Une affaire d’espionnage
Le 5 septembre 1945, un attaché de l’ambassade soviétique à Ottawa, Monsieur Igor Gouzenko, se présente à l’Ottawa Journal où il raconte son histoire: il est chargé de coder les documents que l’ambassade russe reçoit de certains citoyens canadiens qui travaillent comme espions pour le gouvernement soviétique, et cela depuis de nombreuses années.
L’histoire est trop délicate pour un journal local. Son directeur recommande donc à l’attaché de se rendre au ministère de la Justice du Canada. Ce que Gouzenko s’empresse de faire le lendemain, accompagné de sa femme et de sa fille.
Il demande à voir M. Louis St-Laurent, premier ministre du Canada, qui refuse de le recevoir. À l’époque, les relations entre le Canada et la Russie soviétique sont excellentes, les deux pays viennent de combattre ensemble contre l’Allemagne, aussi une histoire d’espionnage de la part d’un allié paraît-elle invraisemblable. Le jeune attaché risque de troubler l’amitié entre l’URSS et le Canada et de miner la confiance des autres pays à l’endroit de l’Union Soviétique.
Le gouvernement canadien préfère éviter une intervention délicate. Gouzenko retourne à son appartement, après avoir caché sa famille chez un voisin qui comprend beaucoup mieux que le gouvernement ce qui les attend si ils retournent en Russie.
Dans la nuit du 7 septembre, quatre fonctionnaires soviétiques forcent la porte de l’appartement de Gouzenko. Une voisine prévient la police qui accourt et demande des comptes aux inconnus. Une enquête criminelle est ouverte.
Les quatre fonctionnaires russes sont libérés immédiatement, car ils profitent de l’immunité diplomatique. Mais les autorités canadiennes peuvent mener leur enquête sans violer aucune règle du jeu diplomatique.
L’affaire reste secrète pendant de longs mois, cependant les révélations de Gouzenko faisant état d’un réseau d’espions au sein des ministères fédéraux, de l’armée et des universités, commencent à faire du bruit.
Le matin du 16 février 1946, les autorités procèdent à l’arrestation de 15 fonctionnaires du gouvernement.
Le 14 mars 1946, le député fédéral Fred Rosenberg, dit Fred Rose, est arrêté. Il représente le Parti ouvrier-progressiste et il est député de la circonscription électorale de Cartier, à Montréal.
Le 15 mars, s’ouvre le procès contre le député. Le tribunal siège à Montréal et Igor Gouzenko témoigne, révélant les noms et les pseudonymes d’une vingtaine de correspondants réguliers de l’ambassade soviétique.
Parmi les suspects arrêtés, on trouve :
- le célèbre chimiste Raymond Boyer, professeur à l’Université McGill, qui a agi par conviction communiste. Il travaille depuis 1939 sur un explosif puissant, le RDX et sur plusieurs aspects touchant le fonctionnement de la bombe atomique. M. Boyer dirige alors un laboratoire qui compte de 80 à 100 chimistes, et il transmet régulièrement à l’Union Soviétique les résultats de ses recherches.
- Harold Samuel Gerson, fonctionnaire du ministère des Munitions et de la Guerre, qui faisait parvenir en URSS des rapports sur plusieurs projectiles testés au Canada et en Grande-Bretagne.
- le chef d’escadrille Matt Simons Nightingale, qui a fourni aux Russes toutes les informations utiles sur le système des communications canadiennes.
- le physicien David Shugar qui aurait informé ses confrères russes de l’évolution des recherches dans le domaine du repérage des sous-marins.
Le gouvernement soviétique était ainsi au courant des décisions du gouvernement du Canada, des développements de sa technologie et des éventuels mouvements des troupes canadiennes à travers le monde.
La Commission d’enquête Kellock-Taschereau, mise sur pied avant la révélation publique de l’affaire, fit le bilan de cette affaire. Grâce à l’espionnage industriel et militaire, l’URSS put faire des progrès rapides dans les domaines des radars, de l’énergie atomique, des câbles téléphoniques aériens, etc. La majeure partie de ces renseignements provenait du Québec, grâce à la générosité de Fred Rose et de ses amis.
Voir aussi :