
Étoiles et constellations chez les Indiens
Maintenant, pour ce qui est des étoiles et des planètes, ils ont encore parmi eux les mêmes idées qu’on a eues dans les premiers temps. Les Iroquois appellent les étoiles otsistok, un feu dans l’eau, d’otsista, feu, et d’o, qui, dans la composition, signifie une chose dans l’eau; ce qui semble faire allusion aux eaux que l’Écriture sainte dit être au-dessus du firmament. Ils disent otsistokouannion, ajoutant la finale multiplicative pour représenter le nombre des étoiles. Quelquefois aussi ils les appellent otsistokouannentagon, des feux attachés, pour marquer que, quoiqu’elles soient dans des cieux fluides, elles y sont fixes néanmoins et ont toujours un même rapport entre elles.
Ils les ont divisées en constellations; et ce qu’il y a de singulier, c’est que quelques-unes de ces constellations, et quelques-unes des planètes, ont les mêmes noms que nous avons reçus de l’Antiquité. Ils nomment Vénus, ou l’étoile du matin, Te Ouentenhaouitha, elle porte le jour; ce qui a la même signification que le nom de Lucifer que les Anciens nous ont transmis. Ils appellent les Pléiades Te Iennonniakoua, les danseurs et les danseuses (Varron attribue à toutes les étoiles ce qu’Hygin ne dit que des Pléiades. M. Manilius (Astronomicon, II, 118; éd. De A.E. Housman, Londres, 1912, p.13). Ce qui me paraît avoir quelque fondement dans l’Antiquité, selon ce que rapporte Hygin (G.F. Hygin, Fables, CXCII, Hyas, éd. H.J. Rose, Leyde, 1963, p.136), qui fit qu’elles sont ainsi nommées parce qu’elles semblent mener une danse ronde par la disposition de leurs étoiles.
J’ai déjà remarqué qu’ils appelaient la galaxie, ou la Voie lactée, le chemin des âmes; et j’ai fait voir le rapport que ce nome a avec la doctrine des Anciens sur l’état des âmes, sur leur origine céleste, et leur retour dans le ciel. Mais la plus caractéristique, et à laquelle je m’arrête, c’est la grande Ourse que les Sauvages nomment aussi l’Ours ou l’Ourse. Le nom iroquois c’est okouari. Je m’arrête, dis-je, à celle-là parce que cette constellation est la plus considérable de toutes, et la plus digne d’attention par rapport aux premiers navigateurs, qu’on prétend s’être réglés sur elle dans leurs navigations, et qui par une suite naturelle doit avoir été plus universellement connue que les autres, dont on n’avait pas un besoin si marqué.
Je n’examine point ici les fables des poètes sur les noms de la Grande et de la Petite Ourse, et je laisse rechercher à d’autres si ces noms ont été donnés en considération des ourses qui nourrirent Jupiter en Crète, ou bien à cause de la métamorphose d’Arcas et de Callisto (Aratus, au commencement de son poème, parle des ourses, qui nourrirent Jupiter dans l’île de Crète, d’où elles furent transportées dans le ciel, et placées au nombre des constellations, en reconnaissance de ce service. Cette fable aussi bien que celle d’Arcas et de Callisto semblent prouver que ce sont les Crétois et les barbares qui occupaient la Grèce, lesquels ont donné le nom aux étoiles, et distingué le ciel en constellations).
Je crois, pour ce qui concerne l’histoire, que ces deux noms peuvent avoir été donnés à ces constellations, qui sont très semblables, successivement, en des temps différents, et peut-être assez éloignés l’un de l’autre; du moins il paraît que l’opinion des auteurs anciens était qu’on s’était réglé longtemps sur la Grande Ourse avant que de se régler sur la petite.
Hygin (De astronomia, II, 2 « Arctus Minor ») dit que Thalès, qui s’était fort appliqué à l’astronomie, fut celui qui donna le nom d’Arctos à la Petite Ourse, et qu’on l’appela Minor pour la distinguer de la Grande : que Thalès, étant phénicien, en donna aussi à cette constellation le nom de Phénice. Les Phéniciens profitèrent de la découverte de leur compatriote; en réglant leur course sur la Petite Ourse, ils en naviguaient avec beaucoup plus de sûreté. Tous les peuples du Péloponnèse et de la mer Egée continuèrent à observer la Grande Ourse. Peut-être fut-ce un motif de jalousie qui les obligea à s’en tenir à l’ancien usage; qui qu’il en soit, les Phéniciens furent longtemps les seuls qui se gouvernèrent sur la Petite Ourse, selon le témoignage d’Ovide (Ovide, Fastes, III, 105 – 108 : « Dans ces temps lointains, qui avait jamais remarqué l’existence des Hyades ou des Pléiades, filles d’Atlas? Quel homme savait que l’axe du monde tourne sur un double pôle; qu’il a deux Ourses, Cynosure, l’objet des observations des Sidoniens, et Hélice, guide fidèle du navire grec? » (Ed. Panckoucke, Paris, 1834, p. 123).
Ce Thalès, dont parle Hygin, était milésien, et ne peut être appelé phénicien qu’à cause du séjour qu’il fit en Phénicie. Il est différent de cet autre Thalès, qui travailla sur les lois des Crétois, et qu’on peut mettre au nombre des législateurs.
Ce qui est très sûr, c’est que les Iroquois et la plupart des Sauvages connaissent la Grande Ourse sous le même nom que nous; et comme les noms des constellations sont purement arbitraires et donnés par le caprice, ils ne peuvent s’être rencontrés avec nous à imposer les mêmes noms sans une communication d’idées, laquelle suppose celle des personnes par qui ces connaissances sont dérivées des uns aux autres. Il ne faut pas croire au reste qu’ils lui aient donné ce nom depuis que les Européens ont abordé sur leurs terres. C’est certainement un nom très ancien parmi eux. Ils nous raillent même de ce que nous donnons une grande queue à la figure d’un animal qui n’en a presque point; et ils disent que les trois étoiles qui composent la queue de la Grande Ourse sont trois chasseurs qui la poursuivent. La seconde de ces étoiles en a une fort petite, laquelle est fort près d’elle. Celle-là, disent-ils, est la chaudière du second de ces chausseurs, qui porte le bagage et la provision des autres.
Le père Le Clerc (Père Chrestien Le Clerq, missionnaire Récollet, Nouvelle Relation de la Gaspésie, VII, p. 152, Paris, 1691), dans sa Relation de la Gaspésie assure que les Sauvages gaspésiens ont la connaissance de la Grande et de la Petite Ourse, qu’ils appellent la première Mouhinne, et la seconde Mouhinchiche, ce qui revient aux noms d’Arctos Major et Minor (De tous différents noms qu’on a donnés aux deux constellations des Ourses, celui d’Arctos ou d’Ourse paraît être le plus ancien, et le mieux fondé dans la fable et la mythologie; mais il n’est pas certain que els trois étoiles qu’on appelle les queues de l’Ourse aient toujours été considérées sur ce pied dans l’Antiquité, ou du moins cela n’a pas été universel. Encore aujourd’hui ces trois étoiles sont nommées, en Italie, i Tri Cavalli, les trois cavaliers, comme on le voit sur le globe céleste du père Coronelli. En France on les nomme aussi les gardes de l’Ourse, ainsi que l »a fait le père Le Clerc dans sa Relation de la Gaspésie, en l’endroit que j’ai cité).
Il n’est guère ordinaire de chasser aux ours en canot, à moins qu’il ne fût question des ours blancs, lesquels allant pêcher sur les glaces en sont quelquefois abandonnés dans les mers du Nord; mais cette chasse n’étant ni sûre, ni pratiquée, ce canot me paraît être de la pure invention du père Le Clerc.
Les Iroquois que j’ai consultés ne m’ont point paru connaître la Petite Ourse sous ce nom-là. Ils appellent l’étoile Polaire, Iate Onattenties, celle qui ne marche point, parce qu’elle a un mouvement insensible à l’œil, et qu’elle paraît toujours fixe dans le même point. Cependant, quoiqu’ils ne connaissent des deux Ourses que la Grande, c’est l’étoile Polaire qui les dirige dans leurs voyages, et qui leur sert à distinguer les différents rhumbs de vent qu’ils ont à suivre. Les Sauvages abénaquis ne connaissent pas non plus la Petite Ourse; et je crois, quoi qu’en dise le père Le Clerc, qu’il en est de même des Micmacs qui sont leurs voisins.
Les Sauvages ont plus besoin de leur boussole dans les bois et dans les vastes prairies du continent de l’Amérique que sur les rivières dont le cours leur est connu et facile à tenir; mais quand la vue du soleil, ou la clarté des étoiles leur manque, ils ont une boussole toute naturelle dans les arbres des forêts, qui leur font connaître le nord par des signes presque infaillibles. Le premier est celui de leur cime, laquelle penche toujours davantage vers le midi, où le soleil l’attire. Le second est celui de leur écorce, qui est plus terne et plus obscur du côté du nord. S’ils veulent s’assurer davantage, ils n’ont qu’à lever quelques éclats avec leur hache. Les couches diverses, qui forment le corps de l’arbre, sont toujours plus épaisses du côté qui regarde le septentrion, et plus minces vers le midi. Quelque sûrs cependant que soient ces signes, ils rompent de petites branches de distance en distance sur leur route, lorsqu’ils doivent revenir sur leurs pas, ou qu’il vient quelqu’un après eux, qui pourrait s’égarer si le vent ou les neiges venaient à couvrir leurs pistes.
C’était autrefois une superstition des Lacédémoniens, et peut-être de quelques autres peuples de l’Antiquité, de ne point livrer bataille que dans le déclin de la lune. Je n’assurerai point que les Sauvages aient la même superstition. Mais il est certain que, lorsque diverses nations doivent se réunir en corps d’armée pour quelque entreprise, le signal de leur rendez-vous, c’est le plein d’une lune marquée depuis longtemps entre eux pour ce rendez-vous, auquel ils ne manquent point de se trouver à point nommé; de sorte que c’est encore ici une observation où les astres servent à diriger leur route et la conduite de leurs entreprises.
(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau)

Paysage rural et le ciel bleu. Source: Grandquebec.com.
Vous devez vous enregistrer pour ajouter un commentaire Login