L’encyclique Humanae Vitae : L’unanimité est loin d’être faite
Québec. – Un prêtre québécois connu pour ses idées sociales avancées a abondé hier dans le sens de l’encyclique « Humanae Vitae » tandis qu’un autre s’est dit « extrêmement » surpris de la position du Saint-Père sur la limitation des naissances.
Mgr Raymond Lavoie, curé de Saint-Rich, trouve qu’une « réponse qui contrarie beaucoup de gens vaut mieux que pas de réponse du tout » et que l’encyclique vient à point pour remettre de l’ordre aussi bien des les esprits que dans les loyers.
« La courbe des bris de ménage, dit-il, suit la courbe d’emploi des contraceptifs et il n’y a jamais eu tant de séparations, de querelles conjugales et d’instances devant les tribunaux que depuis cinq ans, c’est-à-dire depuis le moment où l’usage de la pilule s’est répandu. »
Par ailleurs, Mgr Lavoie s’est dit inquit de la baisse croissante de la natalité chez les Canadiens français :
« Notre groupe ethnique est en train de disparaître, a-t-il souligné. Nous nous ruinons à bâtir des écoles pour des enfants qu’on refuse de mettre au monde. Dans 15 ans, nos écoles seront vides. »
À cela, un démographe anglophone qui a participé à une enquête sur l’utilisation des procédés cotraceptifs à Toronto, M. J.D, Alligham, répond qu’on ne peut attribuer exclusivement à la pilule la baisse constante de la natalité à travers le pays puisque ce déclin avait déjà commencé avant que la pilule soit sur le marché en 1961.
L’abbé Gérard Dion, professeur à l’Université Laval, se demande « si les agences de presse n’ont pas déformé l’esprit de l’encyclique ».
« Je trouve les dépêches tellement draconiennes, dit-il, que je suis sûr qu’il y a une porte de sortie quelque part. Le pape a sûrement mis des nuances et laissé place à l’interprétation.
Le Dr. Georges Bergeron, président fondateur du Centre de consultation conjugale de Québec, fait remarquer que, si beaucoup de gens peuvent trouver une solution dans la méthode sympto-thermique, il n’en va pas de même pour tous. Pour les autres, le problème reste entier. Le Dr. Pierre Proulx, du même organisme, s’attendait lui aussi à un élargissement de la doctrine, s’appuyant sur l’unité du couple et l’harmonie conjugale.
À Toronto, le Père Gregory Baum basilien considéré comme un des plus éminents théologiens canadiens, s’est dit convaincu que l’encyclique ne mettra un terme ni aux discussions théologiques ni aux différences de pratique dans l’Église. »
« Les vues du pape sur la limitation des naissance ne constituent pas un article de foi, affirme-t-il, et certains sont en droit de différer moralement d’opinion. Le pape est infaillible lorsqu’il se prononce sur des questions de foi et de morale qui tiennent à la Révélation. L’appréciation de la limitation des naissances tient à la liberté de l’homme ».
Le père Baum, qui s’est déjà exprimé contre toute interdiction des moyens artificiels de limitation des naissances, et qui a par ailleurs engagé un dialogue avec d’autres théologiens sur la présence d’une Église vivante, ouverte au monde d’aujourd’hui, reconnaît que l’Église possède un magistère pour enseigner la voie aux couples chrétiens.
Mais, dit-il, lorsqu’un catholique qui s’interroge raisonnablement et objectivement en vient à des conclusions différentes, il peut moralement se porter dissident d’un enseignement officiel qui n’est pas infaillible.
L’enquête que M. Allingham a poursuivie récemment à Toronto, de concert avec MM. J. F. Kantener et T. R. Balarishnan, révèle que 43,4 pour cent des femmes catholiques emploient la pilule comme principal moyen de contraception.
La méthode sympto-thermique a la faveur de 17,8 d’entre elles, l’instrument anti-conceptionnel de 12,6 pourcent et le retrait de 11,7 pour cent.
Le même sondage révèle que 62 pour cent des femmes catholiques ont recours à une forme quelconque de contraception, contre 82 pour cent de protestantes. Toutefois, en ce qui concerne le seul usage de la pilule, la différence est moins marquée entre catholiques et protestantes, ces dernières l’utilisant dans une proportion de 50,2 pour cent. En 1963, seulement 4,5 pour cent des femmes mariées de moins de 46 ans employaient la pilule à Toronto. Enfin, le sondage indique que 3,5 pour cent seulement des protestants ont recours à la méthode sympto-thermique.
Le pape s’explique
Cité du Vatican, Castelgandolfo. – Le pape, dans un discours prononcé durant l’audience générale, ce matin, à Castelgandolfo, a fait part aux fidèles des sentiments qui l’ont animé tout au long des années de la préparation et de l’élaboration de l’encyclique sur la régulation des naissances.
« Ce fut d’abord, a-t-il dit, la conscience de Notre immense responsabilité. Et ce sentiment Nous a fait souffrir beaucoup car, jamais comme en cette occasion, Nous n,avons senti avec autant d’acuité le poids de Notre charge au service de l’humanité toute entière. Ensuite, c’est la charité, la sensibilité pastorale envers ceux qui seraient appelés à intégrer l’enseignement de l’Église dans leur vie conjugale et familiale qui Nous a constamment inspirés.
Enfin, a ajouté le pape, c’est l’espoir que ce document sera accueilli favorablement par tous les fidèles et quelle que soit la diversité des opinion qui se sont répandues sur le sujet dans divers milieux. Nous voulons, en effet, espérer que tous, notamment les époux chrétiens, même s’ils ont le sentiment que Notre parole est ardue, sauront comprendre que seule la fidélité à la pensée du Christ a motivé cette apparente sévérité. Nous avons eu à cœur de montrer le grandeur de l’amour humain appelé par et dans le Christ à être transfiguré par l’image de Celui que le chef de l’Église éprouve pour son épouse mystique. »
La présidente de la Fédération des Unions des familles : Il me semble qu’on n’a pas fait confiance au couple adulte
Interrogée au téléphone hier pour connaître ses réactions à l’encyclique Humanae Vitaue, Mme Gertrude Langlois, de Saint-Bruno, présidente de la Fédération des Unions des familles communique ses impressions. Elle a soin toutefois de bien spécifier qu’il s’agit là d’une réaction spontanée personnelle qui s’engage pas le groupement qu’elle dirige. Éventuellement, les différentes équipes des Unions de famille étudieront l’encyclique en groupe.
Mme Langlois s’est dite étonnée de la teneur du document qui dénote un esprit conservateur. « Il me semble qu’on n’a pas fait confiance au coupe adulte qui peut quand même prendre ses décisions ; on n’a pas tenu compte de la paternité responsable. Grâce à la nouvelle orientation de parenté volontaire prise depuis quelque temps par les couples, bien des hommes ont enfin connu ce qu’était l’épanouissement sexuel de leur femme et ceux-là, ne peuvent plus se passer de cet épanouissement. Et il est certain que les nouvelles directives supposent un esprit de sacrifice qui van engager autant le mari que la femme.
« Je pense que les hommes se sentent aujourd’hui aussi perturbés que les femmes. Le document papal aura sûrement pour effet de provoquer un éveil de la conscience même chez les plus férus de planification familiale. » Mme Langlois se pose une question. Alors qu’on parte tellement de participation pourquoi pas une décision collégiale qui évidemment n’est pas encore une tradition. Mais peut-être, ajoute-t-elle, que l’encyclique va produire un tel choc dans l’Église qu’elle va justement accélérer le processus de la collégialité dans le gouvernement de l’Église.
Tout en se disant très respectueuse de la décision du Pape, la présidente de la Fédération, qui est catholique pratiquante, qui a sept enfants, dit avoir rencontré des personnalités du clergé qui diffèrent d’opinion avec l’encyclique et comme celle-ci n’est pas présentée avec un caractère d’infaillibilité, elle pourrait laisser la voie à des interprétations moins radicales que celles qu’on attribue au document.
« Une certaine évolution pourrait se manifester », dit-elle. De toute façon, je ne suis pas prête à accepter l’idée de péché mortel pour toute infraction à l’encyclique. L’acte conjugal est tellement intime, tellement lié à deux êtres, qu’il faut tenir compte de plusieurs facteurs. Je n’irais pas par exemple jusqu’à dire qu’on se marie pour avoir des enfants car alors l’acte conjugal devrait être défendu en dehors de toute période de fécondation.
La continence des conjoints ? Excessivement difficile, dit-elle, mais l’encyclique va permettre une réflexion dans ce cas : on va scruter le problème davantage. « Il est certaine que le pape propose un idéal, mais je peux vous dire que nous ne l’atteindrons pas demain matin. C’est affaire d’éducation de la volonté. » J’avoue, ajoute Mme Langlois en concluant, que j’aurais été fort déçue si le pape avait permis la pilule en défendant les autres moyens mécaniques. Je ne suis pas spécialiste de toutes les questions soulevées, mais je crois qu’il y aura perturbations chez tous les couples. Déjà il y en avait un peu chez ceux qui pratiquaient la méthode même s’ils se sentaient un peu plus libres qu’autrefois.
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