Gardons nos libertés. Elles nous ont coûté cher
« Il me semble permis et même sage de voter en faveur de la tolérance de la bière et du vin », c’est ce que déclare M. le curé Dubuc, de Saint-Jean-Baptiste, qui ajoute que « c’est une question de bon sens »… et que « le tout est de ne pas faire d’abus ».
M. l’abbé Jos. – N. Dupuis, dit « gardons nos libertés. Elles nous ont coûté assez cher! »
Ce que nous disent d’autres citoyens en vue et des représentants autorisés de la classe ouvrière. Ça n’est pas à l’usage qu’il fut s’attaquer.
L’interview qu’a bien voulu accorder à « La Presse » M. le curé J.-A. Bélanger, de Saint-Louis de France, touchant le maintien des cidres, bières et vins légers, a provoqué un intérêt considérable par toute la ville et constitué le thème de maintes conversations chez ceux que partage en deux camps la question de prohibition, absolue ou mitigée.
Il en est de même de l’opinion donnée par notre éminent concitoyen lord Shaughnessy, l’un des présidents honoraires du comité dit « de modération », comité organisé par les adversaires de la prohibition absolue.
Nous continuons aujourd’hui à enregistrer les expressions de sentiments de citoyens marquants, de leaders du mouvement ouvrier, de membres en vue de notre clergé et autres, relativement à cette question tant débattue qu sera définitivement solutionnée par un referendum, dès cette semaine, jeudi le 10 avril courant (1919).
M. L’abbé L.-A. Dubuc
Le curé de l’importante paroisse Saint-Jean-Baptiste de Montréal, nous a déclaré :
« Vous me demandez mon opinion sur la question qui doit être tranchée le dix de ce mois avis au sujet de la bière et du vin. À mon avis c’est une question de bon sens.
L’Église catholique qui prêche la tempérance et l’impose à tous, nous enseigne que cette vertu ne consiste pas à se priver de tout, mais à user avec modération des bières qui sont à notre disposition. Un homme tempérant peut donc parfaitement faire usage de la bière et du vin à ses repas. Le tout est de ne pas faire d’abus.
Maintenant que la prohibition des liqueurs fortes est admise, il me semble permis et même sage de voter en faveur de la tolérance de la bière et du vin. La loi ainsi comprise sera facilement acceptée de tous, et on n’aura pas de prétexte pour la violer. »
M. L’abbé Jos. – N. Dupuis
Le visiteur des écoles catholiques de Montréal nous dit:
« Vous me demandez mon opinion au sujet de la vente de la bière et des vins légers. Je suis carrément opposé à la prohibition totale. Je me défie de ces lois coercitives qui entravent la liberté individuelle. En matière de régime alimentaire, aussi bien que dans l’ordre plus élevé de la conscription scolaire et de l’instruction automatique des enfants du peuple. Gardons nos libertés. Elles nous ont coûté assez cher.
En Europe, et dans la plupart des pays civilisés, l’usage de la bière, du cidre et des vins légers est profondément ancré dans les mœurs populaires.
Si au Canada, en notre belle province de Québec surtout, l’ouvrier remplaçait tous les alcools frélatés par ces vins réconfortants que la France va pouvoir nous expédier à des conditions de plus en plus avantageuses. Il y aurait un regain de santé et de vitalité. La bière est aussi une boisson saine et hygiénique. Qu’on ne parle pas d’abus. On peut abuser de tout, même des choses les plus sacrées. L’abus ne donne pas droit au bon usage de disparaître. « Busus non tollit usum. »
L’idéal serait d’abolir la vente au verre, dans certains estaminets qui deviennent trop souvent les refuges de l’oisiveté et du vice – et de faire l’éducation du peuple, en lui démontrant que c’est à l’occasion des repas surtout, que les vins légers et la bière sont, non seulement un excellent condiment, mais encore de véritables boissons nutritives et alimentaires.
Sous ce rapport, comme sous bien d’autres, d’heureux progrès ont été réalisés, et il appartient à nos gouvernants et aux vrais éducateurs de favoriser la diffusion des bons principes d’hygiène, de morale et de la saine liberté. »
Le commissaire Verville
« Tout le monde sait, déclare le député de la division Saint-Denis, que je suis un tempérant. Néanmoins, mon expérience du travail des ouvriers dans la métallurgie ou autres occupations similaires m’a démontré que le travailleur a besoin de ces stimulants, bières et vins légers, qui ont été jugés même nécessaires par les meilleures autorités. Il a été prouvé d’ailleurs, devant un comité d’enquête du parlement, en 1910, qu’il était impossible pour ces ouvriers de faire un travail satisfaisant à moins qu’ils puissent avoir de la bière.
Je crois de plus que l’on devrait comprendre la différence qui existe entre la vraie tempérance et la prohibition complète. J’ai absolument confiance dans l’esprit de justice et de modération, surtout des classes laborieuses, pour ne pas abuser d’une chose légitime à laquelle elles ont droit.
C’est un fait reconnu que nous sommes actuellement à faire une campagne d’évolution dans le monde économique, et je crois qu’il serait dangereux d’appliquer un système révolutionnaire surtout dans l’atmosphère dans laquelle nous vivons actuellement. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures. Les recommandations constantes de modération, de la part des classes soi-disant dirigeantes devraient s’appliquer d’abord au premier acte qui est placé devant l’électorat d’une cité, d’une province ou d’un pays. »
Le commissaire Ross
« Je voterai certainement en faveur de la bière, du cidre et des vins légers », a dit le commissaire Ross. « La prohibition totale me paraît plutôt dangereuse. Si on en juge par certaines statistiques, prises dans les pays de la prohibition totale, les saisies d’alambics ont augmenté considérablement depuis que la loi de prohibition est en vigueur. Ces alcools fabriqués clandestinement constituent presque toujours de véritable poison. Aussi, comme je le dis plus haut, je voterai en faveur des bières et vins légers. »
L’ex-recorder F.-X. Dupuis
Ancien juge à la Cour des recoders, c’est-à-dire pouvant parler avec autorité, M. Dupuis n’est pas long à déclarer: « Mais certainement que je réclame une loi permettant la vente de la bière, du cidre et du vin, dans notre province! Et comme je ne manquais pas de le faire, quand j’étais sur le banc, chaque fois qu’une occasion opportune se présentait je dénonce cette campagne entreprise par les pharisiens et les sectaires de notre époque, qui voudraient façonner notre population à leur image et à leur ressemblance. Que l’on sache donc distinguer entre l’usage et l’abus, et vous verrez que tout ira bien. Mais, de grâce, que l’on comprenne aussi que c’est l’abus, l’abus seul, qu’il faut combattre et contre lequel il faut s’élever.
Bref, la croisade entreprise contre les partisans de la prohibition absolue a mon entière approbation. »
M. J.-T. Foster
Le président du conseil des métiers et du travail, de Montréal, déclare qu’il est plus que jamais en faveur de l’usage de la bière, des cidres et des vins légers dans notre province. Il déplore la fait qu’on agite une question aussi brûlante, au moment de la souffrance du monde ouvrier qui est cruellement déjà au chômage: « Empêcher l’usage de la bière, des vins et des cidres, dit-il, s c’est arrêter immédiatement des industries qui emploient des milliers d’ouvriers. Or, que va-t-on faire, ajouta-t-il, des 40,000 hommes qu’on va jeter ainsi brusquement sur le pavé, alors que déjà, des milliers et des milliers de travailleurs sont sans emploi? Pour moi, conclut M. Foster, je dis que la question est très grosse de conséquence et que les partisans de la prohibition absolue seront probablement un jour premiers à regretter leur action.
M. Jos Guthier
« Toute loi restrictive de la liberté, déclare M. Joseph Gauthier, vice-président du conseil des métiers et du travail, est toujours une loi odieuse en soi. Mais la loi qu’on nous propose, pour empêcher un citoyen honnête d’étancher sa soif avec autre chose que de l’eau, apparaît comme un chef-d’œuvre de tyrannie, contre lequel protestent tous les amis vrais de la liberté.
Il faut empêcher nos législateurs de laisser commettre cette iniquité. C’est pourquoi, je crie à tous mes amis: « Votons en masse « oui », jeudi prochain, en faveur de l’usage de la bière, des cidres et des vins légers. »
M. J.-E. Barnabé
Le président de l’Association Pharmaceutique de la province de Québec nous écrit:
Monsieur le directeur de La Presse,
Samedi, en lisant l’article de la Presse « Re: le vote prochain du peuple sur la bière et les vins, je n’ai pu m’empêcher d’admirer la conduite et les paroles de mon curé le Rév. M. Bélanger, sur cette question. Comme président d’un corps très important aujourd’hui, permettez-moi de vous donner l’opinion qui domine chez nos pharmaciens. Je suis un tempérant moi-même, mais pas prohibitionniste, et les pharmaciens en général pour ne pas dire tous sont comme moi. Je considère que si la bière et les vins ne sont pas maintenus, c’est un désastre pour la province.
Vous verrez surgir de toutes parts des distilleries clandestines, manufacturant une liqueur mortelle qui sous le nom d’alcool, ne sera qu’un composé d’hydrates d’amyl ou fouseloli, poison lent mais sûr. Nos législateurs ne désirent par la disparition de la bière et des vins, car ils veulent le bien du peuple. Il n’y a que les puritains et les fanatiques jaunes qui désirent une prohibition complète qui j’en suis sûr ne la pratiquent pas eux-mêmes. Pour ma part je voterai pour le maintien de bière et les vins et demande à mes confrères d’en faire autant pour le bien du peuple et de l’humanité.
Vous remerciant, Monsieur le directeur, pour l’hospitalité de vos colonnes.
Croyez-moi, votre tout dévoué, J.-E. Barnabé, Président de l’Association Pharmaceutique de la Province de Québec.
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