Histoire des esclaves en Nouvelle-France
« Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre »
Georges Santayana
C’est en 1709 que l’intendant de la Nouvelle-France Raudot légalise l’achat d’esclaves. Le 13 avril 1709, il déclare que «tous les Panis et les Nègres qui ont été achetés et qui le seront par la suite, appartiendront en pleine propriété à ceux qui les ont achetés comme étant leurs esclaves» C’est-à-dire, sur le plan juridique, que l’esclave est égal à un meuble et qu’il est évalué avec les autres biens mobiliers lorsque le notaire dresse un inventaire.
En Nouvelle-France comme ailleurs, les esclaves occupent le dernier échelon de la société. Au XVIIIe siècle, la plupart des esclaves sont des Indiens Panis. Ces Amérindiens sont originaires des plaines de l’Ouest, des communautés Cris, Assiniboines et Pawnee du Missouri. Selon l’historien Marcel Trudel, des débuts à la fin de la Nouvelle-France, on ne dénombre que 1685 esclaves. Cependant, au milieu du XVIIIe siècle, presque tous les marchands, personnalités d’importance et officiers militaires possèdent au moins deux esclaves.
Les esclaves noirs sont rares et, selon Trudel, leur nombre augmente surtout pendant les vingt dernières années de la colonie française. Au total, Marcel Trudel en a compté 402.
Enfin, les esclaves figurent sur plusieurs listes d’inventaire, entre de vieux outils de travail et des meubles :
- Deux vieilles scies de travers montées, prisées et estimées quarante sols pièces revenant au dit prix à la somme de quatre livres
- Un esclave nègre d’environ vingt-cinq ans, nommé Mercure, prisé et estimé à la somme de cinq cents livres
- Une fille esclave négresse, âgée d’environ trente ans, prisée et estimée à la somme de cinq cents livres
- Un sciot monté, prisé et estimé trente sols
- Une paire de tenailles et un gros marteau prisé et estimé ensemble quarante sols
(Extrait d’une liste dressée après le décès d’un marchand de Montréal).
Un esclave apparaît sur une autre liste avec les animaux :
- Un Panis de nation âgé d’environ dix à onze ans, estimé cent cinquante livres
- Une vache à son second veau, sous poil rouge, estimée trente livres.
Sur le plan social, l’esclave a le droit de porter le nom de famille de son maître et d’être soigné à l’hôpital en cas de maladie. L’Église l’accepte en son sein et lui administre le baptême (mais, l’esclave a-t-il vraiment le choix?). Certains esclaves furent confirmés et admis au sacrement de l’Eucharistie.
Marcel Trudel signale que sur les listes de confirmés, les esclaves sont cités parmi les personnes libres.
Le mariage est permis à condition que l’esclave ait obtenu le consentement de son maître.
Deux tiers des esclaves de la colonie résident à Montréal, un tiers à Québec et seulement 1% se trouve à Trois-Rivières.
L’esclavagisme est courant jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Au total, Marcel Trudel a recensé 4092 esclaves, dont 2692 Amérindiens et 1400 Noirs appartenant à environ 1400 maîtres. La région de Montréal a dominé avec 2077 esclaves comparativement à 1059 à Québec et 114 à Trois-Rivières.
D’ailleurs, on compte 31 unions entre Français et esclaves amérindiens et 8 autres entre Français et esclaves noirs. Plusieurs Québécois d’aujourd’hui ont donc des esclaves dans leur arbre généalogique.
Source : Marcel Trudel, avec la collaboration de Micheline d’Allaire. Publié en 2004 par les Éditions Hurtubise.
Les noirs sous le régime français
S’il y a une ville dans le Dominion que les noirs n’ont jamais habitée en nombre, c’est bien Québec. Mais toutefois, il y en a eu de tout temps sous le régime français et même tout-à-fait dans les premiers temps de la colonie.
Ainsi nous voyons dans les papiers Faribault qu’un noir de la côte de Guinée, nommé «Olivier», résidait à Québec, en 1638 ; on y trouve un jugement du 20 août de cette année rendu par Achille Delisle, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, lieutenant de M. de Montmagny, occupant ici la position de juge ou enquêteur, par lequel jugement ledit noir est condamné à être vingt-quatre heures à la chaîne pour avoir répandu une calomnie sur le compte de Nicolas Marsolet, l’accusant d’avoir été en correspondance avec un nommé Lebailif, français de nation, réfugié en Angleterre, que l’on dit commander « un navire sur le costé duquel l’on doubte ».
Le père LeJeune, dans sa Relation de 1633, parle d’une jeune noire de Madagascar qui fut vendue cinquante écus par l’un des frères Kirke au nommé le Bailly, qui lui-même en fit présent à la famille Hébert, lors du départ des Anglais de Québec, en 1632.
En 1688, MM. de Denonville et de Champigny écrivirent au Secrétaire d’État en France, que les gens de travail et les domestiques sont d’une rareté et d’une cherté si extraordinaire au Canada qu’ils ruinent tous ceux qui font quelque entreprise. On croit que le meilleur moyen de remédier à cela serait d’avoir des esclaves noires. Le Ministre ayant répondu, l’année suivante, que Sa Majesté trouvait bon que les habitants du Canada y fassent venir des noires, on en vit arriver de temps en temps, dans la suite, jusqu’après la conquête et même jusque vers l’année 1800, que cessa complètement l’esclavage au Canada.
(Bulletin des Recherches Historiques, 1898. Par Phileas Gagnon).
