L’ère des voyageurs au Québec et le XIXe siècle
Un milieu moins hostile
Les premières localités jamésiennes naissent dans le contexte de la Grande Dépression des années 1930. Situés près de la frontière ontarienne, elles attirent un grand nombre de travailleurs. Avant la saison chaude, marquée par l’arrivée des « brigades » qui approvisionnent les postes et villages de l’intérieur durant l’été, le personnel permanent a pris l’habitude de s’affairer à des activités horticoles.
Su printemps, les hommes occupent la majeure partie de leur temps à la préparation des champs en participant à des travaux d’abattage d’arbres, d’essouchage ou de brûlis, puis ils fendent le bois de chauffage en prévision de l’hiver suivant et aménagent des jardins où poussent des légumes variés : pommes de terre, oignons, carottes, fèves, pois et laitue. Ils sèment également de l’orge, mais en faible quantité. L’outillage de métal utilisé comprend des houes et des bêches pour sarcler le terreau et certains postes peuvent compter sur des bovins pour labourer et tirer de lourdes charges. La productivité des jardins, combinée à l’expédition des denrées de Montréal, est suffisante pour constituer des réserves permettant d’esquiver les disettes et de consacrer la période hivernale aux travaux de menuiserie, aux jeux de société ou à d’autres loisirs, comme la lecture, en attendant le printemps qui annonce le retour prochain des chasseurs amérindiens anxieux de venir vendre leurs fourrures.
Le temps de la fusion
Au début du XIXe siècle, la Compagnie du Nord-Ouest, toujours désavantagée par rapport à la Compagnie de la baie d’Hudson en raison des frais élevés de transport des marchandises par voie de terre depuis Montréal, convoite encore un droit de passage par la voie maritime de la baie d’Hudson qui lui conférerait un accès direct au commerce des fourrures du Nord-Ouest canadien.
Déterminée à soutenir, par la forces des armes, si nécessaire, la liberté de commerce à la baie James, où sa rivale détient le monopole de la traite en vertu de sa charte royale, la compagnie montréalaise entreprend la construction de divers avant-postes dans le fond de la grande baie entre 1803 et 1804.
La compétition qui s’ensuit entraîne la prolifération des comptoirs sur l’ensemble des territoires à fourrure exploités et amène les traitants des deux compagnies à en venir aux menaces, voire même parfois aux coups. La concurrence de plus en plus vive qui se développe à l’échelle du continent devient ruineuse à la longue par les frais qu’elle occasionne et incite les autorités politiques à intervenir.
En 1821, le gouvernement britannique enjoint les compagnies du Nord-Ouest et de la baie d’Hudson de s’associer. Elles fusionnent le 26 mars de la même année. La nouvelle société conserve le nom de Compagnie de la baie d’Hudson, garde les droits et privilèges de l’ancienne firme et obtient l’exclusivité du commerce de la fourrure sur tout le reste de l’Amérique du Nord britannique, à l’exception des colonies de l’est.
La fin d’une époque
Cette concurrence acharnée entre la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la baie d’Hudson, entre 1795 et 1821, a laissé des séquelles.
La diffusion du piège de fer et l’utilisation du castoréum comme appât ont favorisé une exploitation anarchique des animaux à fourrures. En 1823, certains territoires n’ont plus de castors.
La nouvelle Compagnie de la baie d’Hudson peut néanmoins commencer à rationaliser ses opérations en diminuant les salaires de ses employés, en coupant le nombre de ses postes et en les approvisionnant depuis la baie d’Hudson. Par une réduction d’un tiers sur les prix de certaines marchandises comme les articles de pêche, les munitions et les vivres, elle tente également de convaincre les Amérindiens de ne pas chasser le castor d’été pour leur consommation.
Cette initiative s’avère toutefois insuffisante, car les mesures prises pour permettre la régénération de l’espèce ne sont pas appliquées en Abitibi-Témiscamingue, à la hauteur des terres où des traiteurs indépendants poursuivent leurs activités. Afin d’étouffer toute concurrence, les chefs de postes de la Compagnie créeront même un précédent en décidant de laisser chasser le castor jusqu’à son extinction pour faire de la région du partage des terres un No man’s land.
Les modes nouvelles
Après la fusion, la production pelletière dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue connaît bien quelques soubresauts, mais régresse inexorablement. La présence de bûcherons avant l’arrivée des colons au lac Témiscamingue ne signifie-t-elle pas à plus ou moins longue échéance la fin du commerce des fourrures avec la déforestation et la destruction de l’habitat faunique ?
Mais déjà en 1839, la culture des apparences change en Occident. La mode passe aux chapeaux de soie. En 1848, la production annuelle de fourrures au poste de Témiscamingue totalise 21 ballots. La cueillette est plutôt maigre, quand on sait que le « canot de maître » ou « de Montréal », de 11,5 sur 1,80 mètre, employé par la Compagnie de la baie d’Hudson, peut transporter à cette époque trois tonnes de charge utile, soit 65 ballots. Autre évidence que les feutres sont beaucoup moins en vogue qu’autrefois : après 1859, on cesse de vendre le castor à la livre.
À partir des années 1860, le commerce des fourrures en Abitibi-Témiscamingue vivote. Le comptoir du lac Témiscamingue devient un bureau de poste en 1868 et, en 1882, le chef lieu du district est fixé à Mattawa qui tire avantage du nouveau réseau ferroviaire. Aussi, lorsque la Compagnie de la baie d’Hudson déménage à Haileybury en Ontario, vingt ans plus tard, accompagner la « brigade » qui continue d’aller chercher une fois l’an les fourrures au poste Abitibi, la traite est devenue une activité folklorique pour le touriste culture en quête d’aventures. L’ère des voyageurs est bel et bien révolue.
(Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue. Sous la direction de Odette Vincent. Maurice Asselin, Benoît-Beaudry Gourd, Clément Mercier, Roland Viau, Marc Côté, Jean-Pierre Marquis, Marc Riople, Cécile Sabourin. Institut québécois de recherche sur la culture. 1996).
