Histoire du Québec

Émeute électorale du 21 mai 1932

Émeute électorale du 21 mai 1932

L’émeute électorale du 21 mai 1832

Tout autant que la question du Conseil législatif, le problème de la liste civile dans le Bas et le Haut-Canada entretient les tensions avec la métropole. Pour Londres, l’enjeu consiste à exiger une liste civile susceptible de maintenir l’indépendance de l’Exécutif, mais on ne s’entend pas sur l’étendue de cette liste, litigieuse depuis près de vingt ans. Pour Papineau et le Parti patriote, « le refus des subsides est un moyen constitutionnel comme entrepoids aux abus du pouvoir » et l’octroi de ces subsides « le boulevard de la liberté politique », le « grand levier politique ». On ne manque pas de faire voir cette prétention à une liste civile qui n’existe pas dans d’autres colonies comme la Jamaïque.

En 1831, Papineau et Neilson se sont à nouveau opposés à ce sujet, ce dernier proposant l’acceptation d’une liste civile de 5900 louis que la Chambre refusa. En 1833, un même refus de voter les subsides doit à nouveau faire comprendre à Londres qu’une réforme ne pouvait être plus longtemps différée.

Une émeute vient, en 1832, jeter de l’huile sur les braises toujours incandescentes des conflits relatifs au Conseil législatif et au vote du budget. L’élection, qui oppose dans le quartier ouest de Montréal Stanley Bagg et Daniel Tracey, dure 23 jours, selon la pratique de l’époque où le bureau de vote ne ferme que lorsque s’écoule plus d’une heure sans voteur. Le scrutin se termine après un suspense par une faible majorité de quatre voix en faveur de Tracey. L’élection, qui donne lieu à des bagarres entre « boulés » (bullies) des deux côtés, dégénère en émeute et en intervention de l’armée qui, sur ordre de tirer, tue trois Canadiens.

L’événement récapitule symboliquement les tensions du moment : programme politique de Tracey, patriote irlandais et rédacteur du journal pro-Patriote The Vindicator, qui prend position en faveur du refus de vote du budget, du Conseil législatif électif et de l’abrogation d’une compagnie londonienne qui vise les terres de la colonie et, d’autre part, le programme de Bagg, qui promet maintes réformes sans jamais les réaliser ; le vote est fortement polarisé sur les plans ethnique (Canadiens français et majorité irlandaise vs. Anglais et Américains), social (majorité populaire vs marchands et fonctionnaires) et politique (Patriotes vs administration locale) ; élection, enquête et procès reproduisent un sentiment d’inégalité devant la justice et la magistrature (Grand Jury recruté de façon partiale, verdict de non-lieu qui se limite au constat des événements sans imputation de responsabilité, unilinguisme anglais des juges) ; polarisation et ponts coupés entre Papineau et le gouverneur Aylmer qui écrit aux militaires pour les féliciter de leur intervention ; perplexité des Canadiens face au Roi qui invite le colonel Mackintosh et le capitaine Temple à dîner et les décore pour leur geste, perplexité qui excuse le roi mal informé et mal conseillé et qui incite Papineau à maintenir, malgré tout : « C’est à l’Angleterre que nous demandons un remède à nos maux. »

Par ses dimensions spectaculaires, l’événement a aussi libéré les tensions en leur conférant une visibilité nouvelle : le triomphe public fait à Tracey et à Duvernay, avant les élections, lors de leur sortie de prison où ils avaient été incarcérés pour « libelle » contre le Conseil législatif, « la marseillaise canadienne » qu’on adapte pour célébrer le geste de Duvernay et de Tracey, les 23 jours d’élection et de tension urbaines, l’intervention de l’armée et les funérailles solennelles des trois Canadiens tués marquaient par les démonstrations et par la violence qu’un seuil nouveau de conflit avait été atteint.

Tenir un journal valait mieux que de ne pas se confier du tout, mais cela ne remplaçait pas une vraie personne. (Rosamunde Pilcher, Solstice d’hiver, Presse de la Cité, Paris, 2000). Photographie de Megan Jorgensen.
Tenir un journal valait mieux que de ne pas se confier du tout, mais cela ne remplaçait pas une vraie personne. (Rosamunde Pilcher, Solstice d’hiver, Presse de la Cité, Paris, 2000). Photographie de Megan Jorgensen.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *