
L’exode des Canadiens après la Conquête
Depuis le XIXe siècle, l’historiographie a couramment fait état du départ à la Conquête de membres de la noblesse militaire et de notables canadiens, dont la plupart étaient allés résider en Touraine ou à Paris. Le « Dictionnaire biographique du Canada » a documenté les biographies de Michel Chartier de Lotbinière, de Louis Legardeur de Repentigny et de plusieurs autres ayant soit poursuivi leur carrière en France soit obtenu une pension ou des gratifications en récompense de leurs services au Canada. Lorraine Gadboury a établi que les 743 membres de la noblesse présents dans la vallée du Saint-Laurent en 1760 n’étaient plus que 474 en 1765, le tiers des nobles ayant entre-temps quitté le Canada.
Les représentations historiographiques des départs à la Conquête ont jusqu’à maintenant surtout pris en compte les migrants des classes socialement dominantes (membres de communautés religieuses, familles de commerçants, d’officiers militaires, de titulaires de fonction, etc.), et portant beaucoup moins attention à ceux de plus basse extraction sociale qui formaient pourtant la majorité des 4 000 Canadiens passés en France entre 1755 et 1775 (En février 2013, la Banque de données des émigrants de la Conquête recense 386 Canadiens de naissance noble passés en France entre 1755 et 1775, mais 64 d’entre eux allaient finir par rentrer définitivement au Canada avant 1775. Sans tenir compte de l’appartenance ou non à la noblesse, BDEC a recensé le passage en France, au cours de la même période, de 39 religieux, 289 commerçants et membres de leur famille, 198 administrateurs or fonctionnaires et membres de leur famille, ainsi que 351 officiers militaires avec épouses et enfants).
Il s’agissait de soldats canadiens par mariage, de miliciens envoyés prisonniers en Europe, de Canadiens déportés de Louisbourg ou de la Gaspésie en 1758, de Canadiens capturés à bord des navires arraisonnés en mer et envoyés en France à leur libération, de marins du munitionnaire Joseph Cadet expulsés du Canada en 1759… Étaient aussi passés en France des chirurgiens « du roi », des sages-femmes « entretenues par le roi », des employés du chantier naval de Québec et des forges du Saint-Maurice, des familles de petits commerçants et de gens de métier désireux de poursuivre leurs activités professionnelles en métropole ou dans une colonie française…
Composé de migrations individuelles et de cheminements multiples et variés, le mouvement migratoire déclenché à la Conquête apparaît comme un véritable exode auquel ont pris part des Canadiens provenant de toutes les couches de la société se dispersant partout dans le royaume de France, et plus particulièrement aux colonies. Ceux de l’élite sociale paraissent avoir quitté le Canada afin de conserver leur mode de vie et de poursuivre leurs activités en territoire français. Ceux des classes populaires semblent plutôt avoir été emportés dans ce mouvement par les aléas du déroulement de la guerre et les conséquences de la Conquête. L’historiographie n’avait jusqu’à maintenant guère soupçonné ni la complexité de ces migrations ni la grande variété des circonstances à l’origine des vagues migratoires, non plus que la disparité des statuts socioprofessionnels des migrants et la diversité des itinéraires qu’ils ont parcourus.
L’image leitmotive de Canadiens vivant paisiblement en Touraine devient elle aussi quelque peu obsolète. Sur les 173 Canadiens arrivés dans cette province entre 1759 et 1768, 106 en étaient repartis (incluant une douzaine de décès) au cours de la même période. Plus de 60 % des 204 Canadiens observés en Touraine n’y étaient d’ailleurs pas restés. Il en est de même à l’égard d’une centaine de Canadiens passés en Guyane entre 1762 et 1765 : la moitié avaient été emportés par la fièvre peu après leur arrivée et les deux tiers des survivants n’y avaient passé au maximum que quelques années.
Tels que nous pouvons les observer, les Canadiens entraînés dans l’exode de la Conquête étaient engagés dans différentes trajectoires et se déplaçaient continuellement dans tout le royaume de France. Cet exode s’avère du coup particulièrement difficile à décrire du fait que ces migrants formaient une population extrêmement volatile. À peine découvre-t-on une trace de leur passage quelque part que, bien souvent, on les perd aussitôt de vue parce qu’ils étaient déjà rendus ailleurs.
(Extrait du livre La Nouvelle-France en héritage, sous la direction de Laurent Veyssière, Armand Colin/ Ministère de la Défense, Paris, 2011).
Louis XV et la perte du Canada
Au commencement de l’année 1763, la paix avait été conclue : la France cédait à l’Angleterre non seulement le Canada, mais encore l’île du Cap Breton et toute la rive gauche du Mississipi, moins la ville de la Nouvelle-Orléans.
Tel fut le traité de Paris que Louis XV signa, sans que l’histoire ait recueilli une larme ou un soupir de l’indigne descendant du fondateur de la Nouvelle France, le grand Henri.
Le 20 janvier, la veille du jour où, selon l’usage, les hérauts d’armes annoncèrent au peuple de Paris la signature officielle de la paix, on avait inauguré sur la place que Gabriel venait de dessiner entre les Tuileries et les Champs Élysées la statue équestre du roi couronné de lauriers. Était-ce la main indignée d’un Canadien qui traça, sur le piédestal, cette inscription qu’on y lisait le lendemain de la fête :
Il est ici comme à Versailles, Il est sans cœur et sans entrailles.
(Montcalm et le Canada Français. Par Charles de Bonnechose).

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