Émeute sanglante à Montréal le 9 juin 1853
Lecture de Gavazzi mène à une émeute. Grand nombre de morts et blessés
La scène disgracieuse arrivée à Québec lundi, à l’occasion d’une lecture de l’ex-moine Gavazzi, s’est renouvelé au milieu de nous hier soir ; mais nous avons la douleur d’ajouter que les conséquences en ont été de beaucoup plus fatales. Avec les opinions que nous avons de ce M. Gavazzi, cet apostat renommé, on ne peut s’attendre que nous ferons la tentative de pallier son effronterie, sa persistance audacieuse à défier les croyances et les préjugés religieux d’une population comme celle de Montréal et de tout le Canada, lors même qu’il est bien prévenu que sa présence produira plus de mal que de bien, lorsqu’il sait qu’il sera cause de trouble et de désordre. La simple charité chrétienne, s’il a jamais su bien la pratiquer, comme on l’enseigne dans les monastères qu’il a pu fréquenter, devait lui prescrire une conduite différente.
Hier soir, l’apostat Gavazzi paraissait devant un auditoire nombreux réuni à Zion Church ; une foule immense entourait cette église. Les autorités avaient fait leur devoir. Les hommes de la police étaient à leur poste. Les troupes se trouvaient à deux minutes du lieu de réunion. La lecture commença à six heures et demie. Jusque vers les huits heures et un quart tout se passa régulièrement. Les autorités avaient, paraissait-il, réussi à ramener à des sentiments pacifiques cette multitude dont on redoutait la haine et la fureur, mais à peine l’heure où devait se disperser l’auditoire arrivait, que quelque excitation se manifesta dans la foule. Les autorités craignant qu’on n’obstruât le passage aux personnes réunies dans l’église, intervinrent et voulurent faire rétrograder celles qui se trouvaient au dehors.
Il s’ensuivit nécessairement quelque confusion. Mais tout porte à croire qu’il n’en fut arrivé aucune conséquence déplorable, sans la venue malencontreuse de personnes armées de pistolets et de fusils qui apparurent soudainement au seuil de l’église; sans provocation aucune, ces personnes, tirent feu sur la foule et un jeune homme du nom de Gillespie, tomba frappé à mort par une balle qui lui fracassa le crâne. D’autres au nombre de deux ou trois, furent plus ou moins sévèrement blessés. Le désordre fut alors à son comble et il s’ensuivit une mêlée générale. Malgré les efforts de la police, dont le chef reçut une pierre au front et plusieurs coups de bâton sur la tête, le tumulte allait toujours croissant. Les troupes à la réquisition des autorités furent en un instant sur les lieux. L’acte de riot fut immédiatement lu. Ici nous devons nous arrêter un moment. Beaucoup de citoyens paisibles qui regardaient à quelque distance ce qui se passait alors, sans se douter le moins du monde que lecteur eut été donnée de l’acte de riot, se trouvèrent exposés au feu des troupes. La décharge eut lieu dans un moment où peu de monde s’y attendait, et par suite de cette précipitation, quelques personnes furent sévèrement blessées, au nombre desquelles il s’en trouve dont on désespère de conserver la vie.
Il faut dire aussi que les personnes sur le lieu de l’émeute pouvaient plus facilement juger de l’opportunité d’un tel ordre que celles qui en étaient plus éloignées.
Durant la première tentative qui fut faite pour entrer dans l’église il y eut une mêlée sérieuse entre la police et la foule; plusieurs coups de feu, fusils et pistolets, furent tirés et la foule fut repoussée avec deux ou trois morts ou blessés. Voici les noms de quelques-unes des victimes :
James Welch, mort.
Beaudoin, homme de police blessé dangereusement.
Daniel McGrath et James Joyce, tous deux grièvement blessés.
Peter Gillespie, mort.
McCaulay et Wallace, grièvement blessés.
Hutchisson, mort.
Crosby, Clarke, mort.
Hudson, mort.
Adams, fils du conseiller Adams, mortellement blessé.
J. O’Neil, blessé sans espoir.
Clare, blessé à la jambe.
M. Hibbert, de la Longue-Pointe, blessé au pied.
Patrick Guy, blessé au talon.
Chipman, blessé au côté.
Stevenson, sévèrement blessé à l’épaule.
Un neveu de M. McKay, rue St. Paul, blessé à la jambe.
Un homme inconnu mort, dans la maison du Dr. McDonell.
Sidney Jones, légèrement blessé.
Un jeune homme a été tellement blessé qu’il a fallu lui amputer les jambes, à l’Hôpital.
On comprend facilement qu’il y a eu une foule d’autres blessures plus ou moins graves, car après le feu, on vit les cabs se rendre en toute hâte en grand nombre, chez tous les divers médecins de la ville. Il nous est impossible pour le moment de constater l’étendue du malheur. Nous le pourrons dans le cours de ce jour.
Nous sommes informés que l’ordre donné aux troupes de tirer sur la foule ne venait pas du maire, et nous croyons que les autorités civiques ont fait de grands efforts pour prévenir le conflit. Nous espérons qu’on va prendre des moyens efficaces pour empêcher le renouvellement de pareilles scènes, puisqu’il est impossible de compter assez sur le bon esprit des gens.
Gavazzi a été reconduit de l’église au St. Lawrence Hall, au milieu de deux haies de soldats qui ont passé la nuit en face de cet édifice. La résidence du maire, et la station de police ont aussi été gardées par les troupes durant la nuit.
Nous regrettons d’apprendre que Gavazzi annonce une seconde lecture pour ce soir, et nous demandons en grâce à nos coreligionnaires de le laisser ne paix régler ses affaires de conscience comme il l’entend. Que l’affreuse tragédie d’hier soir ne se renouvelle pas.
Autres détails sur l’émeute sanglante
Depuis que notre extra d’hier est écrit, nous avons pu nous procurer les renseignements suivants :
James Pollock, homme âgé, a été tué, plusieurs balles lui ayant traversé le corps.
W. H. Clare, teneur de livres chez MM. Lyman & Cie, droguistes, qui a reçu une balle au pied, a été obligé de se faire faire une amputation au pied.
Pendant que M. Sidney Jones parlait à quelqu’un, presque vis-à-vis, l’église Zion une balle vint lui enlever le pouce.
Un jeune homme du nom de Benally, apprenti chez Alex. Wallace,a reçu une balle dans le pied gauche. On ne croit pas la guérison possible.
Un autre jeune homme, du nom de McRae, fils de James McRae, blessé. On ne croit pas qu’il survivra à ses blessures.
Un autre jeune homme du nom de Clendinen, employé dans le bureau du journal le Sun blessé à la jambe.
Une autre personne du nom de Little, teneur de livres chez MM. Savage & Cie, a reçu deux blessures, une dans le côté droit et l’autre dans le dos et un coup de couteau sur la tête. On ne croit pas qu’il survive à ses blessures.
Wm. Lennon a été poignardé ; on désespère de le sauver.
Andrew Thompson, fils de W. Thompson, manchonnier, frappé dans le bras gauche.
La Minerve, 11 juin 1853
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