
Les étudiants-maîtres boycottent l’examen
Quelque 900 normaliens ont décidé, hier matin (pour le 30 mai 1968), de boycotter l’examen de qualification du ministère de l’Éducation du Québec. Par suite de l’appui qu’a manifesté la Corporation des enseignants du Québec à leur décision, ils ont annoncé qu’ils participeraient à la grande manifestation des enseignants devant la CECM. Peu d’entre eux toutefois s’y sont rendus ou du moins
y ont été remarques.
Pris par l’Association générale des étudiants do l’École normale Jacques-Cartier, celle de l’École normale de l’enseignement technique quelques autres ont été appuyées par le secrétariat de l’UGEQ, ce vote de boycottage était dirigé contre la décision de la direction générale des maîtres, prise il y a plusieurs mois, d’instaurer un tel examen, dans le double but de faciliter l’attribution des allocations scolaires au prorata des notes et de déterminer un mode d’évaluation supplémentaire des étudiants-maîtres.
Un écran de fumée
Selon les étudiants, cette mesure ne vise qu a tromper la population sur la qualité de l’enseignement offert au Québec.
Elle n’est, disent-ils, qu’un écran de fumée destine à cautionner un enseignement déficient et une politique inexistante.
« Les étudiants, déclaré le président de l’Association générale des étudiants de Jacques-Cartier, M. Laurent Dugas, ne s’opposent pas à l’idée d’un examen de qualification. Au contraire. Mais, coiffer un mauvais cours d’un tel examen ne sert à rien. »
Geste qui ferait d’une pierre deux coups, puisque, le ministère ne pourrait plus s’en servir auprès des étudiants désireux de passer l’examen,
Examen maintenu par le ministère
Vivement critiqué par les étudiants, particulièrement à l’occasion de journées d’études organisées l’hiver dernier, cet examen fut cependant maintenu par le ministère de l’Éducation.
Outre de lui reprocher de coiffer un cours foncièrement déficient, les étudiants prétendent que l’examen constitue un mécanisme d’élimination des étudiants-maîtres appliqué sans expérimentation préalable et dont l’utilisation demeure donc très aléatoire.
On ne sait pas, disent-ils, s’il sera éliminatoire ou expérimental. Mais, persuades qu’il sera éliminatoire, les étudiants sont d’autant plus contre l’examen qu’ils n’en connaissaient pas l’existence, au début do l’année.
La revue « Hebdo-Education » ayant annoncé qu’il serait éliminatoire, et le directeur des études de Jacques-Cartier, qu’il serait expérimental, un dilemme apparaît. Pour le régler, a dit un dirigeant de l’école, « il faudrait être dans les secrets du ministère ».
Les étudiants prétendent que l’enseignement est déficient en ce qu’il prépare très mal les étudiants-maîtres à enseigner dans un système d’éducation qui met l’accent sur les méthodes actives et le travail d’équipe.
L’étudiant-maître baigne dans un enseignement compétitif et individualiste, et on lui demandera de travailler à l’intérieur d’un système non compétitif et coopératif.
Déficient enfin, l’enseignement l’est, selon les étudiants toujours, parce que la direction générale de la formation des maîtres n’exerce pas le leadership nécessaire dans la redéfinition de la formation des maîtres. Malgré les multiples déclarations lancées par tous et chacun, la formation des maîtres demeure le point noir de la réforme scolaire, qui reste à opérer, dans ce secteur.
Dans le brouhaha et la dissidence
D’autre part, à l’École normale Jacques-Cartier, le vote de boycottage a été enregistré dans le brouhaha et la dissidence, alors que plusieurs normaliens, pour la plupart bacheliers et non réguliers, c’est-à-dire dont le séjour à l’école normale n’est que d’un an, manifestaient leur mécontentement.
Mécontentement né, semble-t-il, d’une absence de consultation à l’intérieur de l’assemblée générale des étudiants. Plu-sieurs se sont plaints de n’avoir même pas soupçonné la tenue d’un référendum sur la question. Scion Je président de l’Association des étudiants, M. Laurent Dugas, qui a lui-même voté en faveur du boycottage, il est vrai que le référendum n’a pas rejoint tout le monde, mais ce qu’il faut blâmer, c’est le manque de participation des bacheliers à la vie de l’école.
« Ils n’ont jamais, dit-il, réussi à s’intégrer.» Cela, même les bacheliers l’avouent, qui disent ne fréquenter l’école normale que pour avoir le « papier » leur permettant d’enseigner. « On ne veut pas de troubles, disent-ils, et personne ne nous empêchera d’avoir le papier. » Plusieurs aussi d’entre eux approuvent le boycottage, mais s’élèvent contre la procédure y ayant mené. Peu eu pas consultés auparavant, ils se sont vus, ce matin, pressés de voter, à la suite d’une décision prise, cette nuit, par leur exécutif.
De légers incidents (fenêtres cassées…) survenus, tôt dans la matinée, n’ont toutefois pas provoqué la pagaille totale.
Une dizaine de policiers appelés à surveiller les lieux n’eurent pas à intervenir, grâce, selon nombre d’étudiants, à la sage intervention du directeur des élèves, M. Claude Létourneau, qui les incita fortement, mais « raisonnablement » (sic) à manifester dans l’ordre, de même qu’à se réunir dans l’auditorium de l’école.
C’est quand même dans la chahut « étudiant » le plus complet que le vote a finalement été décidé. Au milieu des cris, des altercations (T’étais mon « chum », tu ne l’es plus ! ») et des chants (« Ô, Saint-Joseeeeppph ! »).
En vacances maintenant, les étudiants laissent à leur exécutif le soin de discuter avec le ministère de l’Éducation des suites de leur geste. À l’exécutif aussi de leur éviter toutes représailles. Ainsi s’exprimait un étudiant anti-boycottage : « Si le gouvernement a pu bâillonner 70,000 enseignants avec le bill 25, qui sommes-nous pour attaquer une de ses décisions ? »
(Cette nouvelle a paru dans le journal La Presse, vendredi, 31 mai 1968).

Vous devez vous enregistrer pour ajouter un commentaire Login