pas encore marque son empreinte.»
(Texte paru dans L’Écho du Cabinet de Lecture Paroissial, en septembre 1869).
Voir aussi :