Un autre enfant sorti d’une garderie privée meurt dans un hôpital
(Cette nouvelle date de 1943)
Un ordre du coroner à tous les hôpitaux
Le petit Fernand White, un beau bébé blond aux yeux bleus, est mort ce matin au Children’s Mémorial. Les médecins de l’hôpital ont fait l’impossible pour lui conserver la vie, lui donnant même les sérums les plus coûteux. Ce bébé, né de parents canadiens-français, est maintenant à la morgue.
Il avait été porté à l’hôpital après un séjour de trois semaines dans une garderie privée de Pont-Viaux. C’est le cinquième décès du genre survenu en quelques jours.
Le coroner du district, le Dr Richard-L. Duckett, a donné ordre à tous les hôpitaux français et anglais de Montréal de déclarer sans délai l’admission de tout bébé arrivant des pensions d’enfants.
Jusqu’ici les hôpitaux ne déclaraient les cas que lorsque la mort survient dans les 24 heures après l’admission du patient. C’est ce qui expliquerait pourquoi, au cours de ces derniers mois, de nombreux bébés seraient morts dans des hôpitaux, sans que les autorités de la morgue en eussent eussent été averties.
Il n’y a eu qu’une exception, dans le cas du Children’s Memorial Hospital, qui a, 18 jours après l’admission du bébé English, décidé de déclarer le cas au coroner.
À l’avenir, tous les hôpitaux devront agir de la sorte.
Il s’agit cette fois de Fernand White
« C’est effrayant… c’est effrayant », et la grand’mère du petit Fernand White de fondre en larmes.
Nous sommes au #1202, rue Cartier, où habitent les parents d’un bébé qui est mort ce matin au Children’s Mémorial, après qu’il eut fait un séjour de trois semaines dans une garderie privée.
La mort de cet enfant donne une confirmation nouvelle – s’il en était besoin – des révélations que la « Presse » faisait vendredi dernier sur un état de chose inquiétant qu’une enquête de nos rédacteurs a mis à jour avec les précisions que l’on sait.
Déclarations de la grand’mère
Nous avons causé longuement avec Mme Ducharme, grand’mère du petit White et elle nous a dit :
« Le petit Fernand était le premier bébé de ma fille âgée de 23 ans. Il avait quinze mois. Il était en santé superbe; un beau garçon blond aux beaux yeux bleus. Mais c’et toujours la même chose. On n’est pas riche et l’on veut sa maison.
« C’est alors que le papa René White et ma fille décidèrent de travailler plus ferme que jamais afin de s’acheter des meubles. Il paraît que sans meubles aujourd’hui les pauvres gens ne peuvent pas louer. C’est pour cette seule raison que ma fille a été travailler « aux aéroplanes »à Cartierville pendant que son mari tramait, dur à une bijouterie. Pour ma part je pouvais bien garder l’enfant le jour.. ce que j’ai fait d’ailleurs, mais la nuit, à raison d’une forte pression de sang, je ne pouvais franchement plus le faire.
« Ma fille a entendu parler d’une garderie privée à Pont-Viau où l’on soignait bien les petits. Le besoin de travail étant impérieux elle se décida, non sans peine, à porter l’enfant à cet endroit. Il y fut trois semaines : il est mort ce matin à l’hôpital.
– De quoi?
– Le médecin de l’hôpital vous expliquera cela, mais je puis vous dire que le petit Fernand n’avait du tout envie de mourir. Il était bouffi de santé lorsqu’il avait quitté cette maison.
– Votre fille était-elle satisfaite des soins qu’on donnait à son bébé.
– Louisette a été voir son bébé le samedi et le dimanche, sans y manquer une fois. Il y a quelques jours elle revint assez nerveuse, l’enfant souffrait des dents et il avait maigri. Son intention était de sortir l’enfant de la garderie au plus tôt. – – Mais comment faire? Le travail pressait et je n’y pouvais rien.
– Alors?
– Les choses se sont précipitées soudainement depuis trois jours. Hier… une certaine personne venait nous porter une certaine partie du linge du bébé disant que l’enfant était gravement malade. Au début on avait parlé des dents mais cette fois, c’était autrement grave. Puis, à quelques heures d’avis, nous avons appris que l’enfant était rendu à l’hôpital. Il était méconnaissable, Il vomissait « du vert » et il avait les yeux plombés. Ma fille n’avait jamais eu confiance dans la garderie privée et devant les faits appris à l’hôpital elle avait été prise de panique. Toutes ses craintes sont maintenant confirmées.
– Votre fille avait-elle voulu ravoir son fils?
– Certainement. Samedi dernier – elle avait lu une histoire terrible dans la « Presse » – elle décida que l’enfant reviendrait à la maison. Mais la dame de la garderie privée insista, disant que l’enfant n’était pas si mal que cela. Elle aurait dû m’écouter.
– A-t-on soigné le bébé à la garderie?
– Je n’en sais rien, sauf qu’une fois ma fille a téléphone à un certain médecin de Pont-Viau qui lui a tout simplement coupé la communication téléphonique disant qu’il n’avait pas le temps d’écouter les lamentations de tout le monde.
– A-t-on vu l’enfant à l’hôpital?
– Mais oui. Le pauvre petit tournait ses boucles de cheveux. On ici avait donné du sérum. Il semblait revenir à la vie. Maintenant, il est mort.
Déclaration des parents
Un autre de nos rédacteurs a rencontré le père et mère du petit White. Mme White était ce matin comme morte de fatigue, puisqu’elle « est de nuit » dans une avionnerie. Elle nous déclara qu’elle y travaille depuis deux semaines afin d’aider son mari. Tous deux voulaient louer une maison pour garder avec eux leur petit Fernand.
– Aviez-vous la permission de voir votre enfant?
– Oui, nous répondit le père, mais nous ne pouvions le voir dans la garderie proprement dite, on nous le montrait plutôt dans une petite chambre qui servait de parloir. Samedi, on me téléphona pour me dire que le petit était très malade et on nous priait de nous rendre à la garderie pour le chercher. Dès notre retour à la maison, ma femme téléphona à notre médecin, car le petit Fernand restituait. Le médecin nous apprit que l’enfant souffrait de malnutrition et qu’il fallait le porter à l’hôpital.
Mme White ajouta que durant le séjour du bébé à la garderie, son mari avait téléphoné tous les soirs pour prendre des nouvelles de son enfant. Toujours on lui avait répondu que le petit Fernand se portait bien, jusqu’au jour où on lui « ordonna » d’aller le chercher.
Déclaration du Dr. Louis-A.Chabot
Rencontré ce matin, le Dr. Louis-A.Chabot, du ministère provincial de la santé, nous a déclaré sns faire allusion au cas White en particulier que les parents des enfants sont dans plusieurs cas responsables. Cependant, les garderies privées ont, elles aussi, des torts : celui entr’autres d’accepter des enfants malades. Une certaines garderie privée accepta ainsi un enfant avec 102 de température.
Il est arrivé que des garderies ont téléphoné aux parents leur demandant de venir chercher leur enfant malade et que ceux-ci ont laissé passer une semaine avant de donner signe de vie.
Je dois dire cependant, ajouta le Dr Chabot, qu’une de ces garderies se servait d’eau de puits contaminée. J’ai immédiatement interdit l’usage de cette eau. On m’a écouté.
La garderie s’est servie ensuite d’eau stérilisée.
Nous avons demandé au Dr Chabot si les enfants étaient toujours aussi nombreux dans les garderies.
Il nous a répondu qu’à la Garderie Cécile, vendredi, il y avait 34 enfants, mais que lundi 14 avaient été rendus aux parents. Le Dr Chabot nous a appris que depuis le 4 novembre 5 enfants venant de cette garderie ont dû être hospitalisés, soit : Jean Clèment, Réjeanne Paré, FernandWhite (mort ce matin), Liona Touron et Madeleine De Laplante.
En terminant le Dr Chabot a tenu à dire que la loi concernant les hôpitaux privés devrait être rendue plus claire et plus sévère, car « médecin attaché » ne veut pas nécessairement dire médecin visiteur. Une garderie peut avoir un médecin attaché, sans que ce médecin se rende à la garderie régulièrement. Il ne peut y aller en réalité qu’à la demande des autorités de la garderie.
Déclaration de l’hôpital
Le directeur médical du Children’s Mémorail Hospital, le docteur Lindsay, nous a fait à 1 h la déclaration suivante :
« Je n’ai pas beaucoup à dire au sujet de la mort du bébé Fernand White. Je dois tout d’abord souligner que l’expression déjà employé dans ces cas, à savoir « mort de privation », est pour le moins exagérée. Il s’agit, médicalement parlant, de « malnutrition ». À son admission l’enfant en soufrait déjà.
L’enfant avait-il la peau asséchée? Demanda le reporter de la Presse.
– Je crois! Nous avons hospitalisé ici cinq cas du même genre. Trois bébés ont expiré. L’état des deux autres présente une certaine amélioration.
(C’est arrivé le 10 novembre 1943).